L'horrifique et la poésie sont compatibles. Le potentiel de l'exploration planétaire est infini.
Alors que le pitch de cette courte série n'annonce que du déjà vu (il faut traverser la nature sauvage pour atteindre une navette de sauvetage), elle peut vous ranimer votre âme de gamin découvrant le foisonnement imaginaire d'un Miyazaki autant que votre émerveillement de lecture d'un Jack Vance ou la terreur d'un Dan Simmons.
Cette série est l'héritage de ce qui s'est fait de mieux en matière de science-fiction et d'animation. Ce n'est pas l'invention d'un nouveau concept capillotracté qui fait la force d'une série spatiale exotique mais bien ses motifs et sa mise en images.
Ce n'est pas parce que des formes de vie extraterrestres ont été imaginées des millions de fois que l'on ne peut pas en inventer des millions d'autres intéressantes. Ce point est probablement le plus fort de Scavengers Reign. On pense à La Planète Sauvage, à Gandahar, on pense aux bédés des Mondes d'Aldébaran, de Léo, on pense à Satoshi Kon, à Nausicaa et Chihiro… C'est de la ligne claire, un dessin très lisible à traits épais et nets, des couleurs presque toujours en aplats associés à un récit simple et linéaire. Grâce à cette ligne claire, notre champ de vision est tout ouvert à de nouvelles créatures. Toutes d'anatomie singulière, leurs modes de vie, de reproduction, d'alimentation nous sont rapidement accessibles par cette simplicité du dessin. La quasi-absence de texture peut perturber mais, conscients de cela, les réalisateurs jouent aussi dessus pour amener des surprises, des ailes qui se déploient, une peau chétive qui se gonfle, ce qui ajoute à la singularité des créatures. Elles sont nombreuses, souvent effrayantes, souvent chargées d'une force métaphorique qui vient soit bousculer les personnages, soit mettre un projecteur sur leurs états émotionnels.
Car bien sûr, une certaine intelligence guette dans cette faune et flore (les deux sont parfois confondues), qui saura utiliser physiologiquement les traits de caractère de chacun, donnant lieu à de superbes séquences oniriques ou mentales, qui ne sont pas des arguments à des délires graphiques mais bien de beaux délires graphiques en totale cohérence avec le récit.
C'est par les créatures, sans aucun bavardage et donc avec brio que Scavengers Reign aborde entre autres le poids de la culpabilité, nous rassure à propos de la courte durée de notre vie ou encore évoque la question de la possible appartenance d'un robot au monde du vivant. Oui, il y a aussi du David Cronenberg là-dedans, des organes, de la chair qui parfois se lie avec les entrailles techniques d'engins futuristes.
Le deuxième point fort, c'est le rythme. Car avec autant de formes de vie à proposer, on risque fort l'énumération et donc la lassitude devant une liste déroulée de péripéties semblables. Ce qu'ont trouvé Charles Huettner et Joe Bennet (deux inconnus d'après internet, on va les suivre) n'est pas nouveau, ils ont fait comme King Kong en 1933. Aucun monstre n'est suffisant à susciter l'émerveillement ou l'angoisse, c'est sur leur accumulation que l'on parie. Ainsi, quand King Kong pointe le bout de son nez au bout de 20 minutes de film, c'est pour ne plus nous quitter et enchaîner les combats contre les dinosaures puis contre New-York sans s'arrêter, jusqu'à la mort.
Dans Scavengers Reign, une créature en cache toujours une autre pendant qu'une troisième guette au loin. Le danger est partout, l'aide est très rare et ce qui nous émerveille peut nous être fatal. En nous baladant de la curiosité à la contemplation, en passant par la suffocation, l'attente, et même le désespoir, les créatures fournissent tous les états par lesquels un spectateur peut passer mais les réalisateurs n'ont pas oublié où ils étaient : dans un survival. À cela on ajoute donc l'eau, la boue, le vent, grimper, tomber, la faim, la douleur, la fatigue, les blessures, le mal du pays, les engueulades…
La force de tout ça doit probablement à une modestie très équilibrée des créateurs. C'est parce qu'aucune créature ne nous satisfait pleinement qu'on en rajoute et qu'on ne s'attarde jamais vraiment sur une seule. Mais on ne cède pas non plus au toujours plus. La frontière entre surenchère et surplus est une lame de rasoir sur laquelle Bennett et Huettner font du funambule. Idem pour les personnages : il leur faut une personnalité, des caractères originaux mais la maturité créative sait à quel point une narration a besoin d'archétypes comme l'apprentie, le mentor, l'oracle, l'opposant mais en s'adressant à un public qui sait lire, sans lui flécher les éléments, sans grossir les traits, sans indiquer le sens de lecture et sans tirer de chewing-gum.
Scavengers Reign nous montre qu'il n'est nul besoin d'inventer l'eau chaude pour faire de la bonne SF en invoquant les fondamentaux du cinéma : de l'image, du son, du rythme, du mouvement. C'est combo pour cette petite merveille de 2023.