Je voulais aimer, et même adorer Sherlock. D'abord, ça vient de la BBC, qui a l'habitude de promouvoir de magnifique séries - Broadchurch ou Downton Abbey, voire pour sa version américaine Orphan Black. Benedict Cumberbatch y trouve le rôle de sa vie, et son duo avec Martin Freeman fonctionne à merveille. La mise en scène est magistrale, la musique excellente, et les hommages au matériau d'origine extrêmement malins et élégants. La qualité de production y est largement digne du grand écran, et écrase son rival américain en apparence plus convenu, Elementary. Car je vais être honnête, je ne peux pas vraiment parler de Sherlock sans mentionner Elementary, tant mon opinion d'un des shows est indissociable de ce que je pense de l'autre.
Nous sommes donc face à une réinterprétation moderne du héros de Conan Doyle, jeune génie invivable qui se retrouve en colocation avec le Dr John Watson, médecin militaire revenu du front, avec lequel ils vont tenter de résoudre différents crimes et mystères. Chacun des dix épisodes emprunte à une ou plusieurs des aventures originales de Holmes, mais les retravaille de façon à préserver le mystère pour les fans du détective, pendant qu'en toile de fond, une main maléfique semble bouger les pions pour ruiner l'existence de Sherlock - celle de Moriarty, bien entendu.
J'ai déjà énoncé les nombreuses qualités de la série plus haut, je ne vais pas y revenir, et je vais plutôt me concentrer sur ses deux plus gros défauts. Le premier, j'admets qu'il est un rien injuste, mais le second me gêne bien plus considérablement.
Donc, pour le premier défaut : le jeu avec le matériau d'origine. Comme je l'ai dit, les références aux livres sont légion, et ne dépassent jamais le stade du clin d'oeil (contrairement à, par exemple, Star Wars VII) de telle sorte qu'elles n'envahissent pas l'écran. Cependant, leur utilisation est, à mon sens, beaucoup trop sage. De peur de fâcher ou de vexer les intégristes de Holmes, rien n'est changé, si ce n'est la solution des mystères. Tout au plus - choix évident de nos jours - le personnage de Moriarty est-il plus proéminent qu'il ne l'était dans les oeuvres de Conan Doyle, mais sans pour autant apporter de véritable réinvention. Or, sur ce sujet, Sherlock pâlit en comparaison d'Elementary qui est bien plus enclin à jouer avec les codes et les attentes du spectateur pour réellement le prendre de court, que ce soit avec Moriarty, ou plus évidemment avec Watson, devenue Joan. On se retrouve donc avec une très belle série, mais qui reste obstinément dans les sentiers battus.
Le second défaut est plus problématique, et il tient en un nom : Steven Moffat, le showrunner. J'avais ouï dire de son "manque de talent" dans l'écriture des personnages féminins, mais dans Sherlock, cela atteint des sommets (sans même avoir besoin de comparer avec Elementary) : les femmes sont toutes assujetties scénaristiquement à un personnage masculin, ou des créatures faibles victimes de leurs émotions. Il faut attendre la troisième saison pour qu'un personnage féminin devienne réellement important (Mary Watson), et même son traitement est, disons, plus que discutable sur certains aspects. Quant au dernier épisode, The Abominable Bride, il est une tentative complètement ratée de Moffat de convaincre le spectateur qu'il est en réalité progressiste - cela aurait pu marcher si l'épisode était sorti en 1960, mais en 2016, il apparaît presque comme un anachronisme d'une naïveté presque touchante. La comparaison avec deux oeuvres contemporaines traitant approximativement de la même période historique, Downton Abbey et Les Suffragettes, n'est pas tendre avec Sherlock.
Au-delà du sexisme latent, il apparaît par moments que Moffat est quelque peu imbu de sa personne, et préfère jouer avec les fans plutôt qu'écrire une histoire. Le premier épisode de la saison 3 en devient ainsi irregardable tant il se limite à rire des théories échafaudées par les fans et de leurs discussions sur les relations entre personnages. Autant Moffat parvient à gérer les références aux livre d'origine avec discrétion et élégance, autant il chausse ses très gros sabots dès qu'il convient d'ajouter des éléments dirigés à la fanbase, et les clins d'oeil deviennent des sifflements dignes du loup de Tex Avery.
Maintenant, pour ce qui est du bilan, je tiens à dire que Sherlock est tout de même une série à voir tant sa réalisation est magistrale. Les raisons qui me poussent à lui mettre une note moyenne sont liées à l'existence d'autres shows qui prouvent que sur certains points, Sherlock est à la traîne, voire carrément à l'envers. Quant à l'écriture de Moffat, elle ne devient visible que si on s'intéresse à tout ce qui entoure la série, mais regardez-là sans vous plonger dans les discussions sans fin des forums, et elle ne vous dérangera absolument pas.