Une fois n’est pas costume, je vais m’atteler à une critique croisée de deux séries récentes tournant autour d’un des plus célèbres détectives de l’histoire littéraire : Sherlock Holmes.
A quelques années près, la même idée a germé dans la tête de scénaristes et producteurs plus ou moins connus : ressusciter Sherlock et l’intégrer à notre époque de technologies ultrasophistiquées où il suffit de claquer des doigts pour avoir toutes les informations que l’on souhaite. Sur le principe, aucune objection de ma part tant le concept du génie de l’observation et de la déduction dans le cadre d’enquêtes criminelles peut s’adapter à toutes les époques (les connaissances développées ne sont tout simplement pas les mêmes).
D’un côté, nous avons donc Steven Moffat et Mark Gatiss qui établissent un Sherlock anglais jusqu’à la racine des cheveux, et de l’autre Robert Doherty, qui décide de catapulter le détective de l’autre côté de l’Atlantique, au pays de la country et des hamburgers géants. Pour le premier cas, la prise de risque est minime puisque le personnage d’origine est déjà anglais et qu’il siège à la même adresse. Les plus fanatiques apprécieront. Pour ce qui est de la seconde série, je dis « pourquoi pas ? », même si cela va conduire à quelques contraintes sur lesquelles je m’étendrai par la suite (d’autant plus que je ne peux m’empêcher de penser que Sherlock a été implanté aux Etats-Unis uniquement pour que les Américains s’y intéressent).
Entamons désormais notre étude croisée à proprement parlé.
(Pour la critique d'Elementary, voir par là : http://www.senscritique.com/serie/Elementary/critique/78842235 )
Sherlock : dans la série éponyme (l’anglaise donc), Sherlock ressemble à l’image que je m’étais faite du personnage en lisant le seul livre de Conan Doyle que j’ai eu entre les mains : grand, fin, froid, suffisant, hautain, maniaque, désagréable avec un côté « Monsieur-je-sais-tout » mais extrêmement observateur, clairvoyant, hyper-mnésique et incapable de comprendre tout le panel des sentiments humains. Benedict Cumberbatch campe un Sherlock hyperactif qui traite tout le monde d’imbécile, qui joue des tours pendables à Watson en nous faisant croire à sa sincérité et qui fait passer son nombril avant toute autre considération (dixit l’épisode 2 de la saison 3 lorsqu’il demande un coup de main à Lestrade pour l’écriture de son discours). Un Sherlock au regard glacé, tour à tour cruel, naïf, excité, dépressif ou surpris qui ne vit qu’à travers la résolution d’enquêtes et la clope. Mais un Sherlock qui évolue peu à peu aux côtés de Watson, Molly et Lestrade, et qui se prend quelques retours de bâtons pas démérités. Bref, il est parfait.
Watson : outre-Manche, Watson revient de la guerre en Afghanistan en clopinant, suivi par une psy qui est persuadée que sa claudication est psychosomatique. Un Watson en proie à des cauchemars – réminiscences de son séjour en Asie –, taciturne et quelque peu déboussolé qui trouve en Sherlock cet apport d’adrénaline auquel il se révèle accro malgré les déconvenues qu’il subit régulièrement. Un Watson trop gentil qui mériterait lui aussi quelques baffes à se laisser rouler dans la farine ainsi, mais qui heureusement bénéficie de quelques séquences de défoulement qui font plaisir à voir. Un Watson, enfin, qui bien qu’amateur de sensations fortes et s’ennuyant ferme en consultation, conserve sa bienveillance et surtout sa désapprobation de l’illégalité.
Les personnages secondaires : dans Sherlock, le principal intéressé est entouré : d’une scientifique œuvrant à la morgue de l’hôpital St Barthelemew, Molly Hooper (pas si secrètement amoureuse de lui bien qu’il ne se préoccupe que de ses cadavres et ses tubes à essai) ; d’un commissaire divisionnaire admiratif, Greg Lestrade (qui voue un culte au moindre mot qui sort de la bouche de Sherlock) ; du lieutenant du commissaire, méfiante et absolument certaine que Sherlock est aussi timbré que les types qu’il poursuit (ce qui n’est pas tout à fait faux…) et qui est aussi convaincue qu’un jour où l’autre il passera à l’acte simplement pour avoir de quoi s’amuser encore (ce qui, encore une fois, n’est pas si dénué de sens) ; et du médecin légiste de la police, Anderson, tour à tour haineux puis fanatique sans que le mépris ne quitte jamais vraiment leur relation.
Moriarty : comment évoquer Sherlock sans parler de son ennemi légendaire, James Moriarty ? Ici, il est rebaptisé Jim (ce qui fondamentalement ne change pas grand-chose mais pourrait hérisser le poil de certains) et s’avère être à l’opposé du détective : petit, râblé, le cheveu court, l’œil noir et une expressivité démultipliée par la folie qui fait pétiller son regard. Si l’apparence de Sherlock reste relativement la même tout du long de la série, Moriarty est plus polymorphe, alternant sans peine le jean taille basse et le costume classe, en passant par le survêtement du dimanche après-midi. Si Sherlock demeure impassible les trois-quarts du temps, Moriarty grimace en permanence, enchaînant la démence froide, la fureur grossière, la joie extatique, la moue boudeuse, etc. Mais ce qui est certain, c’est qu’ils sont aussi perchés l’un que l’autre.
La réalisation : Steven Moffat et Mark Gatiss ont pris le parti de représenter visuellement le fil des pensées de Sherlock, en affichant notamment à l’écran ce que chaque détail de l’apparence des gens qu’il croise lui indique sur eux. En affichant les images mémorielles qui défilent sous la chevelure bouclée de l’inspecteur, les hypothèses qui se forment et s’effacent dans l’esprit bouillonnant de l’Anglais et en faisant flotter dans l’air le contenu des sms qu’il envoie et reçoit plutôt que de faire un plan sur l’écran de son téléphone. Une réalisation rythmée, tonique, inédite, un peu brouillonne parfois et qui demande une concentration de tous les instants. Et une musique d’ambiance qui pèse sur chaque scène, oscillant entre l’entrain et la tension sans fausse note.
Conclusion
Sherlock est un pur produit britannique avec ce qu’il faut de second et de troisième degré pour passer un excellent moment (à condition de ne pas y être hermétique). Le rythme enlevé des épisodes fait qu’il est assez rare de regarder sa montre pendant les 1h30 que dure chacun d’eux. Au contraire, lorsque le générique de fin apparaît, on en redemande (et que dire de celui du dernier épisode de chaque saison…). L’alchimie entre Benedict Cumberbatch (fabuleux !) et Martin Freeman (brillant) fonctionne à merveille. Le duo est d’ailleurs suffisamment intéressant pour donner envie de suivre leurs aventures, sans pour autant écraser totalement les personnages alentour que sont Molly, Lestrade, Mme Hudson ou Mycroft (génialement stoïque). En bref, une série addictive qui se dévore trop vite.