Quand tu es fan de F1, tu regardes jusqu'au bout. Et le meilleur, c est ce bout, puisque les images sont les vraies, même si chaque épisode en introduit.
J'ai assisté à mon premier GP en 1973. J'ai continué à me rendre au circuit jusqu'à cette année, également à l'étranger, comme emmener mes enfants voir leur 1er gp au Nürburgring en 2007. Je vais principalement à Spa-Francorchamps, qui n'est qu'à une demi-heure de chez moi. Quasi dans mon jardin. Le plus beau circuit naturel du monde. J'étais au pied du Raidillon quand Anthoine Hubert s'est tué. J'étais au 1er virage de Zeltweg 1975 quand Mark Donohue s'est tué. Mon 1er souvenir de Formule 1 reste la mort atroce de Roger Williamson à Zandvoort. Mon premier chagrin, la mort de François Cevert le 6 octobre de la même année.
J'ai, dirait-on, pas mal roulé ma bosse en écumant les pistes, quelle que soit la catégorie de sport auto, du GT, à l'endurance, aux World Series by Renault, au WRC, mais la F1 reste ma préférence. Mes enfants ont grandi dans la proche ombre de certains pilotes rencontrés, ados, dans leurs petites monoplaces puis qui ont grimpé jusqu'à des titres de champions du monde. Ce n'était pas avoir le cul bordé de nouilles, mais une conséquence de présence, de soutien, de respect et d'échanges construits sur de nombreuses années, par certains sacrifices financiers aussi.
C'est donc avec une certaine légitimité que je veux partager mon ressenti quant à cette série version Netflix...
On est très loin du documentaire.
Certes, j'ai découvert certaines choses sur Senna jeune, choses qui restent des détails servant à faire larmoyer les formulix (ceux qui ont commencé à suivre la catégorie reine du Sport Moteur grâce ou à cause de Drive to Survive), les brésiliens et les fans absolus (= rigides) de Ayrton.
Cette série mielleuse dégouline de bons sentiments, avec un Senna mièvre et si peu charismatique, avec des ellipses de temps incompréhensibles, des faits importants passés sous silence ou mentionnés vite fait en last minute. On a droit encore une fois à la "meilleure version déifée du pilote" alors qu'il n'était pas un saint ni sur piste ni en dehors.
A cette époque, je n'avais aucun chouchou, j'étais une fan de Hunt que j'ai rencontré à Zolder en 1978. Et mon coeur s'est déchiré à la mort de Ronnie Peterson peu après.
Je ne supportais donc ni Senna, ni Prost, ni Mansell et je vomissais Piquet. Il m'a fallu des décennies pour revivre l'émoi d'un favori.
J'insiste, la légende Senna EST totalement méritée, je l'ai vécue en direct avec toutes mes tripes. J'ai admiré Senna sans en être fan. J'ai vibré à chaque GP, tant le suspense et les manœuvres behind the scenes étaient intenses. mais ici on nous montre un Senna bien lisse, bien pâlot.
Je ne sais s'il faut en rire ou en pleurer, mais les acteurs choisis pour représenter les pilotes et autres sont grotesques. James Hunt qui ressemble à un Jean-Fi Janssens, fallait oser. Avec les gros clichés y attenant (le ballon de rouge et le marcel). Les caractères sans doute les mieux respectés sont ceux de Balestre, Ron Dennis et le père d'Ayrton.
Voici donc une Telenovela ultra colorée version F1 2024, avec des gros bruits exagérés (pourquoiiiii, avec de tels moteurs et les turbos?), des gros plans sur les casques (Rush #2) des images de course playstation, un hymne au pays de l'Ordem et Progreso.
Avec une histoire réelle aussi dense, on aurait pu mieux développer le côté dr Jekyll et mister Hyde de Senna, expliquer pourquoi il faisait tant la différence (talentueux, malin, sexy et ambitieux) mais aussi pourquoi une partie du public ne l'aimait pas : son arrogance, sa bigoterie qui mettait les autres pilotes en danger, voulant rouler à tout prix sous des pluies torrentielles parce que Dieu veillerait sur lui. Je n'ai pas effacé de ma mémoire certains mauvais gestes en piste, clairement anti-sportifs qu'on encense maintenant alors que ce sont aussi ceux qu'on reproche à Schumacher ou à Verstappen aujourd'hui.
Ici on n'aura que du gentil-mimi incompris glorifié et tous les autres sont des méchants, boooooh, les vilains.
Introduire un personnage fictif (la journaliste) n'amène absolument rien. Elle représente un melting-pot d'une certaine presse.
Le vrai Senna était fascinant, troublant. On se sentait écartelé entre sa générosité envers la fondation Senninha, son amour pour son peuple, son incroyable coup de volant, son intrépidité, mais aussi par son côté sombre de fouteur de m***, de manipulation. À l'heure du woke, je reste aussi étonnée que nulle part on ne mentionne sa longue relation amoureuse avec une ado de 15 ans.
À regarder sans attente "pointue" si on est petrolhead dans l'âme et la chair. Au mieux, contentez-vous de revisionner ses meilleurs et pires moments sur YouTube. Pour les autres, vous aurez droit à du spectacle Netflixable et si cela vous convient, qui suis-je pour vous juger. Il en faut pour tout le monde.