Avant-propos
Les adaptations de mangas en prises de vues réelles dites "live action", c'est une histoire tumultueuse. On se souvient, ou plutôt on aimerait oublier la catastrophe Dragon Ball Evolution en 2009. Mais aussi du film très décrié de l'Attaque des Titans sorti au Japon en 2015. Ou plus récemment cette année avec Les Chevaliers du Zodiaque qui a un petit "lien" avec la série qui nous intéresse. Et tant d'autres qui ont piétiné sur leurs modèles. À contrario, un des rares exemples d'adaptation qui me vient en tête et ayant eu une bonne presse fut le film français Nicky Larson et le parfum de Cupidon en 2018. Réalisé par Philippe Lacheau qui a aussi le rôle-titre.
Forcément, dès que Netflix annonça sa série sur One Piece, cela a engendré une levée de boucliers sans précédent. Et ça s'est empiré lorsque les premières images et vidéos furent dévoilées. Pour autant, j'avais envie de laisser le bénéfice du doute à cette adaptation au lieu de l'enterrer avant même sa sortie. Car c'est uniquement là qu'on sera en mesure de la juger. D'ailleurs, les premiers échos que j'ai eus lors de la diffusion des deux premiers épisodes durant l'avant-première au Grand Rex de Paris (où je n'ai pas pu être) étaient plutôt encourageants.
Le jeu des 7 différences
En tant que lecteur du manga, je suis bien placé pour parler des différences entre la version papier et celle de Netflix. Adaptation oblige, beaucoup d’éléments ont dû être modifiés ou passés à la trappe. Que ce soit en termes de scénario, de lieux, ou de personnages. La plupart des changements ne m'ont pas trop dérangé. Mais j'en ai trouvé certains assez dommageables. Pour autant, l'histoire reste la même et il sera toujours question de parcourir la mer Grand Line à la recherche du One Piece. Le trésor laissé par le roi des pirates Gol. D Roger, et la chose après laquelle court Luffy.
L'arc qui illustre le mieux les libertés qui ont été prises par la version Netflix, étant celui sur l'île d'Usopp qui s'étale sur les épisodes 3 et 4. Et qui sont les moins bons de cette adaptation de mon point de vue. La faute à un rythme qui retombe comme un soufflé. Des choix scénaristiques étonnants (notamment le dernier "échange" entre Usopp et Kaya en fin d'arc). Et des sbires totalement anecdotiques. Contrairement à Kuro, l'antagoniste principal de cet arc, que j'ai trouvé plutôt réussi et menaçant. Surtout durant cette chasse à l'homme au sein du manoir de nuit. Même si ça manquait d'un fauteur de troubles comme Django. L'hypnotiseur qui jouait des tours aux Mugiwaras, et physiquement absent de cette adaptation à mon grand regret.
Autre sbire dont je déplore la disparition, Octo. L'Homme-Poisson céphalopode au service d'Arlong, et le rival de Zoro durant l'arc d'Arlong Park dans le manga. Il avait la particularité d'utiliser six sabres. Un adversaire idéal pour un Zoro qui en manie déjà trois. J'ose espérer qu'il a été gardé de côté pour les prochaines saisons.
Il y a quelques moments clés de la série et du manga sur lesquels j'aimerais m'attarder. À commencer par la scène où tout commence réellement pour le jeune Luffy. La remise du Chapeau de Paille par Shanks. Un grand pirate que Luffy admirait énormément, et qui venait tout juste de lui sauver la vie d'un monstre marin au prix de son bras gauche. Une séquence qui, grâce au jeu d'acteur des concernés, a réussi à m’émouvoir malgré le fait que je la connaissais déjà. J'ose même pas imaginer ce que ça sera le jour où ces deux là se retrouveront. Ce n'est toujours pas arrivé dans le manga à l'heure où cet article est publié.
Autre scène très marquante émotionnellement, le départ de Sanji du bateau-restaurant le Baratie. Un moment d'autant plus impactant quand on sait ce que le cuistot et son chef Zeff (qui fait un excellent Gordon Ramsay dans cette série) ont traversé. Ce qui m'amène à dire que les flashbacks propres à chaque Mugiwara sont de qualité. Même s'ils sont tous tragiques.
En revanche, une scène qui fut bien meilleure dans l'anime, l'affrontement entre Zoro et Mihawk (qui a un sacré charisme). Le plus puissant épéiste de cet univers, et de surcroit l'objectif ultime de Zoro. D'une manière générale, je trouve que la plupart des combats et batailles de cette version n'arrivent pas à la cheville du matériau de base.
Le groupe vit bien
La qualité majeure de cette adaptation est incontestablement son casting. Aussi bien sur l'apparence des personnages très fidèle à leurs modèles à quelques variations près. Que par leur caractère et leur jeu d'acteur d'une grande justesse. En particulier chez l'équipage des pirates du Chapeau de Paille dont l'alchimie se ressent à l'écran et en dehors.
À commencer par Luffy incarné par Iñaki Godoy. L'acteur le plus jeune de la bande et qui physiquement et mentalement ressemble le plus à son personnage. Après visionnage de la série, j'ai du mal à imaginer un autre pour le rôle. On retrouve en lui tout ce qui caractérise cet homme élastique. Sa bonne humeur constante. Sa naïveté. Son appétit sans limites. Son obsession quasi maladive à vouloir être le roi des pirates. Et son amour pour ses compagnons.
Ensuite vient Zoro, le bretteur et le second de l'équipage. Joué par Mackenyu qui sortait tout juste de son rôle en tant que Seiya du récent film Les Chevaliers du Zodiaque évoqué plus haut. Et ayant presque éclipsé Luffy durant les premiers épisodes par son charisme et sa puissance. Notamment lors d'un duel où j'ai été surpris de le voir trancher en deux son opposant. Même le manga n'était pas aussi violent à ce niveau-là.
Quant à Sanji le cuistot, incarné par Taz Slylar, ce fut une agréable surprise surtout quand on sait à quel point il s'est durement entrainé pour le rôle. Puisqu'il a eu le temps de devenir un véritable combattant, et un véritable cuisinier. Une dévotion qui force le respect, et qui n'est pas exclusive qu'à Taz. Car tous les autres acteurs de l'équipage se sont préparés intensément pour leurs rôles respectifs.
On le reconnait bien aussi par la rivalité qui entretient avec Zoro, donnant lieu à quelques joutes verbales savoureuses. Et par son amour des femmes, même si ce trait de caractère est bien moins exagéré et lourdingue que dans le manga. Beaucoup ont râlé sur le fait qu'il n'ait pas son sourcil en vrille. Mais personnellement, ça ne m'a pas plus dérangé que ça.
La même réflexion pourrait s'appliquer à Usopp joué par Jacob Romero Gibson. Qui lui non plus n'a pas l'attribut physique qui est à la source de son nom. À savoir son long nez inspiré directement par ce menteur de Pinocchio. Pour le coup, je préfère ainsi. Et histoire de parler du personnage, je trouve qu'il s'en tire bien malgré le fait qu'il soit un peu en retrait. Mais c'est pareil dans le manga durant les premiers tomes. J'attends de pied ferme l'arc de Water Seven si l'adaptation va jusque là, où l'on verra un Ussop totalement transformé pour une raison que je ne spoilerai pas.
Celle qui pour moi a le meilleur acting de la bande, la navigatrice Nami jouée par Emily Rudd. Aussi attachante et détestable que dans le manga. Même si un peu moins roublarde. Et responsable des moments les plus émouvants de cette saison. Les derniers épisodes à Arlong Park lui auront permis de briller. Notamment durant cette fameuse scène où c'est Luffy qui lui confiera temporairement son chapeau de paille avant de régler son compte à Arlong. Un geste qui montre l'étendue de la confiance du capitaine envers Nami malgré les torts qu'elle lui aura causés.
Mention spéciale pour un personnage qui deviendra pour un temps l'antagoniste principal du groupe. Pour moi le meilleur méchant de la série (devant Kuro et Arlong). Je veux bien sûr parler de Baggy le clown. J'étais dubitatif lors des premiers visuels, mais le voir dans la série a balayé toutes mes craintes. On a affaire à un pirate aussi dangereux que ridicule, et impeccablement incarné par un Jeff Ward qui s'éclate dans le rôle. Même en termes d'apparence, je trouve que ça passe. Avec un petit air de Joker des films Batman, et son gros nez rouge qui lui va comme un gant.
À chacun sa justice
Il n'y a pas que les pirates dans la vie. N'oublions pas la Marine qui n'existe que pour les tenir à carreau et faire régner la justice. Ou plutôt leur "vision" de celle-ci. Une ambiguïté déjà présente dans le manga. Car même au sein de cette entité qui doit représenter le "bien", il existe des personnes mauvaises qui feront passer leurs propres intérêts avant ceux des civils qu'ils sont censés protéger.
C'est la même chose du côté des pirates qui ne sont pas tous des pillards assoiffés de sang et semant la terreur sur leur passage. Il suffit de regarder l'équipage des Mugis pour constater qu'ils sont très loin de cette description. Contrairement aux hommes poissons d'Arlong cochant toutes les cases. D'ailleurs, McKinley Belcher III joue bien ce chef de gang qui hait les humains du plus profond de son être. Et même s'il est nettement moins imposant, je le trouve encore plus vicieux que dans le manga.
Cette justice du "bien", elle est d'abord représentée par Koby. Un personnage interprété par Morgan Davies et qui aurait presque pu avoir la série à son nom tant il a de l'exposition à l'écran. Il est assez ironique de noter qu'à l'image du manga, que le premier ami qu'il se fait en mer soit Luffy. Un pirate, et donc ce contre quoi il doit se battre en tant que Marine. Même si les aventures qu'il va vivre avec cet individu hors du commun vont ébranler tout ce qu'il s'imaginait à propos des pirates. Et avec ce qu'il va découvrir au sein de la Marine, sa vision de la justice s'en trouvera complètement changée.
Et ça, un certain Garp incarné par Vincent Regan le remarquera assez vite au point de vouloir le prendre sous son aile. Afin de faire de lui le soldat que n'a jamais voulu être son petit fils de Luffy. Principale figure d'autorité de la Marine pour cette saison. Et personnage ô combien important dans l’œuvre qui normalement est censé apparaitre bien plus tard dans l'histoire. Au final, pourquoi pas maintenant ? Je l'ai trouvé très convaincant autant physiquement que sur le reste.
Esthétique
Une de mes plus grandes craintes avant la sortie de cette adaptation, c'était la manière dont la série allait gérer les effets visuels. Au final, le rendu n'est pas trop choquant, même s'il est loin d'être incroyable. À l’exception de la scène avec le monstre marin menaçant Shanks après son sauvetage de Luffy. Une créature très bien modélisée et encore plus terrifiante que dans le manga.
D'ailleurs, les attaques de Luffy de type "Gomu Gomu", passent mieux que je ne l'aurais imaginé. Surtout vers la fin lors de son affrontement contre Arlong où l'on voit son "Gatling" à l’œuvre. Et son gigantesque coup de pied "Axe" (avec un plan copié collé par rapport au manga) qui traverse la tour d'Arlong Park.
En revanche, ça n'a pas empêché quelques faux raccords et aberrations visuelles. Dont une que tout le monde a vue concernant Zoro. Où durant une roulade, un de ses fourreaux d'épée se retrouve plié en deux. Une scène qui n'a visiblement pas été revue en post-prod, et a donné lieu à de nombreuses parodies et memes sur internet. D'ailleurs, le Youtubeur taiwanais 六指淵 Huber a fait un très bon short YouTube où il corrige lui-même cette scène.
J'ai beaucoup apprécié le fait que la plupart des objets et décors ont été fabriqués à la main. Comme le Baratie qui est mon préféré du lot autant à l'extérieur qu'à l'intérieur. Idem pour le bateau des Mugiwaras.
Musiques
De base, la bande originale de l'anime composée par Kohei Tanaka et Shirō Hamaguchi, est d'excellente facture. Une de mes préférées étant Overtaken qui se joue souvent en fin d'épisode ou quand les choses deviennent "sérieuses".
Quant à la musique de la version Netflix, on la doit à Sonya Belousova et Giona Ostinelli qui ont déjà œuvré pour la série The Witcher . Et c'est aussi une très bonne composition qui apporte sa propre touche. Même si quelques thèmes cultes ont été revisités dont "We Are" le tout premier générique d'ouverture de l'anime. Parmi mes morceaux favoris, d'abord l'hymne de Luffy "I'm Gonna Be King of the Pirates ".
Le thème au nom de l'épée de Zoro "Wado Ichimonji" aussi épique que tragique. Et joué durant son flashback.
Et le thème de Baggy qui colle parfaitement au côté clownesque et inquiétant du bonhomme.
Conclusion
Dans le jargon, on appelle ça un miracle. Surtout pour une œuvre comme One Piece longtemps jugée inadaptable dans un tel format. Ne serait-ce qu'à cause du côté extravagant et cartoonesque faisant partie de l'ADN même du manga. Je pense notamment aux personnages humanoïdes qui font plusieurs mètres de haut, mais que la série a choisi de ne pas intégrer pour cette saison. Peut-être que ça sera le cas pour les prochaines, ou pas.
Même si j'ai beaucoup apprécié cette version de Steven Maeda qui est certainement une des meilleures adaptations sorties à ce jour d'un manga en live action, ça ne vaut clairement pas l'anime et encore moins le manga. Et ce n'était probablement pas le but recherché. Il faut voir cette série comme une porte d'entrée pour les non-initiés qui voudraient découvrir l’œuvre d'une manière plus accessible. Et Netflix est la plateforme idéale pour ça. Après, reste à trouver le temps et le courage de se farcir plus de 1000 épisodes ou chapitres.
En tout cas, je salue la performance du casting qui s'est donné à fond. Et plus généralement, le respect de cette adaptation envers le manga. De toute façon avec Eichiro Oda aux commandes, ça aurait été difficile de faire un grand écart. Pour la prochaine saison dont j'ai déjà hâte de sa diffusion, je me demande vraiment comment ils vont s'y prendre pour le personnage de Chopper. Est-ce qu'on aura un acteur maquillé comme pour les Hommes Poisons ? Ou bien il sera modélisé en 3D ? Affaire à suivre.