Slow Horses
7.3
Slow Horses

Série Apple TV+ (2022)

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Le bureau des sans-légendes [Critique de "Slow Horses" saison par saison]

Saison 1 :

River Cartwright, un jeune aspirant-agent du MI5, échoue de manière dramatique lors d’une mission destinée à valider son accession finale au saint des saints, le siège de l’organisation à Regent’s Park. Il est « mis au placard » et rejoint une équipe d’incompétents (comme lui…), les « Slow Horses » (les chevaux lents) dirigé par un patron au comportement méprisant et à l’hygiène corporelle douteuse. Mais, comme nous sommes dans le monde merveilleux de l’espionnage, tel que John Le Carré – d’ailleurs cité dans les dialogues - l’a décrit et immortalisé dans ses romans, rien n’est en réalité ce qu’il paraît au premier abord, et Cartwright va se trouver plongé au cœur de l’affaire la plus en vue du moment en Grande-Bretagne, l’enlèvement d’un jeune Pakistanais par un groupuscule d’extrême-droite…

Nouvelle réussite (… au point qu’on est fatigué de faire la liste de leurs récents triomphes artistiques…) de la plateforme Apple TV+, Slow Horses est une formidable série d’espionnage, à la fois stressante comme tout bon thriller et hilarante grâce à des dialogues pétillants et un enchaînement de situations régulièrement absurdes. Ce qui signifie que Slow Horses échappe à la plupart des stéréotypes, et exige de son téléspectateur la volonté de se confronter à une intrigue complexe jamais « pré-mâchée » par les scénaristes, à réagir très vite à des vannes percutantes, et à faire des aller-retours incessants entre horreur (quel monde abject que celui de la politique et des renseignements !), consternation (l’humanité peut-elle réellement être aussi abjecte ?) et rires nerveux devant des plaisanteries qui peuvent être très, très lourdes !

Gary Oldman – comme toujours – est brillant, et justifie à lui seul de regarder Slow Horses : même s’il nous faut d’abord – comme les personnages de la série, d’ailleurs – accepter sa personnalité des plus déplaisantes, il s’avérera vite charismatique en diable, sans pour autant se départir de ses attitudes borderline. Bref, encore un grand rôle pour l’un des meilleurs acteurs anglais de sa génération. Face à lui, Kristin Scott Thomas joue dans un registre inhabituel pour elle de monstre froid et calculateur, et leur affrontement acharné nous réserve plusieurs moments brillants d’intelligence. Jack Lowden, dans le rôle du jeune agent téméraire, est juste adéquat, mais il faut bien admettre qu’il a fort à faire pour exister à l’écran au milieu d’un tel casting.

Le scénario de cette première saison de Slow Horses est bien construit, sans baisse de rythme – même s’il y a çà et là un peu de complaisance dans les passages humoristiques – puisque chaque épisode nous réserve de belles surprises qui ne sonnent jamais forcées, mais montrent que, comme chez Le Carré donc, le monde de l’espionnage est rempli de faux-semblants, de chausse-trappes et de pièges, dont la plupart peuvent se révéler mortels.

Cerise sur le gâteau, le sujet de cette première saison, la montée de l’extrême-droite en Grande-Bretagne, s’avère particulièrement pertinent par rapport au contexte politique réel du pays, ce qui permet à Will Smith – rien à avoir avec celui auquel vous pensez – et son équipe de nous rappeler quelques vérités bien senties sur l’islam, sur l’immigration, et sur l’intelligence – pas très élevée en générale – des gros bras professant « une Angleterre aux Anglais » !

Le dernier épisode conclut l’histoire principale, sans manichéisme ni simplisme, mais balance deux révélations inattendues qui nous donnent très envie de passer à la saison 2… Que nous n’aurons pas, espérons-le, à attendre 1 an…

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2022/09/02/apple-tv-slow-horses-le-bureau-des-sans-legendes/


Saison 2 :

Huit mois seulement après une excellente première saison, qui avait positionné Slow Horses en pole position de toutes ces séries d’espionnage qui prolifèrent en ce moment, Apple TV+ nous gratifie déjà d’une seconde bordée de 6 épisodes (le format britannique standard pour les séries…). On retrouve donc avec délectation l’immense Gary Oldman, avec son manteau dégoûtant et son absence d’hygiène insupportable, mais surtout cet humour d’une méchanceté radicale qui dissimule une intelligence affûtée, et son équipe de branquignols, d’espions déclassés et unanimement méprisés.

Après l’extrême-droite dans la première saison, c’est – sujet à la mode – le grand retour de la Russie de la guerre froide qui est au cœur de cette nouvelle histoire : des espions dormants depuis des années dans la société anglaise sont « réveillés » par le FSB pour intervenir dans une action intentée par Moscou contre l’un de ces oligarches russes dont on parle tant. Leur plan inclut une manipulation à grande échelle du système de défense britannique, mais aussi un règlement de compte des plus personnels avec Jackson Lamb (Gary Oldman, donc).

Tout ce qu’on attend quand les grands méchants russes sont impliqué est bel et bien là - la brutalité, la vodka, les méthodes perverses pour éliminer les opposants -, mais le scénario fait aussi la part belle aux arrangements personnels entre services secrets et hommes politiques, tout en ménageant quelques moments émotionnels autour de victimes de ce conflit souterrain mais impitoyable. Par rapport à la première saison, sans doute parce qu’on apprend à les connaître, les membres de Slough House gagnent en complexité et en profondeur, ce qui fait qu’on ses soucie plus de ce qui leur arrive. Lamb lui-même, personnellement impliqué dans l’affaire, dépasse le stade de la pure méchanceté et des vannes cruelles pour laisser apparaître des failles qui l’humanisent… Mais cet aspect « sentimental », rassurons-nous, est toujours dispensé à doses homéopathiques, sans réelle dérive vers les bons sentiments « à l’américaine ».

On appréciera aussi qu’une partie de cette traque aux espions, qui nous vaut cette fois des scènes spectaculaires de panique dans les rues de la capitale, se déroule aussi dans une riante campagne anglaise qui dissimule bien des secrets, ce qui nous change de l’éternel skyline moderniste de Londres : il y a là comme un flashback – mais c’est sans doute seulement nous qui y pensons – vers les fameuses 39 marches de John Buchan, et c’est clairement une piste à creuser pour la suite.

Il faut enfin souligner que Slow Horses est l’adaptation de la série de romans d’espionnage Jackson Lamb (Slough House de l’autre côté du Channel), de l’écrivain britannique Mick Herron : c’est important car on compte en Grande-Bretagne neuf volumes déjà parus, dont la plupart ne sont pas traduits en français… Ce qui nous laisse présager de nombreuses saisons, le troisième étant déjà apparemment bien avancée.

[Critique écrite en 2022]

Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2023/01/09/apple-tv-slow-horses-saison-2-lespion-qui-venait-du-congelateur/


Saison 3 :

Ce matin-là, la routine de l’équipe de bras cassés de Slough House est brisée alors qu’ils sont visiblement la cible d’une opération paramilitaire d’envergure, et Catherine est kidnappée pendant que River est l’objet d’un chantage : il doit réaliser une « mission impossible », cambrioler les locaux du MI5. Mais rien n’est ce qu’il paraît dans cette histoire, et Lamb y voit clair, comme toujours. Mais sera-t-il capable de sauver son équipe pour autant ?

Après deux saisons déjà très réussies, Slow Horses revient avec son histoire la plus stressante, la plus passionnante peut-être. Il ne faut bien sûr pas en dire trop, tant les coups de théâtre sont violents dans ce jeu de dupes au milieu duquel nos chers espions à la ramasse ne sont guère que des pions facilement sacrifiables. La première moitié de la série n’est pas loin d’être ce qu’on a vu de mieux depuis son lancement, et ce d’autant que le scénario n’hésite pas à éliminer des personnages sur l’autel de la brutalité des jeux d’espions. Une fois encore, le cynisme et l’arrivisme politique est total, et on repense évidemment à l’amoralité totale de ces organisations dénoncées maintes fois par John Le Carré, dont on retrouve bien des échos dans Slow Horses : pas besoin de méchants venus de Russie cette fois, nous avons assez de nos propres salopards bien de chez nous !

Bon, si l’on veut chercher la petite bête à ces six nouveaux épisodes, on pourra leur reprocher le manque de charisme et de conviction de l’acteur incarnant le personnage-clé de Sean Donovan, le relatif effacement dans l’histoire de Lamb lui-même (heureusement, même s’il est moins présent à l’écran que dans les deux premières saisons, Gary Oldman est absolument hilarant à chacune de ses apparitions !), et le fait que, pour une fois, les problèmes se règlent ici avec des armes à feu, dans une trop longue scène d’assaut qui évoque plus la simplicité des séries US que le machiavélisme habituel de nos voisins d’Outre-Manche. Tout ça est un peu dommage, certes, mais notre plaisir n’en n’est qu’à peine troublé.

Vivement la saison 4 !

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/01/03/apple-tv-slow-horses-saison-3-silence-of-the-lamb/


Saison 4 :

L’histoire de cette quatrième saison de la formidable série britannique d’espionnage Slow Horses est certainement l’une des plus retorses depuis le début, et elle va déboucher, non seulement sur plusieurs scènes de très forte tension – de celles dont, évidemment, le téléspectateur raffole -, mais également sur des révélations familiales tragiques pour River (Jack Lowden, solide comme toujours…), qui est plus clairement que jamais LE personnage central de la série. Le côté négatif est évidemment que celui que nous adorons, Lamb (Gary Oldman, dans l’un de ses tous meilleurs rôles, même s’il en a déjà eu beaucoup de notables…), et dont les comportements insupportables et l’intelligence brillante sont les plus grandes sources de plaisir de Slow Horses, sera cette fois un peu en retrait.

Beaucoup moins « carrée », « verrouillée », que les saisons précédentes, cette quatrième volée d’épisodes exigera certainement du téléspectateur plus d’attention (l’action va vite, les « révélations » ne sont pas martelées comme dans une série US moyenne), mais aussi plus de flexibilité, en particulier par rapport aux conclusions de l’histoire, à demi « suspendues », fournies dans le dernier épisode. Toutes les réponses à nos questions ne sont pas clairement données, toutes les résolutions ne sont pas « satisfaisantes ». Comme dans la « vraie vie » (surtout celle des espions), on perd autant qu’on gagne, ou plutôt parfois plus, parfois moins, tout est une question de perspective. River ira-t-il mieux maintenant qu’il sait la vérité sur ses parents ? Ou, au contraire, entre-t-il dans un nouveau cercle de l’enfer ? Lamb se retrouve-t-il renforcé ou affaibli à la fin de cette histoire ? Diana (Kristin Scott Thomas, froide et machiavélique comme jamais) peut-elle prendre l’avantage sur son nouveau chef ? L’équipe de The Barn (l’étable) – bénéficiant de l’addition d’un inquiétant nouveau membre, mais qui va perdre ici un autre de ses agents – sortira-t-elle plus forte de l’épreuve terrible qu’elle a affronté cette fois ? Peut-être que la prochaine saison nous éclairera sur ces points. Ou peut-être pas.

Si cette quatrième saison montre quelques faiblesses (la partie « française » est peu crédible, il faut bien l’avouer…), elle bénéficie en revanche d’un nouvel atout : l’apparition d’un antagoniste redoutable, Franck (Hugo Weaving, oui le méchant de Matrix et le roi des elfes dans le Seigneur des Anneaux, presque méconnaissable avec sa barbe !). Et elle culmine dans deux derniers épisodes haletants (Grave Danger et Hello Goodbye), qui vont nous donner très envie que la cinquième saison arrive très vite !

[Critique écrite en 2024]


https://www.benzinemag.net/2024/10/18/apple-tv-slow-horses-saison-4-course-poursuite/



EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Les meilleures séries de 2022

Créée

le 10 janv. 2023

Modifiée

le 18 oct. 2024

Critique lue 1.2K fois

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2 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

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7
2

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