En ces temps troubles de divisions régis par la haine et la peur de la différence, par l'égoïsme et la mauvaise foi, où chacun se replie sur lui-même, ferme ses yeux et sa conscience pour s'installer dans une illusion confortable, je pense sincèrement que nous avons besoin d’œuvres telles qu'Orange is the new black. Parce que cette série m'ait apparue comme une nécessité, et que la puissance de son message pourrait, peut-être, ouvrir au dialogue, du moins rouvrir des yeux qu'on a depuis trop longtemps cherché à aveugler par l'ignorance et la bêtise.
C'est à mon avis l'une des meilleures choses qui soient arrivée à la télévision ces dernières années. Tout d'abord, c'est une série de femmes : par une femme, sur des femmes, (mais pas seulement pour les femmes). Et c'est certainement l'un des éléments fondateurs de son succès. Pas de femmes fatales, ni de femmes objets, ni de faire-valoirs, mais une ribambelle de personnages féminins délicieusement écrits, dont aucune ne fait d'ombre à l'autre.
Le fait qu'elle se déroule la majorité du temps (à part pour les quelques scénettes accordées aux amis / membres de la famille et les flashbacks) dans une prison est une manière pertinente de pouvoir laisser libre-cours à l'épanouissement de ses personnages : on fait table rase des déterminismes (sociaux, culturels) tandis que chacune revêt le même uniforme et se partage l'espace restreint entre ces quatre murs. C'est une première manière d'amener à un propos plus large, et Jenji Kohan a bien su saisir l'importance d'un projet comme celui entamé par Piper Kerman dans son livre autobiographique à l'origine de la série.
Car Orange is the new black est profondément féministe : non-seulement elle regorge de personnages féminins, mais ceux-ci sont particulièrement réalistes. Elles ne répondent à aucune règles, sont humaines, avec leurs forces et leurs faiblesses. Capables du meilleur comme du pire. Ni toutes blanches, ni toutes noires. Si bien qu'il est difficile de désigner un personnage meilleur qu'un autre, tant toutes se valent, se complètent, forment un tout équilibré.
Elle est encore plus féministe parce que ses personnages viennent de partout, et de tous les milieux sociaux – la créatrice avait même déclaré que Piper (middle class WASP girl) était un moyen pour elle d'attirer les audiences pour ensuite élargir son champ de vision sur les autres détenues – , donnant ainsi lieu à une critique sociale franche et piquante, notamment autour de la discrimination sous toutes ses formes (misogynie, racisme).
Ainsi, chaque détenue a son histoire personnelle, et chaque épisode est l'occasion pour nous d'en apprendre plus sur leurs origines et les raisons de leur emprisonnement : une manière d'humaniser ces femmes que le personnel voudrait réduire à des nombres, des moutons, et que ces retours en arrière permettent de comprendre, quand bien même elles fussent détestables. Encore une fois, il est question de s'affranchir des barrières et de briser les stéréotypes, d'approfondir, d'aller plus loin.
Et le mieux, c'est que toutes ces femmes, même si elles ont tendance à s'enfermer dans un certain communautarisme (davantage tourné en dérision qu'à prendre au sérieux), sont solidaires les unes avec les autres, qu'elles mettent entre parenthèses (ou carrément un terme) leurs préjugés, leur orgueil ou leurs rancunes pour s'entraider, partager, et, finalement, s'attacher les unes aux autres. Et c'est essentiel d'avoir affaire à une vision positive de ces relations, qui ne se font pas seulement dans la compétitivité individualiste (même si toutes cherchent plus ou moins à avoir plus d'influence et de pouvoir au sein de la communauté, ce qui n'est pas du tout une mauvaise chose en soi) mais toujours dans une tentative de respect mutuel.
D'ailleurs, Orange is the new black, c'est également la série la plus gay-friendly qu'il m'ait été donné de voir, pouvant aisément s'imposer comme porte-drapeau de la communauté LGBT : qu'elles soient lesbiennes (et elles sont nombreuses), bis ou hétéros, rarement la sexualité aura été montré avec autant de désinvolture, dans une démarche de normalisation, où tout le monde peut s'assumer librement tel qu'il est. Mention spéciale à Sophia Burset, transgenre noire épatante de charisme au cœur de la vie à Litchfield (assurément une de mes préférées).
Et parce que c'est une série à personnages avant-tout, et qu'ils sont la cause de joies, de peurs ou de peines, que l'empathie est inévitable, je déclare ma flamme à Alex Vause, et à toutes les autres, Taystee, Nicky, Poussey, Daya, Piper (je t'aime même si j'ai du mal à comprendre tes prises de décisions sentimentales) ou Pennsatucky, que j'exécrais et qui m'ait devenue chère : comme quoi, on ne peut jamais rien prévoir.
C'est à ça qu'on reconnaît une grande série.