M'étant repassé toute la série récemment (ainsi que son excellente saison préquel), m'est avis qu'elle mérite beaucoup mieux que l'accueil mitigé qu'elle a eu. Une fois qu'on sait à quoi s'attendre pour ce qui est de son coté schlock (esthétique à la 300 de Snyder, et défilé de personnages aux formes impressionnantes, rarement très habillés, régulièrement aspergés de sang en CGI), on réalise que c'est un petit chef d’œuvre dans son genre, que ce style viril sert lui même à la perfection.
Et une qui fait carrément regretter l'époque où quelque chose comme ça, d'à la fois tout ce qu'il y a de politiquement incorrect dans ses images ("érotisation de la violence" tout ça) et profondément idéaliste dans son message, mais sans pour autant sombrer dans les préchis préchas moralistes, pouvait être produit.
Le fait est que depuis 2010 je ne compte pas une seule série qui ait su aussi bien traiter d'un mythe, à la fois en le ramenant dans la saleté du réel et en le célébrant dans toute sa naïveté ; ni de manière générale beaucoup de séries qui aient autant de personnalité que celle ci.
Spartacus nous montre une société romaine décadente et pleine d'ambitieux cyniques, un monde des gladiateurs encore plus violent qu'on puisse l'imaginer, la condition d'esclave dans ses aspects les plus sordides, mais arrive à en faire émerger de vrais héros.
Pas les surhommes qu'ils sont en apparence ou au combat, mais des humains qui se forgent au fil de leurs expériences, se questionnent, s'affrontent parfois, et évoluent pour devenir au fil du récit l'incarnation de l'idéal de liberté qu'elle porte, et tout en retenant le meilleur de leur passé de gladiateur, un sens de l'honneur auquel ils apprendront à rendre son sens premier, après avoir été bassiné de sa version creuse destinée à les rendre serviles. Il y a très peu de séries (et surtout pas dans un genre aussi porté sur l'action) qui ont un tel soin de la psychologie de leurs personnages, de montrer leur cheminement avec toutes ses errances (y compris Spartacus lui même qui à l'opposé de l'espèce de Jésus communiste de naissance du film de Kubrik* n'est pas du tout idéalisé, c'est un guerrier fait esclave qui ne se soucie pas de grand chose à part de lui même et de sa femme également détenue par les romains au départ, qui à une période se laisse tenter par l'ambition d'être juste une gloire de l'arène, qui à d'autres est surtout assoiffé de vengeance, ce n'est que son évolution qui en fait un héros, à partir du moment où il réalise ses responsabilités comme chef de la révolte),
Quant aux méchants et à leurs intrigues souvent machiavéliques, à une exception près (le très terne Glaber) ils n'ont rien à envier (voire plutôt l'inverse) à ceux de séries comme Games of Thrones, Vikings ou autres. Le couple Batiatus en particulier, mériterait d'être cité dans les anthologies des meilleurs vilains de série, en particulier après avoir vu la saison préquel qui est un peu son origin story (et montre là aussi le cheminement qui les a rendu tels qu'ils sont, les rendant aussi très humains). Mon plus grand regret soit dit en passant étant qu'ils n'aient pas fait survivre Lentulus Batiatus au delà de la révolte (ce que laissait espérer le précédent du film) tant son interprétation par John Hannah est juste parfaite. Je citerai aussi Ashur le gladiateur traitre interprété par Nick Tarabay, à la fois complètement retors et vicieux et ne manquant pas d'être touchant à travers son ambition déçue de reconnaissance, comme méchant absolument inoubliable. Et sans oublier encore Crassus père et fils dans la dernière saison (et leurs interactions avec la guest star surprise Jules César) qui constituent une brillante déclinaison du trope du "grand" homme et du fils écrasé par celui ci.
Enfin limite je ne pourrais pas citer une seule série à avoir autant de personnages d'anthologie (je ne prendrai pas le temps de les citer tous, mais en résumé les compagnons de Spartacus, Crixus en tête, à la fois rival, ami et double de Spartacus, traversant les mêmes phases mais à un autre rythme et en y réagissant différemment, sont presque tous aussi mémorables ; ainsi que certains rôles plus secondaires, qui parviennent à marquer même en n'apparaissant que dans 4 ou 5 épisodes).
Quant à l'historicité, si elle est limitée par des choix comme celui évoqué plus haut de mêler César et Crassus fils à la sauce lors de la dernière saison, ou toute la partie douteuse/invérifiable de la première sur le passé ou la vie comme gladiateur de Spartacus, on dira que la série à au moins le mérite de bien représenter la plupart des épisodes les plus célèbres de sa légende (comme la prise à revers des romains lors de la bataille du Vésuve, le franchissement de la muraille bâtie par Crassus, la décimation des romains vaincus, la division des esclaves rebelles entre l'armée de Spartacus et celle de Crixus, les jeux donnés en l'honneur de ce dernier), au lieu de réécrire aussi largement son histoire que les deux adaptations précédentes (il faut dire disposant moins de temps),
Enfin je pourrais encore en écrire des pages, mais toujours est il que la revoyant 10 ans plus tard, j'en sors avec une impression encore plus positive que la dernière fois (et hop 7 qui devient un 8 pour la peine), et ce malgré (voire à cause) de toutes les séries à la fois au style plus générique et aux discours plus cyniques qui ont pu se succéder depuis.
* Ok un peu méchant de le voir comme ça, et plus généralement absurde de comparer deux œuvres aussi différentes que ce soit au niveau du format, de l'esthétique ou du rôle qu'y tiennent certains personnages.