Sky Rojo
6.1
Sky Rojo

Série Netflix (2021)

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Les plaisanteries les plus courtes... [Critique de "Sky Rojo" saison par saison]

Saison 1 :
L’Espagne détient le triste record d’être le premier pays d’Europe consommateur de prostitution, avec 40% des Espagnols y ayant recours. Même au niveau mondial, l’Espagne brille en montant à la troisième place sur le podium ! Et, dans un pays où les séquelles du franquisme et les marques d’un catholicisme traditionnel virulent perdurent, cette horreur – largement bâtie désormais sur un système mafieux de traite de jeunes femmes sud-américaines – fait relativement peu la une des journaux, et est rarement un sujet de scénario au cinéma. On ne peut donc que louer Álex Pina (l’un des noms derrière "la Casa de Papel", ce qui est une référence, même si on n’est pas certains de quoi…) et Esther Martínez Lobato (elle aussi d’ailleurs impliquée dans le projet "White Lines" qui nous avait bien plu, l’année dernière) de mettre les pieds dans le plat avec leur nouvelle série, "Sky Rojo".

"Sky Rojo" nous raconte en huit épisodes effrénés de moins de 30 minutes comment trois femmes, retenues dans un bordel sur l’île de Tenerife dans les Canaries, tentent d’échapper à l’emprise de leurs proxénètes, prêts à leur infliger tous les sévices possibles pour les punir de leur audace. Avec un style louchant vers les tarantinesqueries de bas étage (il suffit de regarder l’affiche de la série, très série B, voire Z, pour comprendre, avant même de regarder le premier épisode), "Sky Rojo" prend vite les allures d’un road movie quasi immobile, puisque la taille de l’île n’autorise guère l’ivresse de la disparition dans de grands espaces à l’américaine : cette mécanique de ressassement, entre la valse-hésitation de nos trois héroïnes et les allers-retours entre la case départ (le bordel) et …. fait d’ailleurs beaucoup de l’originalité de la série, en accentuant le sentiment d’enfermement irrémédiable des victimes.

Le premier épisode est spectaculaire, violent, gore et esthétiquement très soigné, et laisse craindre que Pina se laisse aller encore une fois à une complaisance stylistique certes accrocheuse, mais quand même déplacée par rapport à l’abomination du proxénétisme, indiscutable version contemporaine du bon vieil esclavage. Les épisodes suivants rattrapent partiellement cette première impression, en s’attachant avec une vraie empathie à la personnalité et au trajet des trois fugitives : l’une Wendy, est argentine, et est entrée de son plein gré dans cet enfer, en pensant s’offrir une nouvelle vie, plus libre, en Europe ; la seconde, Gina, cubaine, a été vendue par sa mère aux maffieux, tandis que le passé mystérieux de Coral, personnage principal de la série, manipulatrice accro aux médicaments de toutes sortes, ne sera révélé que peu à peu… Face à ces trois femmes fortes, très solidement incarnées par Verónica Sánchez, Yany Prado et Lali Espósito, on a le plaisir de retrouver le grand Miguel Ángel Silvestre, pas vu chez nous depuis son rôle mémorable dans "Sense8", et surtout une brochette de « sales gueules » incarnant tous les degrés de l’ignominie masculine, de la cruauté des proxénètes à la lâcheté pitoyable des clients du bordel.

En dérapant régulièrement dans le burlesque, en multipliant les plans à l’esthétique clinquante, "Sky Rojo" trahit bien entendu l’obsession de Pina de chercher à tout prix le divertissement du téléspectateur, sans se préoccuper d’une quelconque « morale » de l’image cinématographique, ce qui pourra rendre "Sky Rojo" antipathique à nombre de cinéphiles, qui auraient préféré un traitement moins clinquant, moins complaisant en termes de violence, moins exhibitionniste aussi, du sujet. Reste qu’en matière de séries TV populaire, on est devant une réussite acceptable… Même si le truc final de nous planter en plein milieu d’un suspense insoutenable… en attendant la seconde saison, est quand même bien « dégueulasse » !

[Critique écrite en 2021]

https://www.benzinemag.net/2021/03/28/netflix-sky-rojo-un-road-movie-immobile-et-clinquant-mais-excitant/

Saison 2 :
Le suspense créé par le cliffhanger à la fin du huitième épisode de la première série d’épisode de "Sky Rojo" (… plutôt que “saison”, en fait…) n’aura pas duré trop longtemps, puisque quatre mois plus tard seulement, Álex Pina et son équipe nous offrent déjà la suite des aventures trépidantes de nos trois prostituées, qui sont désormais en guerre ouverte contre la bande de proxénètes sans scrupules (mais quand même amoureux, souvenons-nous) qui les ont réduites littéralement en esclavage durant des années.

Comme “on ne change pas une formule qui marche”, surtout dans le domaine de plus en plus stéréotypé de la série TV, il était illusoire d’attendre quoi que ce soit de nouveau de cette nouvelle “giclée” (pardon…) de poursuites, de bastons, de sévices en tous genre. Nous voici donc devant un copié-collé systématique des mécanismes comme des rebondissements que nous avons déjà vus, avec une logique de “toujours plus” dans la violence, le sexe, la provocation, la cruauté. Et avec pas mal d’humour en moins, à moins que ça ne soit nous qui soyons désormais fatigués de ce cirque continuel, tout simplement.

On sait que tout est excessif, voire outrancier dans "Sky Rojo", ce qui nous vaut d’ailleurs régulièrement des scènes bluffantes quand l’esthétique colorée et extrêmement soignée de l’image se conjugue avec une mise en scène survitaminée (la plupart des épisodes sont dirigés, comme lors de la première saison, par David Victori). A condition bien entendu d’être prêt à oublier la quasi-invincibilité physique des personnages, qui se remettent à une vitesse folle d’une balle dans le sein ou dans le ventre, d’une overdose, voire d’un œil arraché !

Si la peinture du proxénétisme et la critique du comportement du mâles espagnol restent évidemment l’occasion de quelques scènes difficiles mais indiscutablement pertinentes, quand on considère le fléau de la prostitution forcée en Espagne, on est également saturé d’images complaisantes de l’anatomie féminine qui finissent par ressembler à de la pure hypocrisie. D’un côté, les incessants retournements de situation nous épuisent, tant ils donnent l’impression d’un interminable tour de montagnes russes. D’un autre, les déchirements amoureux et / ou psychologiques de personnages profondément tarés, qui ont pu nous accrocher sous le prétexte de toute cette belle hystérie qui fait partie de “l’âme espagnole”, nous rendent de moins en moins sympathiques ces bourreaux-victimes échangeant leurs rôles avec un systématisme épuisant.

Et lorsque finalement, après deux derniers épisodes trépidants, se dessine la perspective d’un véritable départ loin de cette île que nous avons parcourue dans tous les sens et à toute vitesse au cours des 16 épisodes de la série, les derniers mots martiaux de Moisés (« Nous avons perdu une bataille, mais pas la guerre… ») laissent présager d’une suite dont nous nous passerons bien.

[Critique écrite en 2021]

https://www.benzinemag.net/2021/08/01/netflix-sky-rojo-saison-2-les-plaisanteries-les-plus-courtes/

Saison 3 :

Comment ne pas écrire sur cette troisième (et heureusement dernière) saison de Sky Rojo les mêmes mots que nous utilisions déjà il y a un an et demi à la sortie de la seconde ? « Trop, c’est parfois trop : voilà un concept qui clairement n’effleure pas l’esprit d’Álex Pina et de son équipe : la suite de Sky Rojo, c’est la même chose en plus… violent, excessif, hystérique… et improbable. Du coup, il est difficile de ne pas en sortir épuisé, et beaucoup moins tolérant vis-à-vis de ces excès. ». On a envie de s’arrêter là, tant il n’y a pas grand-chose à ajouter…

On avait quitté nos trois héroïnes violentes, Coral – espagnole et addict -, Wendy – argentine et lesbienne – et Gina – cubaine, innocente et enceinte -, après qu’elles aient réussi à échapper (et à voler au passage 4 millions d'Euros) à leur horrible (et ultra-violent) proxénète, Romeo. Et à quitter les Açores, enfin ! Mais comme Romeo avait juré qu’il n’en resterait pas là… cette troisième saison sera donc, dans cette première partie, consacrée à sa vengeance, qui culmine dans une assez réjouissante bataille navale (partiellement sous-marine). Et elle se terminera avec le règlement de compte final, qui se déroulera, inévitablement, au « Sky Rojo », le bordel de Romeo.

Bref, un scénario sans surprises, où il semble que la seule motivation d’Esther Martínez Lobato et d’Álex Pina soit de nous balancer en pleine figure les scènes les plus outrancières possible : on découvrira donc ici un usage créatif d’un four micro-ondes et d’un coupe-vitre, la recette de la césarienne au couteau, l’utilisation de tuyauteries de chauffage comme cercueils… et tant d’autres choses auxquelles nous n’avions pas pensé et qui ne nous manquaient pas vraiment.

Dans les mécanismes narratifs de Sky Rojo, l’introduction régulière de nouveaux personnages secondaires répond à la nécessité de disposer de « chair à canon », c’est-à-dire de nouvelles victimes potentielles de la violence des protagonistes, qui eux sont, pour la plupart et la plupart du temps, indestructibles : que ça soit blessures par balle, à l’arme blanche, mais aussi addictions aux drogues les plus extrêmes, rien de tout ça ne semble avoir un effet durable sur les personnages principaux de Sky Rojo, qui, comme des héros de dessins animés de Tex Avery, se remettent toujours sur pied et se relancent dans la bataille.

Finalement, la seule manière acceptable de regarder Sky Rojo, c’est bel et bien au second degré, sans trop s’en faire ni pour la logique des situations, ni pour le destin de ses héroïnes : admirer le dynamisme de la mise en scène d’Óscar Pedraza, se repaître des couleurs magnifiques des Açores ou d’Almería, s’amuser des excès permanents dont se rendent coupables les protagonistes… Un divertissement comme un autre en attendant patiemment la fin de la série, dont on regrette quand même qu’elle n’ait pas emprunté un chemin un peu plus noir, un peu moins consensuel.

… avant de passer à quelque chose d’un peu plus consistant.

[Critique écrite en 2023]

https://www.benzinemag.net/2023/01/23/netflix-sky-rojo-saison-3-micro-ondes-cesarienne-et-tuyauteries/

EricDebarnot
5
Écrit par

Créée

le 23 janv. 2023

Critique lue 1.8K fois

5 j'aime

Eric BBYoda

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5

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