[Création 1]
J’aurais pu pondre une critique rageuse sitôt les deux premiers épisodes avalés. J’ai préféré insister, achever au moins la première saison, sur la foi des recommandations de proches dont je respecte le jugement. J’ai laissé passer quelques semaines, le tout infuser dans ma tête. Je ne considère pas cette série comme une honte, ni comme un ratage complet : 5 me semble une note appropriée. Rick et Morty possèderait même une certaine valeur heuristique, pour autant qu’elle met en lumière pas mal d’éléments qui ne me plaisent pas dans la façon d’écrire l’humour aujourd’hui. Si résume ma critique à un laconique “gratos”, c’est un peu pour le clic - j’apprécierais que quelques personnes tombent dessus et me donnent leur avis. Mais aussi parce que ce mot me semble assez bien synthétiser la façon dont la série est construite (ou pas assez construite justement). Je ne m’érige pas en expert de séries animés américaines, j’en ai d’ailleurs vu assez peu : je connais plutôt bien les Simpsons et South Park ; j’ai fureté du côté d’American Dad, Futurama ou Family Guy, sans jamais m’y plonger au point de parcourir intégralement les saisons. Mais j’aimerais tout de même proposer un avis un peu argumenté.
Je crois d’abord que Rick et Morty autorise un bout de réflexion sur ce qu’il en est des contraintes dans la création en général. Car l’argument de vente du bouzin, c’est semble-t-il son affranchissement total de toute limite/contrainte - c’est souvent le premier trait mise en avant par ses thuriféraires d’ailleurs (“c’est complètement wtf !”). En effet, ça part dans tous les sens. Mais je ne suis pas certain que cette absence de contrainte fasse grand bien à la série. Déjà parce que créer sans contrainte est une sacrée gageure... mais enfin ça, c’est leur tambouille à la limite. Ensuite parce que cette présumée liberté arrachée aux codes du genre me semble la plus enfermante des formes d’écriture. Du what the fuck tant qu’on veut, mais du what the fuck gratos. C’est drôle, je parcourais d’autres critiques en diagonale, et dans l’une d’elle l’épisode le plus encensé par l’auteur est précisément celui qui m’a le plus rebuté : Rick prépare un philtre d’amour pour Morty qui se rend à un bal de lycée et veut séduire Jessica, et le tout part salement en vrille… Cet épisode est le pire que j’ai vu, mais il ne fait que mettre en lumière les défauts plus globaux de la série à mon avis.
Et pour commencer, le fait que rien, jamais, n’a la moindre espèce d’importance. Absolument rien ne vient faire trace, et chaque épisode est comme un grand reboot de l’univers proposé : Rick et Morty peuvent détruire la moitié de la galaxie, peu importe, car Rick sortira une télécommande de sa poche pour annuler l’intégralité de l’action. Quelles que soient les péripéties, l’épisode suivant démarrera dans le garage de la maison familiale, sans que rien ne se soit noué de plus entre les personnages. Cela a tendance à abolir tout intérêt pour eux ; on me prive même de la tarte à la crème du “mince, comment vont-ils se tirer de ce mauvais pas ?” (pourtant le plus petit dénominateur commun en matière d’identification) : de mauvais pas, il n’y a jamais. Mais plus généralement, cela annule toute possibilité d’enjeu. Rien n’a d’importance, jamais. [C’est pour une raison assez similaire que les personnages d’antagonistes qui veulent détruire l’univers m’ont toujours profondément ennuyé : quand chaque action peut détruire ou sauver l’univers, tout enjeu me paraît annulé, par définition.]
Finalement, cela me donne l’impression d’un générateur automatique de scénario complètement random, sur lequel les scénaristes viennent greffer toutes les idées qui leur passent par la tête sans aucune censure. Et cela pourrait s’illustrer assez aisément : n’importe quel spectateur qui se brancherait quelques secondes en plein milieu de n’importe quel épisode de cette première saison en saurait autant sur l’univers que quelqu’un qui a scrupuleusement visionné tous les épisodes. Les relations entre les personnages n’évoluent pas, les personnages secondaires qui apparaissent plusieurs fois n’ont jamais droit à plus de quelques répliques… Rien ne reste, rien ne fait consistance, rien ne tient. Je m’aperçois que le personnage que j’apprécie le plus est de loin celui du père de famille un peu loser. C’est de toute évidence le personnage le plus classiquement écrit, qui correspond le plus aux codes habituels des séries animés un peu malignes. Mais il a le mérite d’être attachant, d’échapper a minima à la logique que je décris, de se poser des questions sur son couple, sur ses échecs : il consiste en tant que personnage.
Cette série m’évoque assez exactement un spectacle de stand-up. Beaucoup beaucoup de vannes, dans tous les sens, sans jamais trancher en élisant un style d’humour ou un ton : un peu d’humour gras, un peu d’humour noir, un peu de références geek mais pas trop compliquées pour qu’elles soient saisies par le plus grand nombre, une pincée d’absurde, pas mal de comique de répétition... et un peu de sucre en poudre. Au total, sur les cinq-cents vannes que contient chaque épisode, bien sûr, il s’en trouvera quelques unes pour me faire sourire ; parmi les trouvailles visuelles ou scénaristiques, certaines s’avèreront assez réjouissantes. Mais c’est un humour qui s’étale, qui ne tranche jamais, qui bouffe à tous les râteliers. Plutôt que de faire des choix au risque de se planter. Si on ajoute à cela un graphisme parfois assez repoussant, et un Morty toujours sur le mode victimaire criard et irritant, cela donne une série paresseuse, qui devrait peut-être s’embarrasser de quelques contraintes.
Je n’attends pas de chaque série qu’elle ait une thématique circonscrite, une cause à défendre, ou une profonde visée politique sous-jacente. Je peux apprécier des formes d’humour très variées, du plus gras au plus raffiné. Mais il ne me semble pas que la volonté de faire du what the fuck abolisse nécessairement toute consistance. Je crois que des séries comme It’s Always Sunny In Philadelphia, ou Community par exemple (pas exemptes de défauts pour autant), parviennent à se jouer d’un certain nombre de contraintes et de convenances, tout en conservant une certaine exigence de cohérence interne. Je me suis également lancé dans BoJack Horseman depuis peu, qui démontre efficacement qu’on peut se piquer de proposer un humour absurde, tout en tenant bon sur les contraintes de l’univers lui-même.