C'est sur ces thèmes qu'on m'a introduit cet anime : s'ils ont fait naître en moi des a priori, ceux-ci n'étaient que positifs, et en aucun cas je ne me suis proposé d'exigeantes attentes. Très vite pourtant me suis-je ennuyé, sinon agacé, de la pauvreté de Spice and Wolf.
Vous le savez déjà : S&W raconte les pérégrinations de Lawrence, marchand ambulant, après sa rencontre fortuite avec Holo, une espèce de divinité païenne lupine en proie à la solitude depuis que des villageois ont délaissé son culte, le jugeant trop contraignant et onéreux, et n'y voyant plus trace de quoi que ce soit en quoi donner foi (ingratitude ou pragmatisme ?). Les deux comparses, malgré leurs évidentes dissemblances, auront bien vite fait de s'apprivoiser, pour aller extorquer dans la plus belle des complicité l'Église ou les Guildes commerçantes, mais tout cela très honnêtement, selon le bon code moral du marchand ambulant.
J'arrête ici avec l'ironie, pour entrer un peu plus en avant dans la matière de S&W. L'intrigue se déroule dans un supposé Moyen-Âge, difficile à dater et à localiser ; non pas faute d'indices, mais de cohérence entre ceux-ci : tel marchand pourra utiliser un alphabet gothique sur du parchemin, tandis qu'un autre aura rédigé sa charte sur une feuille de papier A4, à l'aide d'une écriture cursive telle qu'on en pratique de nos jours. À mon sens, le contexte de S&W aura été imaginé, fantasmé, plutôt que sincèrement documenté. Combien sont criants les exemples de graves incohérences, ou plus souvent de visions simplistes de ce que pouvait être le Moyen-Âge.
L'Église, par exemple, figure comme une instance de pouvoir extrêmement contraignant, présente partout, aux moyens d'actions terriblement puissants et fatals ; Dieu est pour l'Église un instrument pour asseoir son autorité, et accumuler les richesses. Les personnages principaux et secondaires de S&W feront tout pour contourner ou tirer parti de ce pouvoir, sans jamais émettre aucune considération religieuse, sinon sur un ton narquois. De même, il existe des "villes hérétiques" (le village où démarre l'intrigue répond-il à cette dénomination, en tant que pratiquant d'un culte païen ?). Mais présenter la religion médiévale sous cet aspect, c'est oublier qu'au Moyen-Âge, la spiritualité chrétienne était le ferment de la société ; dans un même mouvement, les doctrines dites hérétiques étaient celles qui, s'éloignant du dogme spirituel, récusaient de même les cadres sociaux ; d'où l'intolérable existence de "villes hérétiques". S&W ne montre jamais un exemple d'acte de foi ; alors qu'au Moyen-Âge, rares semblent les actes entièrement astreints d'une pratique religieuse.
Fatalement, la matière principale de S&W se voit touchée par ce manque de documentation : il m'a le plus souvent semblé qu'on tentait de m'enfumer quelque part quand Lawrence se lançait dans de longues explications quant aux transactions marchandes ; heureusement qu'Holo était là pour demander une naïve vulgarisation ! Malheureusement, on se rend aisément compte que la science commerçante des réalisateurs manquait parfois de simple bon sens : Lawrence prétend que le troc est un "astucieux moyen que les marchands ont inventé afin de n'avoir que le moins possible recours aux transactions en monnaie". Monnaie dont la valeur fluctue, certes ; mais de là à faire cette maladresse de raisonnement qui sous-entend que la monnaie préexiste à tout échange de marchandise ?! Rapidement encore : non, les Guildes, ou plutôt, les "Confréries" marchandes n'existaient pas pour marcher sur les plates-bandes des autres commerçants et accumuler les affaires alléchantes ; plutôt, elles étaient un cadre socio-professionnel qui protégeait, certes en l'échange d'onéreux services, leurs membres, et leur accordait d'intéressants monopoles, pour précisément qu'il n'y ait pas de concurrence (la concurrence étant considérée comme infamante au regard de Dieu).
Ne souhaitant guère pérenniser à l'excès votre lecture de cette critique déjà trop longue, je ne développerai plus que ce point. Le dessin, l'ambiance sonore et l'animation nous montrent des espaces vastes, ouverts, brillants aux couleurs des couchers de soleil de début d'automne. Mais... où sont, autour de ces villes si proprement fortifiées, les champs qui permettent d'en alimenter les habitants ? Quelle utilité y avait-il à construire puis entretenir de si gigantesques égouts ? Où sont les habitants de la ville, autres que les personnages principaux ? (et pourquoi, quand il y en a, ce sont des statues ?)... Non, c'est une erreur de présenter systématiquement le Moyen-Âge sous les plus noirs habits ; mais, pour en exhaler la beauté, n'aurait-il pas mieux valu lui redonner sa vie profonde, remplir ses rues (essentiellement étroites d'ailleurs) de toute une activité, d'un fourmillement de petites gens vacant à leurs occupations et faisant vivre une société soudée ?
[EDIT] Ce n'est pas tant l'écart entre la réalité historique et l'univers développé dans l'anime qui m'a déplu. C'est surtout, d'une part le caractère tout à fait rudimentaire voire simpliste de celui-ci (il est difficile de créer un monde cohérent ; alors pourquoi ne pas se raccrocher au monde réel, lui relativement cohérent ?), d'autre part de plaquer des schèmes de pensée qui nous sont parfaitement familiers, car ce sont les nôtres (conception de la religion, du commerce, des relations d'homme à homme) sur tous les éléments de l'Univers, leur faisant perdre à mon sens toute leur "saveur médiévale"
Il y aurait encore bien des choses à ajouter, quant à des incohérences scénaristiques ou dans l'écriture des personnages ; quant à la bande originale maladroite ; quant à cet ending exécrable (!!)... Selon moi, le plus grand manque de Spice and Wolf aura été de vouloir se démarquer par un contexte qui n'aura été que superficiellement développé ; en se dressant sur des fondations friables, la cathédrale n'aura pu s'élever sans s'effondrer.
Encore : j'ai été étonné de trouver sur les moyenâgeux étals de ces marchands ce même sandwich maxi-poulet qu'ils vendent à la boulangerie d'en bas de chez moi.