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Connaissez vous le cinéma indonésien ? Non, eh bien nous non plus, il nous faut bien le reconnaître… alors qu’il s’agit d’un pays de 270 millions d’habitants, avec une situation sociale et ethnique complexe (on dénombre 1300 groupes ethniques parlant 700 langues différentes répartis sur un millier d’îles !), ce qui devrait a priori inspirer de jeunes auteurs. Quant au nom de Joko Anwar, le créateur de Nightmares and Daydreams, la nouvelle série fantastique, d’origine indonésienne, donc, de Netflix, les aficionados du cinéma de genre le connaissent peut-être : scénariste et réalisateur prolifique de films d’horreur, il s’est taillé un début de réputation dans les festivals avec son Modus Animali, qui l’a révélé à un public pointu, avide de nouvelles sensations.

Cette introduction n’est pas si inutile qu’elle le semble a priori, car le visionnage des 7 épisodes de Nightmares and Daydreams nous prouve qu’on a mis dans le mille, certes un peu sans le vouloir : voici une série qui se positionne clairement du côté « social », et qui nous montre la vie quotidienne éprouvante du peuple indonésien dans presque chaque épisode – à l’exception de Poems and Pains (le troisième), qui se passe dans un milieu intellectuel bourgeois qui pourrait être n’importe où sur la planète (même si un flash-back nous ramène aux racines familiales démunies du personnage principal), et de PO Box (le dernier), qui voit une experte en diamants reconnue – et donc faisant partie de la « bonne société indonésienne » pour son talent – rechercher sa sœur disparue. Tous les autres épisodes tournent autour des difficultés de la population non pas à vivre, mais purement et simplement à survivre au jour le jour, au sein d’une société divisée, indifférente, cruelle souvent, où l’autorité exerce son pouvoir de manière violente.

Nightmares and Daydreams adopte donc largement la forme du mélodrame social, et nous offre à chaque épisode son lot de scènes dérangeantes ou bouleversantes : comment gérer une mère atteinte d’Alzheimer qui met en danger votre enfant quand on n’a pas les moyens de la mettre dans une maison de retraite (Old House) ? L’adoption d’un enfant qu’on ne veut pas aimer peut-il être un moyen de s’assurer des revenus quand on vit dans une gigantesque décharge à ordures (The Orphan) ? Doit-on mentir à propos d’une vision spectrale qu’on a eu, parce que ce « miracle » pourrait sauver son pauvre village de pêcheurs que des promoteurs immobiliers veulent raser (Encounter) ? Le cinéma est-il une évasion sans dangers quant on essaie de survivre avec sa famille dans des conditions précaires (The Other Side) ? Peut-on mettre à profit de manière malhonnête un talent qu’on a pour nourrir sa famille (Hypnotized) ? Chacune des questions posées par la série, chaque dilemme vital exposé par Nightmares and Daydreams est passionnant, et nous brise littéralement le cœur. Et ce d’autant que les images, aussi belles que terribles, que nous propose Joko Anwar sont finalement quasiment toutes inédites.

Du point de vue fantastique, il faut aussi reconnaître que la trame de chacun des épisodes est excellente, en ce qu’elle est mise au service de cette peinture d’une société dévastée par les inégalités sociales, et qu’elle use de symboles pertinents quant il s’agit de les représenter (on pense en particulier au sujet – peut-être pas original, mais fort – du dernier épisode, qui montre une secte de nantis se nourrissant littéralement des capacités de ceux qu’ils dominent). Qui plus est, Joko Anwar nous offre régulièrement des visions hallucinantes, inédites pour la plupart, tranchant avec les codes usés du fantastique et de l’horreur occidentale (sans que l’on sache dire, à ce stade, si cet effet de fascination provient du décalage culturel ou de la créativité de l’auteur…).

Alors, Nightmares and Daydreams, petit chef d’œuvre ? Eh bien, malheureusement, il y a un hic, et un gros : chaque épisode bascule systématiquement au cours de ses dix dernières minutes dans le nanardesque le plus hallucinant ! Qui plus est, Joko Anwar a conçu sa série comme un projet « cohérent » mais en fait totalement barré, qui lui permet de relier tous les personnages dans un unique récit tellement WTF que tous les degrés de la Série Z sont joyeusement explosés ! Joyeusement, car il est difficile de ne pas éclater de rire à la fin de chaque épisode, et de la série elle-même (et on a bien peur qu’il ne s’agisse là que d’une première saison !).

Vous me direz, rire de bon cœur après avoir autant pleuré au cours de chaque épisode, c’est une excellente thérapie ! Mais bon, c’est aussi la preuve d’un gâchis désolant. Un gâchis qui ne doit pas, pourtant, vous empêcher de regarder Nightmares and Daydreams, une série aussi débile qu’intelligente.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/06/24/netflix-nightmares-and-daydreams-lhorreur-cest-la-misere/

EricDebarnot
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le 24 juin 2024

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Eric BBYoda

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