Adaptation au format mini-serie d'un roman de Gillian Flynn (qu'elle a d'ailleurs coproduite), "Sharp Objects" ne peut que diviser. Il est impossible de nier que la série souffre d'un défaut majeur, courant de nos jours, qui est un délayage au-delà du raisonnable d'une histoire qui aurait pu très bien être traitée efficacement en un long-métrage de deux heures, voire, en étant généreux, en un format "à l'anglaise" de 4 épisodes au lieu des 8 que l'on nous impose ici. Pire sans doute pour les amoureux d'énigmes policières, il est assez facile de comprendre dès le second épisode qui est l'assassin, ce qui nous oblige ensuite à pester tout au long de la série quant à la lenteur avec laquelle la "vérité" va nous être "révélée".
Et pourtant, deux choses vont transformer cet échec potentiel en une franche réussite, voire même en l'une des mini-séries les plus mémorables de 2018. D'abord l'excellence de la mise en scène de Jean-Marc Vallée, qui surpasse encore son travail déjà remarquable de "Big Little Lies", et transforme chaque instant ou presque de "Sharp Objects" en un cauchemar poisseux et halluciné qui va culminer dans une conclusion littéralement asphyxiante. On critiquait régulièrement Vallée pour sa tendance dans ses films à trop en faire dans le symbolique et le sur-signifiant, mais il faut bien admettre que, au-delà de certains procédés un peu répétitifs comme ces brefs flashbacks qui foudroient la conscience de Camille, héroïne détruite par son enfance, ce style flamboyant lui permet de transcender l'aspect convenu du script tournant autour des secrets bien gardés d'une petite ville du Sud des USA agonisant dans sa culture réactionnaire.
La seconde chose que l'on n'oubliera pas de sitôt, c'est l'interprétation intense de Amy Adams, bonne actrice à qui l'on a offert ici le rôle de sa vie, et qui a visiblement sombré toute entière dans le marais saumâtre des tourments de son personnage excessif : entre alcoolisme et auto-mutilation, il était facile d'aligner les clichés et de trop en faire, alors qu'elle réussit toujours à rester complètement juste, et surtout du bon côté de la performance d'acteur. La rumeur veut qu'elle ait d'ailleurs refusé de donner une suite à la série tant le rôle avait été éprouvant pour elle, ce qui n'a rien d'étonnant quand on imagine ce que cette interprétation doit vous obliger à aller chercher en vous-même, au coeur de ce qui vous construit comme personne : la relation avec votre mère pendant votre enfance...
Si "Sharp Objects" est bien tranchante, elle est loin d'être un objet parfait, mais elle constitue une éprouvante expérience sensorielle et émotionnelle, qui pourra rebuter nombre de téléspectateurs, mais valide le talent impressionnant de son réalisateur et de son actrice principale.
PS : je ne prévois pas néanmoins et pour l'instant d'aller passer des vacances à Wind Gap.
[Critique écrite en 2019]