Oui, SOA déborde de testostérone et de confrontations viriles, mais elle sait aussi l'air de rien dépeindre avec aisance une famille fascinante et complexe, se faisant le portrait sans états d'âme d'une certaine Amérique.
Le créateur Kurt Sutter a fait ses armes sur The Shield et ça se voit. On retrouve cette même vision sans compromis de personnages gangrenés par la violence, ce même sens de l'efficacité narrative, accumulant les séquences chocs qui frôlent la vulgarité mais fonctionnent à plein régime.
La série a un potentiel conséquent en badass-attitude et l'exploite à fond, on nous promet des bikers caractériels et roublards, déchirant le bitume entre deux ventes d'armes mouvementées, et le contrat est bien rempli.
Mais, et c'est là que la série surprend, SOA a aussi d'autres ambitions, et développe l'air de rien des thèmes profonds.
Saison 1: Une famille d'Opéra.
En s'attachant au clan du SAMCRO, on comprend vite l'importance vitale que représente le clan pour ses membres. Chaque interaction se doit de respecter la susceptibilité de chacun, le rang hiérarchique de chacun.
On vit pour le Club, on meurt pour le Club. Celui qui n'est pas digne d'arborer les attributs du clan se les verra arrachés, que ce soit une veste avec les insigles, ou carrément les tatouages, brulés au chalumeau.
Là où ça devient passionnant, c'est qu'il y a intrigues de pouvoir, le club de bikers bouillant de tensions internes dignes d'un opéra.
En effet, le petit prince Jax à qui le trône reviendra un jour, commence à contester les décisions de Clay, son beau-père. Celui-ci, marié à la mère de Jax, a repris le flambeau à la mort du père biologique de Jax. Et l'ombre du père prend petit à petit de l'ampleur sur Jax, qui a retrouvé le manuscrit secret de son père, un manifeste rempli des idéaux qu'il nourrissait pour le groupe. Jax, ne pouvant que constater l'écart entre les rêves d'autrefois et ce qu'est devenu SAMCRO, va prendre ses distances avec Clay.
Celui-ci, confronté à son beau-fils, aux gangs latinos du coin, aux flics corrompus, est amené à faire les pires choix possibles pour conserver le pouvoir.
Cette logique criminelle aboutira à des rebondissements tragique au possible, déchirants, promettant l'explosion interne de SAMCRO.
Cette première saison, bien que passablement inconstante, ayant eu du mal à trouver son rythme et son identité, est une superbe saison d'introduction. Le meilleur est à venir.
Saison 2: SAMCRO vs le monde
Le génie de cette seconde saison est de renverser les attentes.
Cette fois, les membres de SAMCRO ne sont plus les rois incontestés de la ville. Ils vont devoir lutter pour le pouvoir, et bien souvent, face à un ennemi redoutable ne reculant devant aucune ignominie pour déclencher la guerre, les bikers vont avoir du mal à prévoir les coups à jouer.
Il faudra un évènement terrible, honteux, pour voir le clan tenter de se ressouder. Et, après les coups fourrés de la saison précédente, ce sera tout sauf évident.
Cette opposition digne d'un western moderne donne lieu à des affrontements intenses, que ce soit l'affrontement mano à mano entre Jax et son beau-père, clash paroxystique d'une violence insensée, ou la lutte finale de SAMCRO contre les neo-nazis, prétexte à des débordements complètement fous (une oreille arrachée à pleine bouche!).
Mais, plus important encore, cette guerre déclarée permet aux personnages de vraiment décoller. C'est lorsque le poids du monde tombe soudain sur eux qu'ils réalisent l'importance vitale du clan et chacun de ses membres se voit transcendé par la rage, la haine, le désir suprême d'être victorieux.
Et, cruelle loi du suspens, c'est lorsque la famille se retrouve qu'un évènement imprévu la menace plus que jamais.
Une saison brillante, la plus aboutie à ce jour, d'une intensité incroyable permise par des acteurs en transe comme jamais, rendant palpable les failles et le bouillonnement intérieur de leurs personnages. Impressionnant.
Saison 3: Family is everything.
Pour le clan SAMCRO, le plus important c'est la famille, alors quand l'un des leurs manque désespérément à l'appel, les choses vont mal.
Cette troisième saison marque un renouvellement particulier en changeant, pour une poignée d'épisodes, de décor. Les bikers se déplacent en Irlande, ce qui donne lieu à un chouette générique revisité façon chant folklorique irlandais.
Mais ce nouveau cadre ne fait pas illusion longtemps, la série reste fidèle à elle-même: les liens du sang, les guerres intestines sont plus que jamais présentes, et ces thèmes chers à SOA sont développés avec cœur et se révèle bouleversants (superbe séquence muette où Jax hésite plus que jamais sur le futur à donner à son enfant).
En somme, une troisième saison plus lente, connaissant quelques temps mort et hésitations, mais, porté par l'intense quête irlandaise et ses questionnements passionnants, par la conclusion jouissive et fracassante calée sur une reprise du « Hey hey my my » de Neil Young dont les paroles collent à merveille à l'image, tout ça se révèle excellent.
De plus, l'intrigue shakespearienne est manifestement amené à revenir, et elle promet des clashs explosifs.
Les personnages
Jax Trager: Jeune et idéaliste, Jax fait petit à petit ses preuves dans le clan, sachant que le rôle de chef lui reviendra un jour. En tombant sur le manuscrit de son père, il marche dans les traces de son modèle, provoquant des dissensions importantes avec l'actuel chef, Clay. Il comprend pourtant progressivement que pour amener des changements, il faut savoir être patient et accepter de se salir les mains pour gagner le respect.
Charlie Hunnam joue avec brio le personnage principal, cessant vite de rouler des mécaniques de manière adolescente pour habiter son personnage de manière rageuse, intense. D'un charisme inattendu dans les moments dramatiques, il se révèle assez impressionnant.
Gemma: le pivot de la famille, une femme forte sachant brillamment jouer de son aura et de son influence pour arriver à ses fins. Des épreuves traumatisantes l'attendent mais, porté par son orgueil et son instinct de survie, elle paraît pouvoir se relever de tout pour occuper sa place dans le clan (« God wants me to be a fierce mother »). Brillamment campée par Katey Sagal, femme du créateur Kurt Sutter qui a amoureusement écrit le rôle pour elle.
Clay: Le chef vieillissant du clan, mal embouché et fou amoureux de Gemma, il est rongé par le poids des secrets, des tensions qui mettent à mal son statut de leader. Ron Pearlman (Hellboy!) est né pour jouer un biker mal lavé et vulgaire, et il livre sa partition avec une aisance déconcertante.
Tara: Infirmière revenue en ville après s'être volontairement éloignée de SAMCRO, elle renoue avec son ancien petit ami, amour de jeunesse, Jax Trager. D'abord réfractaire au clan, elle va petit à petit apprécier le goût du sang et accepter les compromissions inhérentes à son couple. Si sa belle-mère manipulatrice et elle se détestent de prime abord, elles vont tisser une relation complexe, l'animosité ne cachant que partiellement leur respect réciproque.
Opie Winston: Motard d'une loyauté indéfectible au clan, ce qui s'accorde mal avec sa famille (marié, deux enfants), il va se retrouver au bord de l'abîme, montrant progressivement des pulsions de mort.
Au final, Sons Of Anarchy est une série marquante, un plaisir immédiat bourrin mais qui sait aussi être affaire de subtilité, en s'attachant aux émotions profondément universelles qui fondent une famille.
Et quelle famille que celle de SOA, à la fois puissante et constamment sur le bord de la rupture, constituée de personnages se détestant mais ne pouvant se passer les uns des autres.
Une série relativement sous-estimé, qui réussit pourtant à déployer une gamme variée d'émotions tout en restant mâle et cent pour cent badass.
Et rien que pour ça, Sons Of Anarchy mérite un coup de chapeau.