J'ai bien aimé, malgré des problèmes évidents.
Le premier problème, c'est que pour l'instant nous n'avons qu'une série de 25 épisodes qui ne fait que lancer une grande histoire de bien plus d'ampleur, histoire encore en cours à l'heure actuelle. En effet, cette série date de 2016, nous sommes déjà en 2019, on attend la suite. L'adaptation manga est en retard sur l'animé, on va seulement rattraper l'animé. Quand j'ai regardé l'animé, son retard était clair et net. En fait, il s'agit de l'adaptation d'un web novel ou light novel en animé, puis en manga. Mais seuls les trois premiers arcs ont été adaptés en série, et le manga en est à peu près au même niveau. Des traductions du light novel sont en cours, mais là au milieu de l'année 2019, il n'y a que six tomes sur les 18 ou 20 déjà parus au Japon. Il y a un an, j'avais cherché sur la toile à lire le web novel sur internet, mais c'est galère, il faut passer à l'anglais, puis ça donne pas envie de lire. Ce n'est pas du George Sand, du Paul Féval, de l'Alexandre Dumas, ce n'est même pas aussi agréable à lire que du Agatha Christie ou que je ne sais quel roman de chevalerie pour la jeunesse. Puis, je ne vais pas dépenser pour le light novel, ni rien de toute façon. Quant au manga, on a le dessin des personnages, mais les décors, tout ça, ça passe pas mal à la trappe.
Or, sur 25 épisodes, on a des mystères qui sont lancés et qui n'auront de réponse que dans cinq ans pour le public francophone, et encore cinq ans... peut-être sept ou dix...
Quelle est l'histoire ?
On a un otaku japonais qui sort d'une épicerie de nuit et qui, le long de la route, entend des voix, a des visions, puis il ferme la paupière, la rouvre petit à petit dans une pleine lumière et découvre qu'il est sur une place animée d'une capitale d'un monde d'héroïque fantaisie. La série appartient au genre de l'isekai, le héros a été invoqué dans un autre monde, et il cherche à s'y repérer, sauf qu'il en va pas chercher longtemps à se faire des repères, car il va être vite pris dans une action qui l'amènera à se poser des questions d'une autre nature. Mais il pose quelques bases : il suppose que l'invocation vient forcément d'une princesse exceptionnelle, ce que je ne trouve pas anodin pour comprendre ses réactions et pour chercher à deviner où va l'histoire. Agressé dans une ruelle, il identifie la princesse à une jeune fille en fuite, puis à sa poursuivante qui est une demi-elfe aux cheveux d'argent qui va le sauver. Lui décide de l'aider, elle s'est fait voler un insigne essentiel par précisément la petite voleuse enfant que j'ai déjà évoquée. En plus, cette demi-elfe est une élémentaliste et a un animal familier qui s'intéresse aussi au héros, animal familier qui appelle la demi-elfe sa fille. Plus tard, cette demi-elfe demande au héros de l'appeler Satela, du nom d'une sorcière de l'envie que tout le monde craint, qui a disparu et on va comprendre que notre demi-elfe ressemble à Satela, mais qu'elle a fait une blague de mauvais goût. Or, on va découvrir aussi que le héros sent l'odeur puante de la Sorcière. Le truc, c'est que cette demi-elfe, Emilia, est gentille, donc elle ne saurait être la sorcière, sauf que, en douce, un autre personnage, Béatrice, nous apprend qu'elle voulait être aimée et un autre personnage qui veille sur Emilia, le comte Mathers, veut lui vaincre le dragon qui fait partie des ennemis ayant scellé la sorcière. Ensuite, il y a plein de membres du culte de la Sorcière que nos héros vont affronter, avec en particulier des personnages représentant les péchés capitaux, sachant que l'un d'eux envisage que le héros Subaru soit lui-même l'orgueil dans le culte de la sorcière.
Ben tout ça, il faudra attendre des années pour en avoir le fin mot. Spontanément, on se demande si Pack l'animal familier d'Emilia ne tire pas plus de ficelles qu'il n'y paraît à la demande de la Sorcière de l'Envie. On peut penser que la demi-elfe est en étroite correspondance avec l'ancienne demi-elfe Satela, que cette ancienne ait été ou non la Sorcière elle-même. On a bien une demi-elfe qui veut se faire aimer et Pack son familier est prêt à détruire le monde si elle la perd. Ensuite, la main du poison de la sorcière peut agresser le héros ou tuer Emilia, mais Pack en est excepté et ces morts et ces empêchements favorisent à long terme le plan de Pack et Emilia.
Car le support de toute l'histoire, c'est que le héros invoqué n'a hérité d'aucun pouvoir. Il va devoir bluffer pour survivre, il va devoir aussi utiliser les informations qu'il peut glaner de manière originale. Car s'il n'a aucun pouvoir, il subit une loi étrange. Ce monde est dangereux, et quand il meurt, les premières fois, il revient à l'échoppe d'un vendeur de pommes, qui se disent pammes pour le gag. Il doit mettre fin à la fatalité de sa mort, et donc résoudre un problème, et là il passe à un autre problème, mais s'il meurt il renaît à un moment de l'histoire qui ne remet pas en cause les précédentes résolutions. Bref, le héros ne peut pas échouer à la longue, il meurt autant de fois qu'il le faut pour réussir à sauver sa vie et celles des gens auxquels il s'attache, parmi lesquels Emilia. Donc, cette possession par la Sorcière fait avancer comme par hasard les affaires de Pack et Emilia, voire du comte Mathers pour l'instant. Il vit une ou plusieurs fois les choses pour s'informer, comprendre ce qui se passe, puis il résout l'affaire dans une vie où il anticipe tout ce qu'il y a à anticiper. Evidemment, on s'inquiète pour lui, car d'abord il y a des problèmes à résoudre de toute façon et ensuite il vaut mieux qu'il meurt le moins grand nombre de fois possible, car sa personnalité peut flancher à force, il y a de quoi devenir dingue, et d'ailleurs la série décrit la progression du traumatisme vécu.
Evidemment, il y a deux grandes absurdités. La première, c'est que l'invocation on ne sait pas pourquoi elle a eu lieu. Le héros lui-même s'en moque de sa vie passée, il a tourné la page, il accepte ce nouveau monde d'emblée malgré l'horreur de sa situation. Cependant, comme il a eu des visions et entendu des voix, on se dit qu'il y aura peut-être une réponse au moins là-dessus et d'ailleurs on veut savoir aussi qui l'a invoqué et s'il est une connexion précise prévue par la culte de la Sorcière. Mais ça, c'est en suspens, et pour longtemps. Le défaut de l'invocation aurait pu être mieux négocié, avec un personnage qui se pose des questions un peu plus. On aurait pu aussi avoir peut-être la même histoire avec un personnage directement issu de ce monde-là et on se débarrasserait du genre isekai alors inutile. D'ailleurs, si certains veulent trouver que dans la psychologie on a bien un otaku qui apprend dans le monde dans lequel il est, qui évolue face à ses désillusions ou ses réussites, mouais, c'est de la profondeur à deux balles, tout ça, et ça ne ressort pas vraiment de l'histoire de toute façon, juste un peu, mais c'est tellement peu intéressant, superficiel. L'autre défaut, c'est que le personnage fait des boucles comme dans un jeu vidéo, alors qu'il n'est nullement question d'invocation dans un jeu vidéo. Quand il meurt, il retourne dans le passé : une conclusion logique, c'est que lui seul existe, tout le reste n'existe pas. Il fait face à des gens qui ont leurs pensées, mais quand il meurt, tout ce monde disparaît, il est donc le centre du monde et tout s'évanouit à sa mort. C'est le défaut classique des boucles temporelles, en particulier des multiverses et tout particulièrement des retours dans le temps pour corriger le cours de l'Histoire comme c'est le cas ici. Mais bref !
La série raconte trois arcs de longueur inégale. Le premier arc ne s'étend que sur trois épisodes, mais on va dire quatre vu que le premier épisode, par exception, a une double durée. Le second va des épisodes 4 ou 5 à 11, et le dernier arc va du 12e au 25e épisode. Le premier arc introductif est vraiment bien, car malgré l'absurdité d'un tel mode de boucle temporel, l'intrigue est vachement bien foutue. Le héros se retrouve dans une histoire scabreuse où il se fait rapidement tuer, il recommence l'histoire avec à peu près les mêmes rencontres et les mêmes centres d'intérêt, mais il ne comprend pas qu'il est mort à une, puis deux reprises, tellement il fonce devant ce qui se passe et tout s'enchaîne rapidement. Quand il renaît, il n'a pas trop le temps de faire une mise au point qu'il revoit la princesse à laquelle il s'attache, etc. Bref, il ne comprend pas pourquoi personne n'est mort, il va sur les lieux du crime et il découvre que le meurtre a de nouveau lieu, etc. Et ça, c'est passionnant. Il ne revit pas exactement les mêmes choses, il y a plein de décalages, et là c'est de l'intrigue élevée, de l'action et du suspense intenses, etc. Les premiers épisodes sont un régal. Il aide Emilia à la fois à survivre et récupérer son badge, la petite voleuse devient le sujet d'une nouvelle énigme, un méchant disparaît dont on attend encore le retour à la fin de la série d'ailleurs, et en prime on a un truc génial c'est que le héros s'est attaché à Emilia parce qu'elle lui a sauvé la vie et ainsi montrer sa délicatesse d'âme, mais comme il est mort plusieurs fois elle n'a plus de souvenir de cela, et donc elle se croit redevable et ne comprend pas que lui s'attache à elle. A cause de ses boucles temporelles, il connaît trop de choses, a trop d'expériences dont il est seul à avoir le souvenir, et ça crée une situation complexe intéressante, notamment auprès d'Emilia.
Le deuxième arc est moins percutant. Le héros meurt un plus grand nombre de fois, mais entre toutes ces morts, l'action qui se répète avec des décalages n'est pas trépidante, est faite de beaucoup de tranches de vie. Les indices sont distillés au compte-gouttes. Il est facile de deviner le gros problème posé par la morsure du chien, mais c'est rendu plus complexe avec le traitement des deux jumelles Rem et Ram.
Il faut comprendre qu'il y a malédiction et qu'une malédiction permet aussi de faire qu'un être bon décide de vous tuer. D'ailleurs, je me demande si beaucoup de spectateurs comprennent le deuxième arc, l'histoire de malédiction et les comportements de Rem et de Ram. Je parie que non, qu'ils ont suivi passivement et sont passés à autre chose.
Il y a une belle phrase de Subaru à un moment donné, mais je ne m'en rappelle plus, faudra que je la recherche et que je la mette ici. Faudra même que je fasse une sélection de quatre ou cinq répliques qui m'ont marqué sur l'ensemble des 25 épisodes.
En tout cas, le second arc a son charme malgré tout, l'action n'est pas sotte, juste moins prenante que dans le premier arc. Puis, on découvre un attrait fort de la série : les deux jumelles en soubrettes, et on aura en prime leurs têtes toutes choupinou quand elles étaient enfants dans des épisodes de souvenirs. On ajoute à cela le côté bonne poire et le côté dévoué de la fille aux cheveux bleus, et on a un sacré ingrédient de séduction féminine. Autant Emilia est assez fade dans sa façon de parler et de se comporter, autant vestimentairement Emilia est mal fagotée, autant, face à cela, Rem est assez posée, touchante, intéressante, entière dans ses actes, vivante : on ne comprend même pas comme le héros ne la préfère pas finalement. Une situation de harem s'installe, mais elle est désamorcée à l'épisode 18 puisque le héros précise qui il aime à Rem et donc l'éconduit. Elle se sacrifiera désormais pour lui.
Les épisodes 12 à 25 nous font entrer dans une dimension plus sérieuse de l'histoire. Subaru soutient en Emilia une des cinq candidates au trône, et la petite voleuse est elle-même la cinquième candidate inattendue. Dommage qu'elle soit secondaire à l'intrigue, parce que son intervention est mémorable. Felt est le personnage le plus intéressant de la série pour moi, elle a beaucoup plus à dire que Rem... et qu'Emilia évidemment. Malheureusement, là elle n'est qu'introduite dans les 25 épisodes, on ne sait encore pas ce qu'elle aura comme rôle important dans l'histoire.
En revanche, les trois autres candidates sont clairement détestables quand elles nous sont introduites, cela sera atténué ensuite pour la chevalière aux cheveux verts, mais la fille qui pense qu'à l'argent et la femme pourrie à l'éventail sont détestables, et n'ont pas été rattrapées depuis. La série se fonde sur des scènes psychologiques avec pour moi un morceau de bravoure discutable le long épisode 18 entre Subaru et Rem que je n'ai pas trouvé pertinent, ni bon. Pourtant, il y a du bon, même quand la note ne me paraît pas juste, j'apprécie ce qu'on nous montre de la folie de Subaru quitte à ce que l'intrigue n'avance pas vraiment. Il n'y a que l'épisode 18 où j'ai trouvé que l'auteur en faisait des caisses inutilement. L'auteur prétend jouer aussi sur les tactiques dans la négociation, etc. On voit que notre héros ne doit pas être sincère ou trop entier dans ce qu'il fait, il doit ruser et justement utiliser les informations qu'il a en plus vu son régime de vie(s).
Il y a aussi de l'action et on a droit sur quelques épisodes à un affrontement superbe avec une baleine qui vole dans le ciel. Cela enchaîne avec un combat contre des phalanges du culte et un évêque barge et flippant à souhait.
Et on passe à un nouveau mode terrifiant de solitude éprouvée par le héros. Quand des personnages sont tués par des membres spécifiques du culte de la sorcière les gens en perdent la mémoire, sauf le héros. Ceci lui fait donc un nouvel état à part qui l'avantage et l'isole à la fois.
Mais, du coup, on attend désespérément la suite. En plus, il faudra que la suite se rattache aux 25 premiers épisodes. L'animation est pas mal du tout, les graphiques sont très beaux. Aura-t-on la même qualité de réalisation pour la suite ? Et quand on aura la suite, l'histoire sera-t-elle aussi prenante ? S'éternisera-t-elle?
J'ai envie de dire que l'auteur est passionné par son histoire, il est parti dans un cadre d'isekai et d'héroïque fantaisie qu'il apprécie, il a eu cette idée de boucles temporelles à la façon des morts dans un jeu vidéo quand on revient au dernier niveau atteint, ce qui crée un récit profondément incohérent à la fin, mais au sein de ce cadre il fonctionne à bloc, développe le plein potentiel d'une intrigue et décrit ce qu'il aime voir ressentir de subtil dans ses personnages, et du coup ça marche.