C’est la ouate qu’elle préfère
On ne peut nier les points communs entre “north and south” et “orgueil et préjugés”, mais en y regardant de plus près, les différences sautent aux yeux.
North and south se veut résolument plus “moderne” dans le sens industriel du terme: on touche de près la situation des ouvriers, leurs conditions de travail, la naissance des syndicats, les bienfaits et ravages de la mondialisation, la révolution industrielle en plein cœur (ou la mécanique du cœur...).
Autant de notions complètement absentes des romans de Jane Austen qui s’appuient principalement sur l’étiquette, la bienséance et tout un panel de notions surannées.
Ici aussi on sent le poids des convenances, de l’apparence, des préjugés nord/sud (tiens comme c’est étrange ça me rappelle le titre), de ce qui fait qu’on est ou non un gentleman, qu’on se fourvoie en se promenant seule la nuit au bras d’un homme (donc pas seule du tout en fin de compte), mais ces aspects sont mêlés dans un cotonneux et savant mélange.
Cotonneux est le mot juste puisqu’il se trouve justement que notre Darcy du moment, brillamment interprété par le pas-si-nain Richard Armitage est le taciturne patron d’une usine de tissage. Comme quoi il était écrit qu’il devrait un jour en découdre avec des araignées, sur une grande toile (de ciné of course).
La plupart des scènes prennent place autour de la manufacture, et ça c’est vraiment la réussite de la série: niveau décors on peut dire ce qu’on veut, mais l’usine est superbe (un peu glauque, un peu “mine de germinal à ciel ouvert”, mais tout a fait réaliste suivant la conception que je m’en fais)
Et ces particules de coton qui volent partout, ça donne l’occasion de faire de très belles images - qui deviennent vite cruelle quand on découvre leurs ravages sur la santé du personnel.
L’ensemble des décors et costumes est magnifique, les acteurs sont beaux et bons, mais la mise en scène et la réalisation manquent de maitrise pour en faire un vrai monument. Les scènes se succèdent un peu n’importe comment, on aimerait s’attarder un peu plus sur certaines réactions, bref il manque un petit quelque chose.
On semble se plaire à nous rappeler que nous ne sommes que dans une série, et c’est bien dommage parce qu’avec un peu plus de métier (à tisser) on serait tout à fait emporté.
Du coup une scène qui devait être le tournant de la série (elle vient à peu près au milieu d’ailleurs) devient ridicule parce que mal filmée (je n’ai lu ça nulle part donc c’est sans doute uniquement dans mon esprit que c’est mauvais). Pourtant, on sent qu’il y a une volonté de s’appliquer à faire quelque chose de bien, mais par moments ça sonne faux, et ce n’est pas raccord avec le quasi sans faute du reste de la série.
Partant de là, si on veut vraiment trouver des défauts, il y en a forcément: on pourra objecter que l’histoire d’amour est cousue de fil blanc (et ressemble à s’y méprendre à toutes les autres), que certaines scènes chez les ouvriers sont un peu trop larmoyantes, que l’héroïne est bien idiote avec ses regards bovins qui suivent sans arrêt le beau patron pour le rejeter et lui battre froid dès qu’elle en a l’occasion (mais si elle réagissait autrement on aurait tout fini au premier épisode, elle est donc condamnée à reproduire sans arrêt le fameux: “un pas en avant, 2 en arrière”).
Par contre il faut reconnaitre l’originalité du propos: voir le héros en perpétuel questionnement sur la façon de mener ses affaires, de maintenir son usine en vie face à la concurrence et face aux revendications du personnel, c’est déjà un plus par rapport à la plupart des autres fictions du même type.
Et même dans la relation entre nos deux tourtereaux: on a l’habitude des oppositions franches entre les deux héros sur leur caractère et leur classe sociale.
Ici il y a une multitude d’oppositions et de rapprochements: lui est fortuné mais semble vulgaire dans ses manières par rapport au raffinement un peu naïf et mondain de Margaret. Et d’un autre côté, la famille de Margaret semble vivre son exil comme une punition, et dépend du travail accordé ou non au père, alors qu’à l’opposé la famille de John accepte de venir habiter au pied de l’usine et d’en subir les désagréments sonores, en somme chacun fait les sacrifices nécessaires à sa survie, mais n’accepte pas le mode de vie de l’autre.
Autant dire que les cartes sont légèrement brouillées (mais pas trop, il ne faut pas exagérer non plus!)
Enfin, si l’on commence à chercher la petite bête, on rate le charme de la série qui nous offre un moment sucré-salé: aussi doux que noir, et terriblement rafraichissant (déjà vu le climat de la série, on nage en plein hiver, et aussi parce que ça fait toujours du bien de découvrir de petites douceurs romantico-historiques aussi agréables.