Sugar
6.9
Sugar

Série Apple TV+ (2024)

Voir la série

L’amour du film noir, et ensuite…

Quand on parle de nos jours de « film noir », on est désormais très loin de ce qu’était le grand cinéma des années 30, 40, qui a fondé le genre, à travers des acteurs mythiques (Richard Widmark, Dana Andrews, Fred MacMurray, Victor Mature, Robert Mitchum…) et en premier lieu, bien sûr, Humphrey Bogart. Les « vrais » (ou les vieux ?) cinéphiles le savent, et John Sugar, le fascinant personnage principal de la nouvelle série de Mark Protosevich (scénariste rare par ailleurs, ayant pourtant débuté il y a plus de vingt sur The Cell, le drôle de film de Tarsem Singh), sur Apple TV+, doit en être un (de vrai cinéphile) : tout dans son attitude, ses vêtements, mais aussi son « code moral » (sa réticence à exercer la violence, sa fidélité à ses amis, son respect de ses engagements) traduit cette inspiration profonde. Et singulière, car pour le moins anachronique, tant dans la réalité de notre monde que dans la construction contemporaine des « thrillers », qui ont largement oublié les principes – sans doute jugés dépassés – du cinéma classique.

John Sugar est un « PI », à la manière de Sam Spade ou Philip Marlowe, et chaque épisode est truffé de très brefs extraits de ces fameux « classiques » du genre, soulignant – mais avec une légèreté bienvenue – ce fameux respect des « codes » qui distingue Sugar du tout-venant des séries actuelles. La première question que pose Sugar, et qui est passionnante, est donc celle qui empêche de dormir tous les cinéphiles : peut-on apprendre la vie en regardant des films, et saurons-nous nous comporter face à des situations réelles en nous référant à ce que le cinéma nous a enseigné ?

Et puis, il y a, bien entendu, l’enquête que mène John Sugar, la recherche d’une jeune femme disparue, appartenant à une riche et puissante famille d’Hollywood : une enquête qui coche toute les cases du classicisme « noir »… Au point que certains téléspectateurs, peu patients sans doute, ont trouvé l’intrigue trop convenue, pas assez passionnante, et le rythme trop lent. Et ont abandonné l’affaire. Comme si l’exemplaire mise en scène du très grand réalisateur brésilien, Fernando Mirelles (il dirige 5 des 8 épisodes), mêlant langueur, suavité, et faux raccords à la Godard, et l’interprétation subtile et magnifique, étonnamment « lisse » de Colin Farrell, tout en bienveillance et en douceur (il trouve peut être ici son meilleur rôle, très loin de ses clichés habituels) ne suffisaient pas à notre bonheur !

Ce qui est étonnant dans Sugar, c’est que toute cette intelligence, cette finesse s’avère être une sorte de McGuffin de la série, qui vole en éclats à l’occasion d’un twist assez renversant au 6ème épisode. Du coup on ne sait pas si on doit en vouloir à Protosevich et à ses scénaristes de nous faire ça, de briser notre douce béatitude devant tant d‘élégance et de classicisme pour le plaisir d’un coup d’éclat, ou si nous devons les admirer pour leur imagination. Il faut malgré tout reconnaître, quelle que soit la réponse à cette question, que la nouvelle direction prise par Sugar dans ses deux derniers épisodes soulève de nouvelles questions existentielles intéressantes : qu’est ce qui fait de nous des êtres humains ? Peut-on être contaminé par le Mal (il est vrai un sujet assez rebattu dans la littérature policière) ?

Dans tous les cas, et même si la conclusion laisse entendre que la seconde saison – si la série est renouvelée – pourrait emprunter des chemins bien moins originaux, Sugar est une expérience réellement singulière, qui laissera certains au bord du chemin mais ravira bien d’autres cinéphiles.

[Critique écrite en 2024]

https://www.benzinemag.net/2024/05/25/apple-tv-sugar-lamour-du-film-noir-et-ensuite/

EricDebarnot
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 26 mai 2024

Critique lue 478 fois

8 j'aime

2 commentaires

Eric BBYoda

Écrit par

Critique lue 478 fois

8
2

D'autres avis sur Sugar

Sugar
Paddychat
8

Excellent old fashioned - Mais… il est urgent d’attendre !

Mise à jour Débuts plus que prometteurs pour cette série qui au lieu de placer l’histoire dans les années 50, nous propose une histoire de privé à l’ancienne (ambiance à la James Ellroy ou Raymond...

le 13 avr. 2024

8 j'aime

10

Sugar
cesarsanchez
7

Un petit sucre

Jusqu’ici tout va bien. Je dirais même que ces 3 premiers épisodes m’ont enchanté bien au delà des attentes. Et pourtant je viens de finir Ripley, qui était brillant de son genre. Ici c’est un tout...

le 16 avr. 2024

7 j'aime

1

Sugar
ValentinMoreau4
8

LE DIABLE SE CACHE DANS LES DÉTAILS...

On voit ici des gens choqués, déçus par l'épisode 6, les gars vous n'êtes manifestement ni des Monk, ni des patrick Jane... Dès l'épisode 2 j'ai suggéré le twist à ma femme...Les indices jonchent...

le 12 mai 2024

6 j'aime

2

Du même critique

Les Misérables
EricDebarnot
7

Lâcheté et mensonges

Ce commentaire n'a pas pour ambition de juger des qualités cinématographiques du film de Ladj Ly, qui sont loin d'être négligeables : même si l'on peut tiquer devant un certain goût pour le...

le 29 nov. 2019

205 j'aime

152

1917
EricDebarnot
5

Le travelling de Kapo (slight return), et autres considérations...

Il y a longtemps que les questions morales liées à la pratique de l'Art Cinématographique, chères à Bazin ou à Rivette, ont été passées par pertes et profits par l'industrie du divertissement qui...

le 15 janv. 2020

191 j'aime

115

Je veux juste en finir
EricDebarnot
9

Scènes de la Vie Familiale

Cette chronique est basée sur ma propre interprétation du film de Charlie Kaufman, il est recommandé de ne pas la lire avant d'avoir vu le film, pour laisser à votre imagination et votre logique la...

le 15 sept. 2020

190 j'aime

25