Vide et mirages
Evangelion, c'est nul. Evangelion, c'est bien. Ces deux critiques, certes un peu restreintes, sont exactes l'une comme l'autres. Rares sont les histoires à pouvoir se vanter d'une pareille...
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le 4 sept. 2013
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Cette critique spoile la série ainsi que des éléments du film The End of Evangelion.
"Il n'y a pas de logique entre les hommes et les femmes": c'est cette phrase, répétée à plusieurs reprises par différents personnages d'Evangelion, qui pourrait peut-être au mieux résumer la richesse de l’œuvre. Car, au-delà d'une première lecture strictement scénaristique autour de l'atmosphère bigarrée mêlant science-fiction post-apocalyptique et mystique kabbalistique, Evangelion se dévoile comme un roman d'apprentissage marqué par la quête de soi-même dans une vie où la communication est si compliquée, où le lien social est délictueux, où l'individu est empoisonnée par ses névroses, l'empêchant d'atteindre l'apaisement qui existe dans l'amour de soi-même et des autres. Une véritable philosophie de l'existence, du langage, de l'altérité, de la réalité, de l'action et de l'amour se tisse ainsi derrière cette sombre histoires d'anges, ces eva, ces conspirations, qui nourrit de par sa symbolique un message derrière, adapté à une société japonaise prise dans ses contradictions mais qui fait aussi écho à nos sociétés occidentales contemporaines.
Evangelion met des mots et des images là où peu d’œuvres ont su le faire avec autant de subtilité et de richesse: existons-nous par nous même, pour nous-même ? Ou existons-nous dans l'altérité, qui nous fait autant de mal et paradoxalement nous force à nous oublier ? C'est le fameux dilemme du hérisson (titre du quatrième épisode): l'on ne peut exister qu'avec autrui mais le rapprochement avec ces derniers nous blesse. Chaque personnage illustre à sa manière un déshérence de l'être, dans toute l'ambiguïté d'être soi même et d'être avec autrui.
Le passage à l'âge adulte, à ce monde nouveau qui s'annonce, qui effraie l'adolescent anti-héros (Shinji Ikari) ; les fantômes du passé qui hantent l'adolescente en quête d'attention (Asuka Langley) ; la quête de soi-même là où le poids du collectif est si grand (Rei Ayanami) : autant de situations différentes où le poids des responsabilités, le poids du non-dit, l'incapacité de dire son émotion, l'insuffisance du langage à combler nos désirs et nos angoisses mène chacun à se perdre dans un état dépressif.
Alors, comment en sortir ? Evangelion semble ainsi s'inscrire dans une philosophie non-déterministe, où chacun est en mesure d'agir sur le cours des choses qu'il connaît dans sa vie: si la réalité ne te convient pas, change la, la réponse est dans l'action. Saisis-toi du monde tant qu'il est encore temps, Shinji. Tout serait plus simple si l'on ne faisait qu'un - tel qu'il l'est conçu dans le plan de complémentarité de Gendo - , mais n'être qu'un empêche d'exister: et ce n'est qu'une fois que Shinji le comprend que se parachève la série, dans une scène loufoque de congratulations mutuelles.
Il ne faut pas néanmoins oublier que la beauté de la série et du film ne réside pas seulement dans ce message sur l'action, car agir ne sert finalement qu'à une fin: aimer. Un message qui paraît niais mais qui pourtant est nécessaire pour quiconque a connu ces états de déperdition. C'est le souvenir de l'amour de sa mère qui réveille Asuka, c'est l'amour de sa mère dernière l'Eva-01 qui sauve à plusieurs reprises Shinji. C'est en s'aimant lui-même que Shinji reçoit l'amour des autres, c'est l'amour de Shinji qui donne conscience à Rei de son droit à exister, et qui pousse paradoxalement à son sacrifice. Et les adultes ici s'illustrent par leur incapacité à dire l'amour: Gendo n'agit que par amour du passé et est incapable d'aimer son présent (son fils), Ritsuko malgré toute sa rationalité est incapable de comprendre les codes de l'amour - et c'est ce qui la mènera à sa perte (cf. The End of Evangelion) -, Misato semble clairement souffrir d'une dépendance affective qu'elle noit du mieux qu'elle peut dans le travail et l'alcool. Dire l'amour est ainsi compliqué, agir en est d'autant plus: tout n'est résolu qu'une fois que notre héros ne verbalise son mal-être et son amour, dans une approche quasi performative du langage: dire, c'est faire.
En guise de conclusion, Evangelion est une véritable épopée explorant la complexité de la psychologie humaine, des relations inter-personnelles, les déceptions, les espérances: ça n'est pas une histoire de mecha affrontants des anges, c'est tout simplement des dépressifs en quête de sens dans leur existence morose. D'autres points sont aussi à aborder - la réalisation quasi-parfaite malgré les budgets serrés, la construction des personnages, le scénario mystico-scientifique assez délirant, la techno-science dépassant les hommes qui l'ont pourtant créée -, mais il faut savoir se contenter de l'essentiel: Evangelion est une belle réflexion sur la vie et les possibilités qu'elle nous offre et qui résonne avec beaucoup de sens plus de 20 ans après sa création.
Baka !
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Créée
le 29 oct. 2019
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