Avec les faits divers sanglants qui s’accumulent à Marseille depuis pas mal d’années, il est malheureusement inévitable que la seconde ville de France soit devenu peu à peu l’un des décors les plus propices à mettre en scène des histoires de criminalité et de violence. Comme avec le Chicago de la prohibition ou le New-York sauvage des années 70, ou comme encore avec les favelas de Rio de Janeiro, les scénaristes paresseux des films ou séries TV policières peuvent toujours compter sur la couche de fantasmes qui s’est progressivement sédimentée dans le cerveau du (télé)spectateur pour se payer à peu de frais une crédibilité de personnages hyper-violents, sanguinaires, corrompus, pas très fûtés non plus. Bien sûr, tous les amoureux de la belle ville de Marseille ne pourront que se sentir offusqués par cette représentation caricaturale d’une cité qui semble ici être totalement livrée à la violence et la corruption, et où il est visiblement impossible d’aller à la plage sans se prendre une balle perdue : ils se consoleront, espérons-le, en admettant que c’est toujours mieux que d’utiliser les tensions sociales bien réelles pour faire de la propagande d’extrême-droite, comme ça avait été le cas dans le scandaleux BAC Nord !
Le titre de la série, en latin s’il vous plait, est une allusion directe à la période historique appelée « pax romana », pendant laquelle l’Empire Romain connut une paix relative, après avoir liquidé les petits chefs de guerre locaux qui se menaient jusque là des guerres continuelles. Dans Pax Massilia, c’est un flic issu des quartiers chauds, Lyes, qui a « pacifié » la ville en concluant un accord avec le plus gros dealer de la région, Ali Saïdi – un ancien ami d’enfance – lui permettant d’assurer un contrôle total sur tout le trafic de drogues à Marseille. Jusqu’à ce que cette paix soit rompue par l’apparition d’une équipe rivale, qui ne recule devant aucune violence, même la plus horrifique, pour déstabiliser la ville.
On retrouve clairement ici l’un des sujets fétiches d’Olivier Marchal, ex-flic passé au cinéma : il est impossible de faire régner l’ordre sans, dans une certaine mesure au moins, pactiser avec l’ennemi. C’est la vieille théorie de la « real politik », selon laquelle le mieux est l’ennemi du bien, et les idéaux se fracassent toujours contre la coque très dure de la réalité. Cette vision du monde n’est pas forcément très enthousiasmante, surtout quand elle revient à nous rendre sympathiques certaines des ordures dans le milieu des trafiquants, et antipathique le personnage (classique) du flic intègre travaillant aux « affaires internes » et chargé de nettoyer les écuries d’Augias.
Pourtant, paradoxalement, en dépit de l’accumulation de clichés et l’idéologie assez douteuse qui sous-tend la fiction, Pax Massilia reste une série relativement divertissante. Et le charme de Jeanne Goursaud, échappée des Barbares germaniques (mais conservant une pointe de son joli accent allemand) ainsi que la forte personnalité de Nicolas Duvauchelle ne sont pas étrangers à notre bienveillance !
Il reste que cet équilibre précaire entre les outrances d’une série peu subtile et notre bonne volonté finit par être gâché dans les derniers épisodes, quand le scénario empile au delà de toute vraisemblance les vengeances personnelles des uns contre les autres, les liens familiaux et émotionnels, les destins entremêlés et les débats cornéliens. Avec une histoire un peu plus simple, avec un peu moins d’excès dans la description du milieu marseillais, Pax Massilia aurait presque pu être une bonne série…
[Critique écrite en 2024]
https://www.benzinemag.net/2024/01/05/netflix-pax-massilia-marseille-un-paradis-pour-les-fictions-netflix/