Happé
Le sujet m'avait interpellé, et j'y suis allé sans trop savoir à quoi m'attendre. J'ai eu un peu de mal avec le premier épisode, surtout avec cette façon maniérée d'abuser des flous. Et puis,...
le 26 avr. 2022
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Saison 1 :
Dans le registre post-moderne du « mélange de genres », dont les cinéastes coréens nous ont développé l’appétence, il faut bien reconnaître que le western de science-fiction n’a jamais été le plus remarquable. Même si ses origines sont lointaines, puisqu’on peut remonter au Westworld de Michael Crichton, voire au troisième volet de Retour vers le Futur, on compte les réussites sur les doigts d’une main… amputée ! Avec Outer Range, le nouveau-venu Brian Watkins, à la fois scénariste et showrunner de cette nouvelle série Amazon « de prestige », relève donc un défi plus que respectable, même si, entouré d’acteurs du calibre de Josh Brolin, Lili Taylor (qui ne semble pas changer avec le temps qui passe) et la pétillante Imogen Poots, il a déjà gagné à l’avance notre intérêt…
L’excellente idée de Watkins, c’est d’avoir parié sur un cinéma « mental », préférant une sorte d’épure symbolique – relativement absconde, il faut l’avouer – plutôt que sur un « réalisme » qui aurait fait courir le risque du ridicule à Outer Range. Il s’agit donc ici de l’histoire de Royal, un père de famille, propriétaire d’un ranch au Wyoming (ça se passe de nos jours, mais le temps semble s’être arrêté là-bas…), dont l’âme est comme un trou noir… trou noir dont on découvrira l’origine dans les derniers épisodes de la série. Et qui affronte l’apparition d’un véritable trou noir au milieu de ses terres, qui s’avère être une sorte de portail temporel. Les choses se compliquent encore plus lorsqu’il doit faire face à une puissante famille d’éleveurs qui convoitent ses biens, et dont son fils vient de tuer le leur !
Non, ce n’est pas simple, et soyez prévenus : Watkins ne rend pas les choses faciles à ses téléspectateurs en choisissant de rejeter toute logique (les fans de SF bien construite se lasseront très vite d’une suite d’événements fantastiques sans grande cohérence), et surtout – à l’image de ce qu’on avait déjà regretté avec The Underground Railroad – en filmant une très grande partie des scènes dans une obscurité quasi-totale.
Nous voici donc devant une série dont le scénario réfute toute logique, hormis celle des émotions et des sensations, et dont on ne pourra que deviner une partie non négligeable des scènes. Quant à la conclusion, avec un dernier épisode assez sidérant, rempli de violence (des sentiments comme physique), on ne peut pas dire qu’elle « éclaire » grand-chose de ce que Outer Range nous a raconté jusque-là. S’il s’agit là d’une mini-série (puisque que quand nous écrivons, il ne semble pas y avoir d’annonce d’une seconde saison), on frôlerait presque l’escroquerie…
Et pourtant, et pourtant, Outer Range ne saurait être rejetée sans appel (à part pour ceux qui aiment leurs histoires compréhensibles), parce qu’elle est construite comme une suite de véritables moments de cinéma, certains frôlant même l’excellence (… on a hésité à écrire « le sublime »). Il y a d’abord un passionnant côté « soap » qui se traduit par de grandes et chaotiques scènes de traumatismes familiaux, on pourrait presque dire « à la Dynasty». Il y a de magnifiques moments d’errance dans la nature sauvage du Wyoming, parcourue d’animaux sauvages revenant des temps anciens. Il y a çà et là des fulgurances SciFi bluffantes mais riches en références (un peu de réalisme magique à la Still Life, de Jia Zhangke, avec la montagne qui disparaît, un beau clin d’œil à Spielberg, une filiation souvent récurrente – l’humour en moins – avec le Twin Peaks de Lynch…). Il y a surtout de longues scènes métaphysiques, où s’accumulent les questions sur la solitude humaine dans un monde abandonné par Dieu – ou bien dans un monde où Dieu est mauvais - (d’où le rapport, à notre avis, avec le No Country for Old Men, des Frères Coen). Bref, *Outer Range *est un spectacle en tous points passionnant…
… pour ceux qui ne craignent pas une bonne dose d’inconfort.
[Critique écrite en 2022]
https://www.benzinemag.net/2022/05/07/prime-video-outer-range-un-trou-noir-a-la-place-de-dieu/
Saison 2 :
La première saison de Outer Range, il y a 2 ans, avait fait son petit effet : imaginez la première greffe vraiment réussie – après plusieurs tentatives assez consternantes (même si la version cinéma de Westworld n’était pas si mal…) – de la SF sur le western, avec un casting de haut niveau (Josh Brolin, Lili Taylor et Imogen Poots en premier lieu). Et dans une atmosphère de tragédie familiale quasi shakespearienne, magnifiée par une mise en scène pour une fois de niveau cinématographique. On n’y comprenait pas grand chose, et c’était tant mieux : irrationnel et fascinant, Outer Range était une sorte de trou noir lui-même, où disparaissait notre esprit critique, happé par la fascination inhabituelle que générait cette peinture d’une réalité « hors du temps » – celle des éleveurs de bétail contemporains que peu de choses semblaient distinguer de leurs ancêtres cow-boys – qui se révélait peu à peu comme phagocytée, justement, par un flux temporel incontrôlable.
L’annonce d’un changement de showrunner pour la deuxième saison (Brian Watkins, le créateur de la série, aurait été remplacé par Charles Murray, même si l’ImDB reste imprécise sur ce fait) était du coup assez alarmante, indiquant potentiellement le souci de la part d’Amazon de faire de cette série coûteuse un spectacle plus consensuel, plus accessible. La bonne nouvelle est qu’il n’en est rien, que les aspects quasi-métaphysiques de Outer Range ont été heureusement préservés, et que la magie fonctionne toujours… même si, de fait, la nature de la série change légèrement : on ne peut s’empêcher de reconnaître quelque chose de Dark dans ces histoires entremêlées de voyageurs dans le temps qui réussissent à générer au sein des deux familles d’éleveurs de bétail antagonistes (soit un vieux sujet classique dans le western) des drames inextricables. Si Outer Range ne parvient pas à égaler le génie de la série allemande, elle s’en approche parfois en terme de vertige existentiel, et ce n’est pas rien.
Nous ne dirons rien ici de l’intrigue, régulièrement stupéfiante, de cette seconde saison, pour préserver le plaisir de la découverte ; tout n’est quand même pas du même niveau et certains fils narratifs semblent même faibles, comme si les idées de la première équipe de scénaristes s’étaient égarées dans la transition.
Le plus bel épisode de la série toute entière est le 4ème, Ode to Joy, qui respecte pourtant en tous points les codes du western classique avec son affrontement entre les « injuns » qui commencent à être confinés dans leur réserve et les colons racistes et haineux, et se conclut sur un « twist » sensationnel.
On appréciera aussi que la nouvelle équipe ait un peu levé le pied sur le choix d’une image perpétuellement sombre, inconfortable pour le téléspectateur, et on est désormais impatient de regarder une troisième saison de ce petit bijou qu’est Outer Range. A condition que son bail soit renouvelé !
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/06/12/prime-video-outer-range-saison-2-avec-un-soupcon-de-dark/
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Créée
le 20 août 2022
Modifiée
le 16 juin 2024
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