Rick et Morty
8.2
Rick et Morty

Dessin animé (cartoons) Adult Swim (2013)

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Si vous êtes comme moi, il y a quelques années, vous avez peut-être accueilli l’excellente note de Rick et Morty avec un certain scepticisme, peut-être teinté d’une petite touche de mépris. Quoi ce truc mal dessiné, qui ressemble à une mauvaise parodie de Retour vers le Futur - ce qu’elle est en fait - visiblement là pour satisfaire tout une frange de la communauté geek, récolte un 8,2 ? Et ben ouais.

La série nous raconte l’histoire de Rick, connard cynique auto-proclamé “homme le plus intelligent de l’univers”, et Morty, son petit fils, pas bien malin lui, un adolescent gentil mais timide comme il en existe des centaines, qui vont vivre des aventures à travers toute la galaxie et ses univers parallèles, en se faisant au passage un paquet d’emmerdes cosmiques.

Un pitch banal, peu engageant, tout comme le style visuel, simpliste donc, qui ne donne pas forcément envie d’en savoir plus. Et pourtant, derrière cette façade se cache à mon sens une des œuvres de science-fiction les plus stimulantes de ces dernières années, surtout dans le domaine de la pop-culture.

L’intérêt premier de Rick et Morty, ce sont leurs aventures. Dan Harmon et Justin Roiland - celui-ci vient de quitter le navire pour quelques hauts faits d’harcèlement d’ailleurs - connaissent leurs classiques de la science-fiction sur le bout des doigts et vont donc s’échiner à faire de leur série une sorte de best-of déjanté et démentiel de toute cette culture. Chaque épisode s’arc-boute sur un concept, assez revu au départ - simulation informatique, clonage, voyage dans les rêves, exploration du corps humain, mondes parallèles, etc - que les scénaristes vont progressivement pousser à son paroxysme le plus absurde. Rick et Morty s’enracine donc avec érudition dans les questionnements foisonnants de la science-fiction ; la paranoïa existentielle de Philip K. Dick, les lois d’Asimov, les théories de l’infini à la Jorge Luis Borges, le voyage cosmique façon Arthur C. Clark…Tous ces concepts sont convoqués puis rapidement passés sous le crible cynique de Dan Harmon. On ne trouvera ici aucune forme de moralité, de salut, et les actes des personnages deviennent vite trop répréhensibles pour qu’on conserve une raisonnable implication émotionnelle. Le tout est ensuite rehaussé avec une pincée de références pop parfaitement digérées qui ajoute le plaisir de la parodie aux tournis sciences-fictionnels. Entre caricatures, narration menée tambour-battant et sens du tempo comique à toute épreuve, chaque épisode édifie un authentique vertige en à peine vingt minutes chrono.

La liste des perles est trop longue pour être exhaustif mais brièvement ; comment oublier cet épisode d’une cruauté inouïe, où l’on constate horrifié que Rick a créé tout un univers pour alimenter le moteur de son vaisseau, univers insouciant qui a lui-même créé un mini-univers pour subvenir à ses propres besoins énergétiques, mini-univers qui est lui-même en passe de créer son univers d’esclaves, sans savoir que tout ceci n’est qu’une micro-civilisation vouée à faire démarrer la vulgaire navette de Rick ? Comment ne pas prendre son pied devant ce vertigineux épisode où Rick créé toute une série de clones de sa famille afin de servir de leurres en cas de danger, avant que les clones ne créent eux-mêmes leurs leurres, jusqu’à élaborer une chaîne sans fin où l’on ne distingue plus le vrai du faux ? Comment ne pas finir à la fois effrayé et mort de rire face à l’épisode de la cuve d’acide, parodie savoureuse du Prestige où Morty possède une télécommande pour remonter le temps de quelques minutes et où chaque essai sacrifie en réalité une version de lui-même ? Comment ne pas se passionner pour cette dimension alternative où le temps s’écoule différemment que Morty utilise afin de faire vieillir du vin plus vite et entraîne malencontreusement une improbable réaction en chaîne où il va devenir l’ennemi de toute une civilisation sur des milliers d’années d’évolution ? Comment, enfin, ne pas être sidéré par tous ces épisodes qui exploitent le multivers et ces millions de Rick et Morty alternatifs, sommet de créativité que même Everything Everywhere All At Once et Across The Spider-Verse n’ont pas effleuré ? Dans Rick et Morty, l’humour détruit tout, le rapport à l’identité, les modèles d’héroïsme d’autrefois, l'innocence que l’on croyait immuable, tout est aspiré dans un vaste méli-mélo référentiel aux proportions folles.

De plus, la plupart des épisodes ont l’intelligence de doubler l’exploitation de ces concepts avec une vraie évolution des personnages, évolution qui va généralement les pousser à comprendre l’impossibilité de trouver la solution à leurs problèmes/dilemmes. Ainsi, Morty causera des centaines de morts en voulant sauver un seul extraterrestre par bonté, Rick finira par se confronter à la thérapie familiale qu’il comptait éviter en se transformant en cornichon, la volonté de Morty de faire une aventure plus naïve se terminera par une tentative de viol, etc.

Au-delà de l’humour, la série va plus loin, forcément. Dans son portrait de la famille d’abord, plus déglinguée que chez Les Simpsons, avec un père stupide et chômeur de longue durée, une mère acide qui n’a jamais pardonné d’avoir été engrossée si tôt, une ainée à la sexualité débridée…Certes, la famille a pour elle quelques moments heureux. Mais il ne faut pas omettre la férocité avec laquelle Dan Harmon les croque. Rappelons-nous cet épisode hilarant - mais horrible - où Beth et Jerry, les deux parents, suivent une thérapie de couple intergalactique qui va concrétiser la vision qu’ils ont de l’autre en créatures en chair et en os, métaphores-vivantes de leurs vices, Jerry voyant sa femme comme une sorte de dieu cauchemardesque et intimidant et Beth percevant son mari comme une limace docile et inoffensive. La dimension familiale prendra d’ailleurs un autre tournant avec la fin de la saison 4 et l’apparition du clone de Beth, qui enfoncera cette destruction généralisée des valeurs traditionnelles américaines. On oublie pas non plus les récits qui évoquent l'infidélité - dont un particulièrement dérangeant dans la saison 6- et la vision cynique de la religion - l’épisode des têtes géantes avec le retour à l’obscurantisme ! Les blagues les plus drôles tirent toujours leur force des constats les plus cruels.

La vision du monde prodiguée par Rick et Morty est sombre, au point qu’à partir de la saison 2, certains épisodes délaissent les gags lors de l’épilogue, nous laissant pris de court face à une noirceur aussi soudaine que sincère. Car là est le paradoxe. Rick est un véritable démiurge qui peut tout faire, sans se soucier de l’espace-temps et d’une quelconque éthique. Sa fille meurt ? Il change d’univers, tue son homologue et reste auprès de celle qui est en vie. La planète devient inhabitable ? Même chose. La fédération galactique le recherche ? Il est assez puissant pour s’en débarrasser sans un demi-scrupule. Alors plus rien n’a de sens, tous les enjeux s’autodétruisent dans une spirale des possibilités hyperboliques. Rick et Morty c’est du post-post-moderne. Il ne reste plus rien de l’amour, de l’empathie. Les potentialités des personnages sont trop grandes. Il n’y a presque plus de place pour les happy-ends qui soulagent. Lorsque les personnages changent de dimension, c’est tout un univers en souffrance qu’ils laissent derrière eux. Et on en rigole, car sous la plume de Harmon et Roiland, c’est foutrement drôle. L’épisode des fêtes de l’Apocalypse, où Rick et Summer écument les planètes condamnées à l'extinction pour profiter de l’extase amenée par leur fin imminente avant de repartir juste avant le cataclysme, j’en reviens toujours pas.

Dès lors, ces fins d’épisode, où le rythme effréné de la narration s’interrompt quelques secondes, apparaissent comme un bol d’air vicié, comme une respiration d’un instant où l’on contemple l’absence de finalité de tout ce bordel avec un soupçon de lucidité. On retient la tentative de suicide de Rick de la saison 2, son regard désabusé face au clonage de sa fille en fin de saison 4, les larmes de Morty à la fin de l’épisode avec Planetina. Tout en finesse, par petites touches, la série nous montre qu’elle n’est pas dupe, que derrière toute la complexité de sa narration, ses références métas et sa sur-couche de caricatures, les personnages ne trouveront pas la paix.

Bien sûr, tout ceci n’est pas valable pour tous les épisodes, en particulier à partir de la saison 4, où l’on ressent une petite baisse de qualité générale, même si l’on retrouve toujours ponctuellement des récits géniaux. Le petit souci, c’est que la parodie devient parfois le moteur principal de ces dernières fournées, en oubliant les personnages. C'est parfois grisant - l’épisode des braquages, celui de la famille nocturne en mode Carpenter ! - mais aussi parfois limité - celui avec Hellraiser, celui avec les robots à collectionner. De même, les concepts eux-mêmes semblent parfois plus faibles qu’autrefois, trop bêtement délirants lors de certains récits - les dragons pervers, les dindes - ceux-là, on les oubliera vite. On pourra reprocher aussi une complaisance nouvelle dans la vulgarité, un défaut qui n’entachait pas tant que ça les premières saisons. Des petits signes d’épuisement peut-être mais qui sont finalement assez logiques lorsqu’on observe la montagne de créativité abattue depuis les premières saisons.

En tout cas, alors que la saison 6 décélère le tempo et se recentre plus que jamais sur les personnages - jamais le semblant de fil rouge, tant chéri par les fans, n’a eu de place plus grande - on peut continuer à faire confiance aux showrunners, qui semblent bien décidés à terminer leur grande œuvre avec malice et fracas.

Newt_
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le 7 août 2023

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