Il faut être honnête, First Gundam a vieilli. Beaucoup mieux que certains animes mais moins bien que d'autres... On ne peut cependant évoquer l'animation japonaise en général et ses productions de science-fiction en particulier sans parler de cette série : Mobile Suit Gundam (0079) est une pierre angulaire du genre, dont la puissance innovatrice pousse à la révolution pure et simple – du moins dans le registre si particulier des animes en général et du genre mecha en particulier. Qu'on le veuille ou non, il y a un « avant » et un « après » Gundam, même si le succès ne fut pas immédiatement au rendez-vous et si la franchise a eu besoin de quelques années pour mûrir et trouver enfin sa place véritable...
Alors que la majorité des productions de l'époque mettaient en scène un robot unique et presque tout-puissant piloté par un héros sans peur et sans reproche devant lequel aucun ennemi n'aurait su triompher, Mobile Suit Gundam a introduit dans le thème du mecha ce qui allait le pousser dans une direction radicalement nouvelle, jamais vue, qui est depuis devenue un genre à part entière : d'une manière peut-être un peu précipitée, on l'appela « mechas réalistes ». Car si Gundam innove c'est avant tout dans sa façon de présenter les machines : en s'inspirant ouvertement des scaphandres de combat blindés et mécanisés exposés dans le roman de science-fiction Starship Troopers – et seulement de cet aspect technique précis – (1) écrit par Robert A. Heinlein, les créateurs de Gundam proposèrent un modèle de « robot géant » radicalement nouveau qui, par son réalisme technologique, certes tout relatif et pour le moins discutable, le gigantisme n'étant pas forcément un avantage sur le champ de bataille, devait être amené à conditionner entièrement le reste de leur récit ; parties intégrantes de l'armement militaire et ainsi issus d'un système de production industriel au même titre que les tanks et les avions de nos jours, les mobile suits n'ont plus rien des « super robots » qui régnaient en despotes absolus sur l'animation nippone des 70s. Au lieu de machines fabuleuses pratiquement invulnérables et manipulées par des héros flirtant avec les limites du surhomme dans tout ce qu'il a de plus caricatural, Gundam nous propose de simples véhicules pilotés par des gens à l'humanité souvent tragique et qui trouveront dans la guerre un chemin bien sûr tortueux mais aussi tout assurément douloureux et humain...
Et « humain » est bien le maître-mot de Gundam : rarement on aura vu les personnalités s'affronter de façon aussi passionnée pour tenter, assez vainement, d'échapper à un passé sombre qui resurgit pourtant toujours et surtout lorsqu'on s'y attend le moins. Car, au contraire de la grande majorité des productions de l'époque dans le genre mecha, Gundam ne narre pas une énième défense désespérée de l'Humanité contre une autre invasion extra-terrestre : ce qui fait toute la force de Gundam, et qui est depuis devenu son credo, c'est l'illustration des conflits humains et des passions qui les sous-tendent ; volonté de puissance et vengeance, affrontement des idéologies et des convictions, conservatisme des élites dirigeantes pour préserver leur mode de vie privilégié et exploitation des basses classes sociales dans la construction de cette civilisation à deux vitesses, lutte d'un peuple opprimé pour recouvrer sa liberté et rôle des tyrans dans la manipulation de ces masses vers un nouvel holocauste, besoin viscéral de survivre face à l'adversité et la mort de l'enfance qui s'ensuit,... C'est dans ce kaléidoscope infernal de pulsions primaires, mais pourtant fondamentales, que Gundam précipite son spectateur. Sans concessions et sans illusions, ce n'est pas le genre de la maison : Gundam est brut de décoffrage et tape directement là où ça fait mal, sans préliminaires ou baratin inutile... Mais cette humanité du propos se trouve aussi dans les fondements même de l'univers de la série puisque, outre une influence probable du roman Révolte sur la Lune par le même Robert Heinlein déjà évoqué, cet univers repose presque entièrement sur le modèle de colonisation spatiale échafaudé pour la NASA par le Dr. Gerard K. O'Neill de l'Université de Princeton, et qui se voulait une solution non seulement au problème de la surpopulation mais aussi à celui de l'impasse énergétique – deux thèmes qui sont toujours préoccupants, et pour le moins d'actualité comme chacun le sait – en s'affichant ainsi comme une sorte d'utopie technologique d'où tous les conflits seraient exclus puisque l'Humanité n'y manquerait jamais de rien, ni d'espace vital, ni de ressources. Mais, dans Gundam, c'est la concrétisation même de cette idée qui a précipité l'Humanité dans le plus horrible conflit de son Histoire : ainsi, et en dépit de son emphase sur les éléments techniques, un aspect du récit ici très poussé pour un anime de l'époque, Gundam jette malgré tout au panier l'optimisme béat et un rien naïf des techno-scientistes de tous poils persuadés que seules les sciences et les technologies peuvent sauver le genre humain – une problématique somme toute bien nippone puisque le Japon a toujours eu du mal à accepter cette industrialisation imposée par l'occupant américain en 1945. De sorte que si Gundam se pare de techno-scientisme, c'est surtout pour mieux en dénoncer les abus ou dérives, et ainsi mieux replacer l'humain – encore une fois – au centre du débat, ce qui n'est jamais qu'une autre définition de la science-fiction.
Bien sûr, l'animation a un certain âge. Les designs aussi d'ailleurs : difficile de ne pas sourire devant les allures de certains appareils qui sentent bon le style d'antan. Ils ont été révolutionnaires pourtant, et ont tracé un sentier que des centaines d'autres auteurs talentueux ont su suivre à leur tour pour perpétuer le genre et lui donner ses lettres de noblesse. La version cinéma de la série, la Gundam Movie Trilogy, a su reprendre ces designs de manière efficace et convaincante même pour les spectateurs actuels pour peu que ces derniers aient assez d'ouverture d'esprit. Il y a aussi certains détails du scénario qui sont restés des réminiscences du genre « super robot » tel que le syndrome « enemy of the week » qui remplit peut-être un peu trop d'épisodes mais d'une manière pourtant assez innovante en général ; et puis aussi, à cette époque il était assez commun d'apprendre à piloter des robots géants en lisant le manuel, mais ce n'est qu'un détail sans réelle influence sur l'ensemble de l'histoire. Malheureusement, on regrette que le manque de succès de ce programme à la télévision japonaise lors de sa première diffusion ait forcé la production à le tronquer de ses derniers épisodes, ceux-là même qui étaient supposés lui donner toute son ampleur : encore une fois, et heureusement, c'est la version grand écran qui comble les trous...
Malgré tous ces défauts, assez mineurs somme toute, et qui cadrent assez bien avec l'époque, Gundam reste un tournant décisif dans le monde de l'anime, un classique absolu sans lequel les choses ne seraient probablement pas devenues ce qu'elles sont maintenant.
(1) Martin Ouellette, dans son article « What's "Gundam"? » (Mecha-Press n°1, Ianus / New Order Publications, janvier-février 1992, p.5), où il reprend les dires de Frederik L. Schodt dans son introduction à la première édition anglaise du roman en trois volumes « Mobile Suit Gundam » (1979-1981) de Y. Tomino.
Notes :
Mobile Suit Gundam, aussi appelée Gundam 0079 ou encore First Gundam, fut la toute première série Gundam, qui donna naissance à la franchise du même nom dont les diverses productions s'étalent sur plusieurs univers alternatifs sans aucune relation les uns avec les autres, à l'exception de Turn A Gundam.
Cette série était initialement prévue pour 52 épisodes mais compte tenu de son mauvais taux d'audience, elle fut réduite à 39 épisodes. Cependant, Sunrise – le studio de production à l'origine du projet – put négocier un mois supplémentaire afin de terminer l'histoire, ramenant ainsi le compte des épisodes à 43. À l'instar de productions comme Star Trek, la popularité de Mobile Suit Gundam s'est établie avec les rediffusions ainsi que, chose rare pour l'époque, l'immense sucés des lignes de jouets dérivés. Par la suite, l'univers de Mobile Suit Gundam accueillit de très nombreux autres produits dérivés tels que mangas et jeux vidéos.
En dépit de son échec à l'audimat japonais, Mobile Suit Gundam reçut l'Anime Grand Prix – récompense décernée par le magazine Animage à travers un vote des lecteurs pour déterminer le meilleur anime de l'année – à la fois en 1979 et pour la première moitié de 1980 ; ce fut la première fois que l'Anime Grand Prix fut attribué. Il récompensa, pour la seconde moitié de 1980, la série Space Runaway Ideon, elle aussi un échec à l'audimat, du même réalisateur, Yoshiyuki Tomino.
Cette série fut reformatée en movie trilogy au format cinéma avec ajout de nouvelles séquences et quelques modifications de designs ainsi qu'un approfondissement du thème de base. C'est la Gundam Movie Trilogy qui est considérée comme « canon » en termes de continuité dans la chronologie Universal Century, et pas la série télévisée. Cette trilogie de films est actuellement disponible en VOSTF chez Beez.
Le lecteur curieux à propos du modèle de colonisation spatiale développé pour la NASA par le Dr. Gerard K. O'Neill souhaitera peut-être se pencher sur son ouvrage The High Frontier: Human Colonies in Space, dont une ancienne édition fut traduite en français et publiée chez Robert Laffont en 1978 sous le titre Les villes de l'espace – Vers le peuplement, l'industrialisation et la production d'énergie dans l'espace ; à noter cependant que l'édition américaine a été rééditée en 2001 et considérablement augmentée sur le plan des toutes dernières technologies aérospatiales par les meilleurs experts américains sur le sujet (Collector's Guide Publishing, 184 pages, ISBN : 978-1-896-52267-8).