Pas mal de cyniques s'accordent à dire que les séries animées (et pas que), c'était mieux avant. On n'y peut rien, c'est le mode de pensée de certaines personnes. Reste à savoir où commence et où s'arrête ce "avant". Je ne suis pas vraiment ce mode de pensée, personnellement, je continue à trouver qu'aujourd'hui, on peut continuer à sortir des séries d'animation modernes d'excellente qualité, acclamées aux Etats-Unis et parfois même dans le monde entier, regardez la popularité de séries comme Steven Universe, Adventure Time, Gumball ou Gravity Falls, ou si l'on veut pousser plus loin avec l'animation pour adultes, Rick et Morty. C'était très bien avant, et aujourd'hui aussi. Les deux périodes ont leurs bonnes choses comme leurs mauvaises.
Seulement, un petit courant nostalgique se profile chez certains fans d'animation, à destination en particulier des années 90 et début des 2000. Période de renaissance des cartoons, où Cartoon Network et Nickelodeon commençaient à faire leur trou avec des séries bien déjantées et créatives, à la Bob l'éponge ou Le laboratoire de Dexter. Où les aventures sombres et impressionnantes de Batman dans sa série animée côtoyaient la comédie irrévérencieuse pour tous les âges des Animaniacs. Des séries qui auront très vraisemblablement inspiré ce qui est arrivé par la suite, et on ne les remerciera jamais assez pour ça.
Samouraï Jack fait partie de ce courant. Sauf qu'elle n'a jamais fait partie de mon enfance à moi. D'une part je le regrette un peu, parce que c'est sacrément génial, et c'est l'une des preuves qu'on pouvait faire des séries d'animation pour tous publics sans prendre l'un des publics pour des cons. Mais d'autre part, je me demande si j'aurais autant adoré cette série si je l'avais découvert plus jeune. Car disons-le, Samouraï Jack, c'est unique, c'est si j'ose dire une expérience. Genndy Tartakovsky, pour moi jusqu'ici, c'était déjà quelqu'un de très bon en matière de cartoon. Le laboratoire de Dexter, Les Super Nanas, les Hôtel Transylvanie, c'est très chouette. Mais Samouraï Jack m'a prouvé que le bonhomme est aussi un très grand metteur en scène. Au point que je me suis dit que Tartakovsky avait plus de potentiel au cinéma que la saga certes sympathique des Hôtel Transylvanie parce qu'il a du génie de metteur en scène à revendre.
Samouraï Jack est l'exemple parfait d'une série qui puise dans les inspirations tout en étant définitivement unique. Au fil des épisodes, on se rend compte de toute la richesse de cet univers, on sent les influences et les hommages, de Sergio Leone à Akira Kurosawa, de Star Wars à Hayao Miyazaki, de Dr. Seuss à Frank Miller. C'est également la variété de cet univers qui fait son charme, Samouraï Jack pouvant passer, d'un épisode à l'autre, du western à l'espace, d'une histoire de gangsters à une bataille aux côtés de spartiates, d'une ambiance de film d'horreur à une atmosphère nébuleuse de film noir. On découvre de nouveaux territoires avec plaisir et on se rend de plus en plus compte du caractère unique de cette série.
Caractère unique qui se souligne aussi avec toute la magnificence et l'originalité de la mise en scène qui démontre constamment que l'animation est un art aux milles possibilités. J'ose dire que toute la liberté artistique que peut permettre l'animation peut se résumer avec Samouraï Jack. De l'utilisation du noir et du blanc pour le combat entre ombre et lumière, de la place importante accordée à l'atmosphère sonore lorsque Jack s'entraîne pour se battre à l'aveugle, et cumulez les deux avec ce combat contre un démon dans une atmosphère purement terrifiante, entre animation noir et blanc saccadée et design sonore distordu et malsain, et vous vous rendez compte à quel point cette série d'animation accorde une place particulière à la mise en scène et au storyboarding, pour un résultat généralement époustouflant. Il y a plein d'autres exemples à retenir au cours de la série, par exemple l'épisode Jack and the Spartans qui est une pure expérience cinématographique à lui seul, mettant à l'amende un paquet de produits hollywoodiens dans son exécution.
Ce sens de la créativité hors normes dans la mise en scène va de pair avec l'univers exploré qui se renouvelle souvent, et avec les épisodes en eux-mêmes qui souvent se permettent une nouvelle expérimentation bienvenue (The Four Seasons of Death, une compilation de 4 histoires, chacune en rapport avec une saison de l'année). Même si certains épisodes suivent un schéma un peu similaire dans les grandes lignes, la variété est suffisamment présente pour qu'on ne sente à aucun moment un sentiment de redondance. La cinquième et ultime saison, par ailleurs, suit une histoire continue de 10 épisodes de son côté, elle est plus sombre encore (reléguée sur Adult Swim en même temps), et offre la digne conclusion aux pérégrinations du samouraï, plus de dix ans après l'annulation de la série au bout de la saison 4 (parce qu'autrement, le dernier épisode de cette saison, Jack and the Baby, est sympathique sans être renversant, et pas vraiment propre à un grand final, donc frustrant).
La variété de la série s'étend jusque dans sa faculté à jongler d'un style à l'autre d'épisode en épisode, et parfois même au sein du même épisode. Il y a des épisodes rempli d'action, d'autres plus contemplatifs et plus calmes, certains épisodes sont ultra poignants, et d'autres plus farfelus. Samouraï Jack est capable d'arracher quelques larmes (The Tale of X-49, conte crépusculaire d'un robot doté d'émotions s'étant rangé dans une vie tranquille, jusqu'à être ramené de force dans le meurtre parce que son chien est pris en otage), ou encore de faire rire aux éclats (Aku's Fairy Tales, où le grand méchant de la série raconte des histoires populaires aux enfants, remaniées de sorte à ce qu'il passe pour le gentil, et Jack pour le méchant).
Et comment parler de la série sans parler de ses personnages, les deux principaux en particulier. Jack d'un côté, Aku de l'autre. Jack est un héros comme on les aime. Il est puissant, certes, il est souvent capable de se sortir des situations les plus impossibles. Mais il n'est ni invincible, ni dénué d'humanité. Et la série se plaît à le rappeler souvent. C'est ce qui fait tout le charme de ce personnage. Il est badass, mais il est humain, il a des forces et aussi des limites. Aku, de son côté, est l'exemple parfait d'un antagoniste qui peut passer de la grande menace inquiétante au méchant humoristique en un clin d’œil. Il s'éloigne de la tendance de l'antagoniste plus bête que méchant, il a un sacré sens de l'humour mais il sait être sérieux, c'est la parfaite balance entre les deux et ça le rend franchement génial. Les interactions entre ces deux personnages font toujours partie des points culminants de cette série. En particulier l'épisode Jack vs. Aku, merveille de drôlerie s'amusant à déconstruire le cycle s'étant installé dans la confrontation entre les deux personnages. S'ajoute à eux deux une galerie de personnages secondaires tout aussi atypiques, généralement des personnages one-shot (l'écossais étant l'un des rares récurrents, et tant mieux parce qu'il est génial lui-aussi).
C'est tout cela à la fois, Samouraï Jack. Une série qui bosse à fond sur son ambiance (les épisodes sont souvent assez silencieux), qui peut faire passer par toutes les émotions, qui est d'une surprenante maturité et en même temps, qui peut être particulièrement drôle par moments. Il y a des épisodes un peu inférieurs, mais aucun de mauvais à mon sens, chacun a au moins un élément qui le distingue en bien. Et la saison 5 est une excellente façon de terminer le parcours, encore plus sombre et encore plus juste vis à vis de l'humanité de Jack, le point culminant de son parcours de héros et de figure du bien. C'est définitivement une série d'animation comme aucune autre. Une série avec beaucoup d'inspirations, et pourtant tout à fait personnelle. Une série prouvant que oui, la mise en scène est importante aussi dans l'animation. Une série prouvant que Genndy Tartakovsky a tout d'un grand, et qu'il a accouché là d'un joyau pour tous les âges. Une série prouvant qu'on ne sera jamais trop grand pour regarder des séries d'animation, et ça je dis oui.