La série qui choisit son public

C'est peut-être le seul problème que j'ai avec cette série, qui est aussi une de ses plus forte qualité : elle a été pensée pour un public extrêmement spécifique. Il faut être queer (ou extrêmement proche de la culture concernée) et avoir le nez plongé dans la culture Américaine. Spécifiquement, LGBTQ+ Américaine. Ensuite, il faut impérativement parler anglais et la regarder en VO. Je suis tout sauf partisante de la VO d'ordinaire, je trouve qu'on a la chance en France d'avoir une excellente VF sur énormément de médias et ça sera dommage de ne pas en profiter. Cependant, j'ai rapidement vu la différence en regardant le même épisode dans les deux langues : ça ne marche simplement pas en Français. Nous n'avons pas tous les mots, tous les termes, pas d'équivalences, et elle ne fait pas bon ménage avec les dialogues, qui tombent souvent à l'eau chez nous. Shakespeare l'emporte sur Molière cette fois-ci.

Alors en quoi être destinée à un public affreusement restreint est une force ? Eh bien sur le plan de l'appréciation générale oui c'est un frein, elle ne deviendra probablement jamais connue de tous, mais quand on fait parti du public visé... c'est parfait. On peut rire à toutes les références, tous les petits commentaires et surtout à ses propres clichés. La série est bourrée de ces stéréotypes utilisés parfois maladroitement, souvent avec une terrifiante justesse. J'ai trouvé ça très drôle, étant moi-même lesbienne, de retrouver des personnages et de confirmer certaines de ces idées, de me dire que "putain, c'est exactement ça". Q-Force a fait le choix de non seulement de s'adresser à un public, mais de le comprendre, et c'est très agréable de retrouver tout ce langage et ces références à des choses quotidiennes pour "nous" avec beaucoup de naturel, sans forcer.

Mais terminé les propos hors de la série; que vaut vraiment le produit final ? La série a de bons dialogues, et des bonnes barres de rire en perspective. Le comique va se trouver essentiellement dans deux choses : les échanges, et l'absurde. On peut facilement argumenter (et avoir raison) sur le fait que certains éléments du scénario ne sont pas vraiment logiques ou ressemblent plus à des interventions divines sorties de nulle part, que certaines choses demeurent inexpliquées. Une situation qui ne me pose pas de soucis dans ce contexte, car tous ces trous scénaristiques sont comblé par un bon humour, qui préfère faire comme si tout était normal et rire de son absurdité. Finalement les choses que j'ai trouvé les moins drôles étaient souvent liées à de l'humour de cartoon pour adulte américain, un peu "pipi-caca" comme c'est leur spécialité et qui n'a jamais été à mon goût.

Si le scénario de la série est beaucoup mieux que ce que j'avais imaginé (mais entre nous je n'avais pas mis la barre très haute, la bande annonce ne vendait pas du rêve), sauter quelques éléments n'est pas un problème ; on ne parle pas de regarder le plot twist du siècle non plus. C'est un divertissement avant tout, où l'homosexualité n'est ni un outil pour se donner bonne conscience, ni un élément du décor qui en ferait râler certains soi-disant qu'un personnage gay n'a pas d'intérêt à exister si sa sexualité n'impacte pas l'histoire. Ce sont des personnes, qui s'avèrent être gays, certains en font plus une histoire que d'autres, certains embrassent complètement la culture qui va avec et d'autres non. Mais n'allez pas croire qu'il n'existe aucune romance ou rapprochement - qui dit espionnage au cinéma dit séduction après tout...

Quoi qu'il en soit, les personnages sont assez attachants, et la série fait le bon choix de se centrer sur qui ils sont et leurs motivations pendant la première partie, puis mettre tout ça de côté vers la fin pour en venir au scénario, à l'action. Les développements sont assez rapides pour la plupart des protagonistes qui ne changent pas vraiment, ils surmontent seulement des défis personnels. Mais je mise sur un sérieux manque de temps et de moyens : 10 épisodes d'environs 20 minutes et une conclusion nette sans laisser entrevoir une saison 2... les créateurs savaient sûrement que la série n'aurait pas plus de temps que ça, alors c'est ma théorie infondée : tout a été compacté. Si c'est bien le cas, c'est plutôt réussi. Encore une fois, c'est en sachant très bien qu'elle n'irait pas loin qu'elle a donné son maximum comme un coureur qui vise la première place au 100m plutôt que risquer un marathon sans savoir s'il aura l'endurance d'aller au bout.

L'animation de son côté est franchement propre. Je m'attendais aussi à moins bien, à une sorte d'animation flash un peu lisse, mais on se retrouve avec des élans d'esthétique inattendus, des animations soudaines très fluides, et parfois de magnifiques jeux de lumière. Les scènes de bagarres sont brèves mais intenses, avec des chorégraphies très sympas.
Sans en dire davantage, tout le subtext de l'histoire est franchement pas mal surtout sur sa fin, même si pour certains personnages, j'aurais aimé une autre tournure, mais voilà une opinion très personnelle.

En conclusion, c'est surtout la série qui décide si vous allez l'aimer ou non. Je comprendrais qu'elle ne soit pas très appréciée, mais elle n'a pas été pensée pour plaire à tous. Ça n'est pas un programme populaire et tout public. La série n'en est pas moins un très bon divertissement, un petit feel-good qui ne perd pas de vue ses histoires d'espionnage, d'enquête et d'action. C'était un très bon moment.