Si on est d’abord attiré par la bande-annonce de "Squid Game", série coréenne racontant visiblement les tentatives de survie de gens ordinaires participant à des jeux sadiques dans lesquels ils risquent leur peau, c’est indéniablement par pure nostalgie de l’excitant "Alice in Borderland", dont on attend la seconde saison pour la fin d’année. Mais on se rend compte très rapidement que "Squid Game" emprunte aussi pas mal au concept de "Battle Royale", célèbre film japonais de l’an 2000, qui créa – ou au moins popularisa – le concept de “jeu” où les participants doivent s’entretuer pour gagner. Mais surtout on se souvient, très, très vite que la Corée est loin culturellement du Japon, et le cinéma coréen du cinéma japonais. Ce qui signifie que l’on passe ici d’un concept presque élégant, ou en tout cas cérébral, très manga, d’"Alice in Borderland", à cette trivialité et cette brutalité qui font depuis des décennies l’attractivité des films et séries du Pays du Matin Calme. Et c’est tant mieux !
Dans "Squid Game", les personnages ont eu une existence avant le jeu, qui nous sera exposée, et même avec pas mal de détails, pour les principaux protagonistes : ils sont représentés avant tout, non comme des joueurs auxquels nous déléguons nos propres paris sur les solutions et les issues des épreuves, mais des êtres humains qui souffrent, qui hurlent, qui saignent… Et surtout, qui ne sont jamais bons ou méchants, mais comme nous, alternent abominations et gestes héroïques… Amour et haine… C’est en particulier le cas du protagoniste principal, Seong Ji-Hun (joué avec une emphase grotesque très coréenne, mais finalement profondément touchante par Lee Jung-Jae, déjà remarqué dans "The Housemaid" et "New World"), qui nous est d’abord longuement décrit comme une sorte de parasite, menteur, voleur, lâche et fainéant, et qui ne changera pas fondamentalement – on n’est pas chez les Etats-uniens ! -, mais que l’on apprendra, nous, à comprendre et même peut être à aimer.
Mais s’il y a dans "Squid Game" quelque chose d’inhabituel, voire de rare dans le cinéma et surtout les séries populaires, c’est la violence de la dénonciation sociale qui se déploie dans quasiment tous les épisodes. Si l’homme est un loup pour l’homme (et les femmes ne valent pas mieux !), c’est d’abord la société qui l’accule au pire. (On remarquera que le seul personnage complètement positif de la série est Ahmed, l’émigré pakistanais, ce qui pourrait être un message envers une société coréenne dont on sait qu’elle n’est pas tendre vis à vis de ceux qui viennent d’ailleurs…). Et ce sont les riches et puissants qui tirent les ficelles et se repaissent des malheurs et des souffrances qu’ils provoquent. Les pauvres hères participent volontairement aux jeux (enfantins) de cirque qu’on leur propose, parce qu’on leur a fait croire que sans argent ils ne sauraient exister. Et parce que, de fait, ils n’existent pas. Constat terrible que la réalité de ce mécanisme de déshumanisation que raconte "Squid Game" : ce n’est pas le jeu qui détruit l’humanité, cette destruction a été conduite et achevée par la société et le capitalisme depuis longtemps.
On peut regretter que "Squid Game" n’atteigne que rarement la grandeur espérée (hormis lors d’un épisode 6 extraordinaire…), en particulier du fait d’une intrigue parallèle avec un policier infiltré qui n’apporte pas grand-chose, et parce que le script se perd parfois en chemin, comme dans un dernier épisode qui cumule inutilement une “grande révélation” n’apportant rien de plus qu’un twist gratuit, une belle ouverture sur la possibilité d’une disparition – littérale – dans la marge de la société, et pour finir une désagréable relance de l’histoire, qui laisse présager d’une seconde saison…
[Critique écrite en 2021]
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