Au début j’y croyais à ce projet. J’adore la BD créée par Jacques Lob et Jean-Marc Rochette, je trouve que c’est une œuvre de SF vraiment formidable avec tout ce que j’aime dedans. J’adore le film de Bong Joon-Ho qui est vraiment brillant en tout points. J’adore l’univers du Transperceneige / Snowpiercer, alors je me disais : les américains veulent en faire une série ? Pourquoi pas ! Si on a réussi à en faire 4 BD et un film en se renouvelant à chaque fois pourquoi pas une série ?
Et puis l’équipe en charge du projet avait l’air cool. Je connaissais pas Josh Friedman, le premier showrunner, mais à l’entendre il avait l’air hyper enthousiaste. Et puis il avait convaincu Scott Derickson, le réalisateur de Doctor Strange, de venir réaliser au moins le pilote. Alors je n’aime pas Doctor Strange, mais au moins visuellement ça fait bien le café.
Et puis la chaîne de télévision s’en est mêlée. Josh Friedman a été viré pour « divergences créatives » pour être remplacé par Graeme Manson, le co-créateur de Orphan Black. Il a expliqué sur Twitter qu’adapter une œuvre comme le Transperceneige nécessitait une vision forte, et que la chaîne n’aimait pas sa vision. Et Scott Derickson s’est barré lui aussi, affirmant qu’on lui demandait de transformer un script qu’il jugeait génial en un truc ultra formaté et consensuel.
Et quand on voit le résultat, ou en tout cas les 3 premiers épisodes sortis sur Netflix au moment où j’écris cette critique, on comprend pourquoi il a dit ça.
Snowpiercer, adapté du film coréen adapté de la BD française le Transperceneige, raconte comment, à la suite d’une nouvel ère glaciaire, les derniers survivants de l’humanité vivent dans un train en perpétuel mouvement, les riches à l’avant, les pauvres à l’arrière. Alors qu’à l’arrière la révolte gronde, André Leyton, le dernier enquêteur criminel de l’humanité, va être appelé à l’avant pour résoudre un meurtre.
Je voulais voir une série SF sombre avec un regard critique sur le monde, je me suis retrouvé avec Les Experts : Snowpiercer. J’ai rien contre le fait qu’une série introduise son univers par le biais d’une enquête policière, c’est ce que font The Expanse et Game of Thrones par exemple. et ils y arrivent très bien, même si le procédé commence en 2020 à être un petit peu éculé. Mais là c’est vraiment du polar TV bas de gamme sans ambiances ni ambitions. On interroge des témoins un peu mafieux, on parle de trafic de drogue, on dit que c’est bien dommage qu’on ai pas de labo scientifique... Et puis évidemment niveau propos politique on le garde en arrière-plan juste pour dire que y’a un risque de révolte comme dans le film, mais on va surtout pas le traiter, et si on en parle il faut que ce soit le plus consensuel possible. La preuve : même l’enquête policière n’a aucun rapport avec la lutte des classes, et semble totalement déconnecté des problématiques de la révolte. Du coup elle n’intéresse pas et fait juste ennuyer le spectateur.
Si leur but était de faire une série consensuelle, pourquoi adapter une BD qui parle si ouvertement de lutte des classes dans le tome 1, des mensonges d’état et de ses conséquences dans les tomes 2 et 3, et du capitalime dans le tome 4 ? Pourquoi adapter un film qui parle d’écologie, de lutte des classes, de la déshumanisation d’un système et de la nécessité d’en changer ? La saga Snowpiercer, que ce soit en film et en BD, traite de l’effondrement des sociétés. Ce sont des œuvres sombres, violentes et politiquement très engagées. Alors pourquoi en faire ça, un truc aussi banal, inintéressant et dépolitisé ?
Et puis si au moins la série apportait de nouvelles idées (autres que faire un mauvais cop show) pourquoi pas, au moins ça aurait apporté quelque chose à la licence, mais même pas. La série reprend toutes les idées visuelles du film, notamment le design des lieux, pour en faire des trucs pseudo-réalistes fadasses qui ne marchent même pas, puisque ces décors avaient originellement été conçus justement pour ne pas être réalistes. Et puis la série va repomper énormément d’idées de scénario issues des BD comme les Arpenteurs, la loterie des naissances, une scène avec un vieux dans l’épisode 1, mais à chaque fois en en faisant un truc fade et vidé de toute émotion, de toute poésie, de toute tension. Seuls les personnages sont des ajouts de la série, mais ils sont tellement inintéressants, tellement clichés de la mauvaise télévision américaine, tellement peu attachants qu’on a du mal à croire en leur histoire.
Et au niveau réalisation, là non plus ce n’est pas folichon. Je ne m’attendais bien évidemment pas à quelque chose d’aussi travaillé que le film de Bong Joon-Ho, ni à quelque chose aussi radical et oppressant que les dessins de Jean-Marc Rochette, mais là il y a des limites : c’est du champ-contrechamp sans imagination avec juste beaucoup de flou pour détacher les personnages d’un décors inévitablement très proche d’eux. Tout parait factice, et à aucun moment j’ai cru qu’on était dans un train. Quand on pense qu’à la base on devait avoir une réalisation de Scott Derickson, on sent la dégringolade niveau ambition.
Je ne sais pas ce que la série telle qu’imaginée par Josh Friedman et réalisée par Scott Derickson aurait donné. Si ça se trouve ça aurait aussi été très mauvais. Mais au moins ils avaient l’air d’avoir un minimum d’ambition, ce que n’a visiblement pas la nouvelle équipe. Et pour une œuvre qui porte le nom de Snowpiercer, c’est très triste.