Oussekine
7.6
Oussekine

Série Disney+ (2022)

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Une plongée poignante dans une tragédie oubliée

Oussekine, mini-série française réalisée par Antoine Chevrollier et diffusée sur Disney+, s'attache à retracer l'une des tragédies les plus marquantes et injustement oubliées de l'histoire contemporaine française : la mort de Malik Oussekine, un étudiant de 22 ans battu à mort par la police en 1986. Ce drame s'est déroulé dans le contexte des manifestations contre le projet de loi Devaquet, une réforme universitaire contestée à l'époque. Oussekine brille par son humanité, son authenticité et la justesse de son propos. La série ne se contente pas de reconstituer un événement historique, elle parvient à nous plonger au cœur de la douleur d'une famille, tout en livrant une critique féroce du système judiciaire et policier français.


L'une des grandes forces d’Oussekine est la manière dont elle parvient à recréer fidèlement le contexte historique de la fin des années 1980 en France. Le travail sur les décors, les costumes, et l’atmosphère générale de la série est remarquable. Le Paris de l’époque est minutieusement reconstitué, de ses rues aux visages des manifestants, en passant par les forces de l'ordre suréquipées et prêtes à en découdre. La tension politique qui régnait à l’époque est palpable dans chaque scène, que ce soit lors des manifestations étudiantes, des confrontations avec la police ou des discussions dans les coulisses du pouvoir.


La réalisation est sobre, sans artifices, mais toujours efficace. Antoine Chevrollier choisit de rester au plus près des personnages, privilégiant les plans serrés qui captent les émotions intenses et les dilemmes moraux auxquels sont confrontés les différents protagonistes. Ce choix de mise en scène permet au spectateur de ressentir pleinement l'angoisse, la colère et l'incompréhension qui dominent les événements tragiques entourant la mort de Malik Oussekine.


La série alterne habilement entre deux temporalités : d’un côté, les événements tragiques du 6 décembre 1986, qui aboutissent à la mort de Malik, et de l’autre, les répercussions sur sa famille, ainsi que les procédures judiciaires et médiatiques qui suivirent. Ce va-et-vient entre passé et présent permet d’approfondir la compréhension des enjeux personnels et politiques qui sous-tendent cette tragédie.


Là où Oussekine se distingue vraiment, c’est dans sa capacité à humaniser l’histoire au-delà du simple fait divers tragique. Plutôt que de se concentrer uniquement sur les faits brutaux de la mort de Malik Oussekine, la série choisit de mettre en lumière l’histoire de sa famille, et en particulier la manière dont elle a été affectée par cette tragédie.


La série s’intéresse en profondeur à la famille Oussekine, qui devient le véritable cœur émotionnel du récit. Malik, interprété avec justesse par Sayyid El Alami, est présenté comme un jeune homme ordinaire, aimant la musique et les études, mais aussi marqué par une volonté de s’intégrer dans une société française qui reste profondément divisée. La série ne cherche pas à le glorifier ou à en faire un martyr, mais à le montrer tel qu'il était : un individu avec ses rêves, ses ambitions, et son humanité. La simplicité de sa vie rend sa mort d’autant plus injuste et tragique.


Les membres de la famille Oussekine sont tous magnifiquement interprétés, avec une mention spéciale pour Hiam Abbass, qui joue Aïcha, la mère de Malik. Son rôle est particulièrement poignant, car elle incarne la douleur d’une mère confrontée à la perte brutale de son fils dans un pays où elle se sent déjà étrangère. L’actrice parvient à exprimer, souvent sans mots, une souffrance indicible qui transcende l’écran.


Mouna Soualem, qui incarne la sœur de Malik, Sarah, livre également une performance émotive et juste. Son combat pour obtenir justice, malgré les embûches administratives et les préjugés raciaux auxquels elle se heurte, est l’un des moteurs de la série. Ce personnage montre à quel point la famille Oussekine a dû faire face non seulement à la perte d’un être cher, mais aussi à l’indifférence, voire l'hostilité d'une partie des institutions françaises.


Au-delà de l'histoire personnelle de la famille Oussekine, la série ne perd jamais de vue les enjeux politiques et sociaux plus larges qui entourent la mort de Malik. Le racisme systémique et la brutalité policière, deux thèmes centraux de la série, sont abordés avec une acuité déconcertante. À travers les multiples flashbacks et points de vue, la série démontre comment ces violences ne sont pas le fruit de quelques individus déviants, mais le symptôme d'un système plus vaste et profondément enraciné dans la société française.


La série expose les dynamiques de pouvoir, les jeux politiques, et la manière dont certains responsables cherchent à couvrir les actes des policiers impliqués dans la mort de Malik. On voit ainsi comment l'État, à travers ses institutions, se protège en minimisant les faits et en tentant d’écraser toute velléité de justice. Le parallèle avec d’autres affaires de violences policières, plus récentes, est inévitable, et donne à Oussekine une résonance contemporaine particulièrement forte.


L'une des grandes réussites d’Oussekine est de ne pas tomber dans la simplification ou la caricature. Les policiers impliqués dans la mort de Malik ne sont pas dépeints comme des monstres, mais comme des hommes aveuglés par leur haine et leur sentiment d’impunité, portés par une culture institutionnelle qui valorise l’usage de la force. Cette approche nuancée, bien que dérangeante, donne une dimension plus complexe et réaliste au récit.


Oussekine se distingue également par son rythme maîtrisé. La série prend le temps de développer ses personnages et d’installer une tension palpable, sans jamais tomber dans le sensationnalisme. Chaque scène est pensée pour faire monter progressivement la tension, que ce soit lors des scènes de confrontation entre les manifestants et la police, ou dans les moments plus intimes où la famille Oussekine tente de comprendre et de surmonter l’injustice dont elle est victime.


Les dialogues, souvent sobres mais percutants, permettent de faire ressortir les dilemmes moraux et les injustices avec une grande force. Le choix d’adopter un ton parfois contemplatif, notamment lors des scènes familiales, contraste intelligemment avec la violence brute des événements historiques, ce qui renforce l’impact émotionnel de certaines séquences.


Le travail sur la bande sonore est également remarquable. Les musiques, discrètes mais efficaces, renforcent l’immersion du spectateur dans l’atmosphère oppressante de l’époque, tandis que les silences bien placés accentuent la gravité de certains moments clés.


Si Oussekine raconte une tragédie des années 80, la série fait écho à des problématiques toujours actuelles, notamment autour des violences policières et des discriminations systémiques. La mort de Malik Oussekine résonne fortement avec de nombreux drames contemporains, aussi bien en France qu’à l’international, à l’image de l’affaire George Floyd aux États-Unis ou d’autres cas similaires en Europe.


La série parvient à poser des questions universelles sur la justice, la violence d'État, et les inégalités sociales, tout en restant profondément ancrée dans l’histoire française. Elle montre comment le racisme et la stigmatisation des minorités continuent de marquer les relations entre la police et certaines communautés, et comment les luttes pour la vérité et la justice se heurtent souvent à des institutions qui cherchent à protéger leur propre impunité.


Oussekine s’impose comme une œuvre essentielle, à la fois puissante, émouvante et profondément pertinente. Antoine Chevrollier réussit à traiter avec une grande délicatesse un sujet particulièrement difficile, en parvenant à équilibrer le drame personnel et la critique sociale. Grâce à une reconstitution soignée, un casting exceptionnel et une réflexion poignante sur les violences policières et le racisme, la série marque durablement les esprits.


Plus qu'une simple reconstitution historique, Oussekine est une œuvre d’utilité publique, qui rappelle à quel point la mémoire de certains événements, pourtant cruciaux, peut être effacée. La série redonne à Malik Oussekine et à sa famille leur dignité, tout en faisant la lumière sur un système de répression qui, plus de trente ans après, continue de poser de graves questions sur l'état des droits humains en France.

CinephageAiguise
9

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il y a 3 jours

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