Star Trek: Enterprise
6.8
Star Trek: Enterprise

Série UPN (2001)

Ah, Enterprise… l’enfant mal-aimé de l’univers Star Trek ; mal-né, ou né trop tard, si ce n’est pas les deux. Longtemps accusée d’avoir coulé la franchise, la dernière série de l’ère Rick Berman semble actuellement connaître une mini-résurrection, ou tout du moins un regain de popularité. Réappréciation méritée ou simple effet cyclique ? La réponse est plus compliquée qu’il n’y parait.


I – It’s been a long time…

Impossible de revenir sur Enterprise sans s’épancher sur les circonstances pour le moins tumultueuses qui l’ont vu arriver puis rapidement disparaitre des écrans. Au moment de la diffusion du pilote Broken Bow, cela fait désormais près de quinze ans que Rick Berman a pris les commandes de la série créée par Gene Roddenberry, soit un rythme ininterrompu de dix-huit saisons et cinq films (six en comptant Nemesis, tourné en même temps que la saison 1 d’Enterprise). La fatigue se faisait ressentir dès la fin de Deep Space Nine, plus encore vers celle de Voyager ; Berman savait que la franchise avait besoin d’un second souffle. Sa solution, très dans l’air du temps (le grand rival Star Wars ayant montré la voie), fut de se tourner vers le passé : Enterprise narrerait donc les premiers pas de Starfleet dans l’espace, à travers les aventures de la première version du fameux vaisseau NCC-1701 éponyme, un siècle avant celles de Kirk et Spock.


L’idée n’était pas mauvaise, tant il y avait de la place entre le fameux « Premier Contact » avec les aliens Vulcaniens et la mission de cinq ans de La Série Originale. Hélas, premier accroc : ce côté « rétro » passe vite à la trappe jusqu’à en devenir anecdotique, tant au niveau du scénario que de l’esthétique. Hormis lors de rares épisodes – comme Dear Doctor, qui explore les contradictions de la Directive Première – il est difficile de croire que tout cela se passe avant La Série Originale et non dans la continuation directe des films Next Generation. L’aspect de la série n’aide vraiment pas, depuis les uniformes (davantage des bleus de travail que des ancêtres des fameux polos jaunes, bleus et rouges) jusqu’aux vaisseaux (l’Enterprise A parait plus futuriste que tous les autres modèles censés en découler) en passant par les effets spéciaux (aaaaah, ces pixels de Playstation 2…). Ce n’est qu’a partir de la saison 4 que des efforts seraient faits dans ce sens ; trop peu, peut-être, mais surtout trop tard – un thème récurrent avec Enterprise, comme nous le verrons.


II – But my time is finally near

Si Enterprise peine initialement à répondre à ses promesses de prologue aux précédentes séries, au moins peut-elle compter sur une galerie de personnages charismatiques, les dignes ancêtres de Kirk, Spock, Picard et Janeway, pour nous emmener au-delà de l’Ultime Frontière… n’est-ce pas ? Le studio pensait sans doute avoir décroché le gros lot en engageant l’excellent Scott Bakula, auréolé de la gloire de Quantum Leap, pour incarner le capitaine Jonathan Archer et diriger la nouvelle équipe ; son profil était indéniablement plus élevé que ne l’étaient ceux de ses prédécesseurs Shatner, Stewart, Brooks et Mulgrew au moment de s’asseoir dans le fameux fauteuil. Pourtant, lui aussi a d’abord peiné à trouver ses marques. Son talent n’a jamais été en doute, mais il manquait à Archer une identité bien définie pour lui permettre de se démarquer.

Il en est malheureusement allé de même pour l’essentiel de ses partenaires à l’écran : son second T’Pol (Jolene Blalock), énième manifestation de la logique et de la froideur vulcaniennes au milieu des cow-boys de l’espace de Starfleet ; l’ingénieur Trip Tucker (Connor Trineer), dont la gouaille rappelle le bon docteur McCoy ; l’introverti Malcolm Reed (Dominic Keating), officier anglais en charge de la sécurité ; l’excentrique docteur Phlox (John Billingsley), alien dénobulien aux trois épouses ayant chacune trois maris ; et les jeunes et inexpérimentés enseignes Sato (Linda Park) et Mayweather (Anthony Montgomery), en charge des communications et du pilotage respectivement. Tous sont sympathiques, il n’y a ni bouche-trou ni élément perturbateur, mais tous donnent l’impression de se chercher et de souffrir de l’ombre de leurs (trop) nombreux ainés.


C’est d’ailleurs l’impression générale qui ressort des deux premières saisons d’Enterprise : beaucoup de déjà-vu, bien peu d’originalité, et pas assez de couleur et de piquant pour susciter l’enthousiasme d’un non-initié. Il y a bien quelques pépites çà et là, telles que le susmentionné Dear Doctor, ou encore le hui-clos Shuttlepod One (1x16) et les très prémonitoires Unexpected (1x05) et Cogenitor (2x22), traitant de thèmes difficiles tels que la grossesse et le troisième sexe. Mais dans l’ensemble, les quarante premiers épisodes d’Enterprise n’ont guère à offrir que tout ce qu’il y a de plus basique en matière de science-fiction sur le petit écran. Les audiences s’en faisant ressentir, Berman et sa bande ont décidé de changer leur fusil d’épaule. Il faut dire qu’entretemps, un certain 11 septembre 2001 est survenu…


III – And I will see my dream come alive at last, I will touch the sky

Fini le format traditionnel et épisodique : la saison 3 d’Enterprise serait l’occasion de renouer avec un arc narratif autrement plus ambitieux, déjà expérimenté dans Deep Space Nine. Et a l’instar de cette dernière, Enterprise ne ferait pas dans la dentelle. La Terre est attaquée par une race d’aliens extra-galactiques, les Xindis, au moyen d’une arme secrète ravageant la Floride et faisant plusieurs millions de victimes dont la propre sœur de Trip Tucker. Il revient a l’USS Enterprise de voyager aux confins de l’univers pour découvrir qui sont les Xindis et les empêcher de terminer leur sale besogne.


Ce n’est évidemment pas la première fois que Star Trek fait écho a l’actualité et aux thèmes sociétaux, mais jamais de manière aussi ambitieuse. Les défis posés à l’équipage de l’Enterprise sont ceux qui agitaient alors l’Amérique de George W. Bush : la tentation de la vengeance, la fin justifiant les moyens, la perte des valeurs fondamentales, la déshumanisation de l’ennemi… Star Trek s’en va-t’en guerre, mironton mirontaine, et aussi terrible cela soit-il pour les personnages, c’est exactement ce dont ils avaient besoin pour sortir de leur zone de confort. Balayées, les miettes laissées par The Next Generation et Voyager : Enterprise a enfin trouvé son identité.


Il en résulte une des meilleures saisons de tout Star Trek, durant laquelle jamais ne s’estompe ce sens de l’inconnu et du danger qui faisait cruellement défaut aux deux précédentes. Le rythme est parfaitement maitrisé, qui alterne de main de maitre entre exploration, introspection à bord du vaisseau et véritables batailles rangées. En proie à une pression extrême, balancé entre la soif de revanche de Trip et la voix de la raison de T’Pol, Archer devient pour de bon la figure d’autorité, courageuse mais faillible, que l’on était en droit d’attendre du premier explorateur de l’espace. Scott Bakula y trouve enfin son compte, jusqu’à devenir possiblement mon capitaine préféré.


Entre reprise de La Belle et la Bête (Exile, 3x03), nuit des morts-vivants vulcaniens (Impulse, 3x05), voyage dans le temps (Carpenter Street, 3x11) et même éthique du clonage (Similitude, 3x10) et anticipation (Twilight, 3x08), le tout culminant en un finish épique en sept épisodes, la saison 3 d’Enterprise, communément appelée « le cycle Xindi », tire dans tous les sens et fait mouche à chaque fois. Star Trek à son plus haut niveau.


IV – And they’re not gonna hold me down no more

Le cycle Xindi achevé, Enterprise allait-il remettre le couvert et s’inventer une nouvelle colonne vertébrale, ou bien reprendre le rythme des deux premières saisons ? Ni l’un, ni l’autre. Berman et ses associés Brannon Braga et Manny Coto décidèrent de couper la poire en deux : la saison 4 se décomposerait en plusieurs mini-arcs de deux ou trois heures, agrémentés d’occasionnels épisodes individuels. Ce nouveau changement de rythme aurait pu dérouter mais par chance, la plupart de ces mini-arcs sont excellents et n’ont rien à envier à la saison 3.


Surtout, ils présentent la particularité d’être pour la plupart rattachés a des évènements ou personnages de La Série Originale : explication est ainsi donnée, avec astuce et humour, à l'absence de protubérances crâniennes des Klingons dans cette dernière. Un autre trio d’épisodes se consacre aux dissensions entre Vulcaniens et à leur prophète Surak (introduit dans un de mes épisodes classiques préférés, The Savage Curtain) tandis que Brent Spiner revient le temps de quatre épisodes prêter ses traits au docteur Soong, créateur des « Augments », sortes d’Übermenschen dont est issu le fameux Khan Noonien Singh. Moins intense mais plus imaginative encore que la troisième, cette quatrième saison aurait dû être la première : tous les ingrédients d’un bon « prequel » s’y retrouvent, avec en prime la promesse d’un prologue à l’épisode Balance of Terror et au film Star Trek Nemesis. Tous les éléments sont en place pour une saison 5 d’anthologie…


… qui n’arriva jamais. Les trekkies et la distribution l’ignoraient, mais le sort d’Enterprise était réglé depuis longtemps. Au-delà des errances des deux premières saisons et de l’audimat flageolant qui en a résulté, le paysage audiovisuel avait évolué à l’aube du Troisième Millénaire et, distorsion ou pas, Star Trek n’avait pu suivre la cadence. The Next Generation avait également peiné à prendre son envol, mais le prestige de la franchise se suffisait encore à lui-même dans les années 1980. Ce n’était plus le cas en 2005 ; The Wire, Lost et Les Sopranos étaient passées par là – que l’on songe seulement que Band of Brothers a été diffusé en même temps que la saison 1 d’Enterprise, alors que ne serait-ce que visuellement elles paraissent séparées de trente ans !


Comble de l’infamie, le scénariste Brannon Braga pensa clore la série du mieux qu’il pouvait sous la forme d’un dernier épisode « hommage », centré sur l’holodeck de TNG et avec Ryker et Troi en guise de personnages principaux plutôt qu’Archer, Trip et T’Pol. Braga reconnut plus tard son erreur mais le mal était fait : Enterprise sortait prématurément, par la petite porte, avec son plus mauvais épisode, qui consacra pendant longtemps sa réputation de mouton noir et de « tueuse de franchise ». Pendant longtemps, mais pas pour toujours.


Conclusion – No, they’re not gonna change my mind

Antithèses l’une de l’autre sur bien des points, Star Wars et Star Trek se sont plusieurs fois croisées, à leur firmament ou au détour d’une ruelle obscur ; tel est le cas de la Prélogie et d’Enterprise, qui ont connu une véritable renaissance depuis leur fin en 2005. Il faut dire que dans un cas comme dans l’autre, leurs héritiers n’ont guère fait l’unanimité malgré un départ en fanfare : le fléau JJ Abrams est passé par là, tandis que des séries comme Obi-Wan et Discovery ont enfoncé le clou du nihilisme et de l’iconoclasme bête et méchant. Mais au-delà de la comparaison flatteuse, force est de constater qu’Enterprise est en train de connaitre une nouvelle vie grâce à ses qualités propres.


Attachant, généreux et résolument optimiste comme seul Star Trek sait l’être, le dernier-né de l’ère Berman s’est retrouvé à la croisée des chemins et a su, au bout de deux saisons il est vrai, prendre le meilleur des deux mondes pour aboutir à la version définitive de Star Trek au XXIème siècle. Enterprise, le dernier bon Star Trek ? On serait tenté de le croire, mais ce serait commettre le sacrilège de démentir les paroles de la controversée, mais en ce qui me concerne adorée, chanson du générique :


I’ve got strength of the soul. And no one’s gonna bend or break me.

I can reach any star.

I’ve got faith.

Faith of the heart.


Szalinowski
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le 2 janv. 2024

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