Critique publiée par moi même sous le pseudo Mugen le 31 mars 2008 sur le site animeFR (http://www.animefr.com/)
Attention Spoiler !!
Paranoia Agent est une série animée de 13 épisodes parut en 2004 et réalisée par Satoshi Kon. Ce dernier, considéré comme un réalisateur culte par toute une génération, nous démontre encore une fois son génie au travers de ce thriller efficace. En effet, Kon a déjà réalisé de nombreux animés de grandes qualités (Perfect Blue, Tokyo Godfathers, Millennium Actress). Avec cette série, il explore encore une fois la limite entre fiction et réalité, thème récurrent dans la majorité de ses œuvres. Pour l'aider dans ce projet, la série est produite par les studios Madhouse. Quant au staff il est composé de Seishi Minakami au scénario (The Skull Man, Shigurui, Paprika) et pour la musique, Susumu Hirasawa, collaborateur du réalisateur sur Millennium Actress et Paprika.
Paranoia Agent est différent de la plupart des animés d'un point de vue narratif. Le synopsisannonce la couleur, on comprend que l'on a affaire un thriller, genre finalement assez rare en japanimation. On peut aussi diviser la série en deux parties distinctes. La première nous narre l'histoire de cette enquête en suivant la progression des deux inspecteurs. L'un est jeune mais encore assez naïf alors que l'autre, plus âgé, représente l'inspecteur type totalement désabusé et bourru. Cette partie n'apporte pas grand-chose, elle est assez simple et efficace. L'enquête progresse, à chaque épisodes ont découvre de nouvelles personnes et de nouvelles agressions ont lieu en parallèle. La série dispose d'un rythme haletant, le scénario s'étoffe rapidement et la psychologie des personnages principaux est définie.
Puis d'un coup, arrivé à la moitié de la série, les inspecteurs disparaissent, laissant place à une suite d'épisodes tous différents les un des autres et racontant des anecdotes qui paraissent a priori sans intérêts. Mais on comprend vite qu'ils sont tous liés par un seul point : Shônen Bat. Ainsi, la série qui avait bien démarré donne une impression de ralentissement brusque en cassant son rythme. On se demande alors quel est l'intérêt de ces épisodes. Cependant, ceux-ci représentent une partie clef de l'animé car de la simple enquête policière, on passe à une critique acerbe de la société tokyoïte. Chaque épisode a son thème, comme la rumeur autour de Shônen Bat, le rejet et le besoin d'être accepté par tous les moyens dans un groupe, le voyeurisme, l'envie, le mal-être de la jeunesse japonaise, etc.
On peut tirer des leçons de ces épisodes et Kon en profite pour rajouter un élément de plus à cet univers complexe. En parallèle, le réalisme qui était totalement présent au début de la série commence à s'estomper pour laisser place à la fiction. La frontière entre réalité et fiction devient très floue, comme dans l'épisode de l'interrogatoire du garçon qui ne fait plus la différence entre la réalité et les jeux. La plupart des protagonistes réagissent plus ou moins de la même manière en essayant de fuir la réalité face à un phénomène inexplicable comme Shônen Bat. Au fil de la série, le spectateur en vient à ne ressentir aucune compassion pour cette panoplie de personnages tous plus lâches les uns des autres.
Un autre point important est la présence de la peluche « Maromi », une sorte d'Hello Kitty. Tout le monde l'achète, ainsi que les produits dérivés. Kon va jusqu'au bout de son raisonnement en montrant une émeute en pleine ville car il y a une rupture de stock de cette peluche. La société de consommation fait perdre totalement le contrôle aux gens en allant jusqu'à les diriger. Cette vision extrême et pessimiste n'en reste pas moins véridique. Ensuite, les derniers épisodes reviennent au moment de la rupture de la série pour nous remontrer ce que sont devenus après plusieurs mois les deux inspecteurs qui avaient en réalité abandonné l'affaire, puis avaient été licencié suite à une bavure. Satoshi Kon en vient à conclure en nous montrant que le jeune inspecteur était devenu totalement fou et avait fuit dans un monde imaginaire mais toujours hanté par Shônen Bat. Quant à l'autre inspecteur, il a fuit aussi dans son monde imaginaire et « parfait » à ses yeux.Cependant, il finit par retrouver la raison et par affronter en face Shônen Bat. Cette action et ce moment sont les seules notes d'espoir qui ressortent de cette série, nous montrant que tous les hommes n'ont pas perdus leur volonté au final. L'ultime métaphore utilisée représente une marée noire envahissant la ville de Tokyo et la détruisant. Elle représente la paranoïa à son paroxysme qui éclate en émeute et le seul moyen d'y mettre fin est de l'affronter et de faire face à ses responsabilités en cessant de fuir la réalité. Shônen Bat est lui-même une métaphore, les gens l'ont créé il est la somme de toutes leurs peurs, de leur parano.
Dans certains épisodes, les gens en viennent à prier qu'il vienne. Il leur met alors une correction, repars et les gens reprennent leurs vies normalement. C'est comme si on corrigeait un enfant et qu'il ne retenait pas la leçon. C'est ainsi qu'à la fin de la série, la vision de Tokyo est la même qu'au début, représentant une société autiste refermée sur elle-même. Elle ne communique toujours pas, elle est restée égoïste et attend simplement qu'un nouveau Shônen Bat apparaisse.
D'un point de vue technique la série est très bien réalisée. L'animation est très fluide, les personnages sont agréables à regarder et leurs visages sont très expressifs (au niveau des yeux surtout). Les couleurs sont assez sombres en général mais cela permet de contraster avec les épisodes plus fantastiques et qui ont des couleurs plus vives, permettant ainsi de différencier un peu le réel de la fiction, le rêve de la réalité. Quant à l'opening, il passe pour un OVNI car représentant tous les personnages principaux en train de rire avec une musique très sympa. Sans donner de réelles explications sur l'identité de Shônen Bat à la fin, Kon nous laisse tirer notre propre conclusion et faire marcher notre imagination.
Shônen Bat n'est pas un symbole uniquement japonais il pourrait se généralisé à tous les pays développés. Plus qu'une réussite totale, Paranoia Agent est une œuvre dense qui nécessite plusieurs visionnages pour en comprendre tout son sens.