Depuis des décennies, toute l'activité de Mercer, une petite ville de l'Ohio, est centrée autour de la Loop, un centre de recherche en physique expérimentale qui, par ses expériences offrant un champ de possibilités sans limite, a influé sur la vie d'une bonne partie des habitants de la région...
De quelle manière et à quelle échelle ? C'est ce que chacun de ces "Tales From The Loop" vont se donner pour but de nous raconter en adoptant un format bien particulier, celui de la semi-anthologie. Comme le terme le fait comprendre, chaque épisode se centrera sur la destinée d'un individu en particulier mais l'ensemble restera toujours intimement lié à la fois par la proximité (familiale, etc) des interactions de tous ces personnages amenés à se croiser en permanence et par l'enchevêtrement de conséquences de certaines histoires à de nouvelles pour en amplifier la teneur.
Cette première spécificité n'en est qu'une parmi tant d'autres dans ce qui va définir l'ADN de l'expérience SF à laquelle nous invite Nathaniel Halpern, scénariste connu pour son travail sur "Legion". Après tout, en ayant choisi comme source d'inspiration les œuvres du suédois Simon Stålenhag, la conception même de la série est déjà atypique par essence. Certes, ces artworks désormais biens connus par leur mise en scène d'éléments SF dans une Amérique rurale figée dans le temps ont déjà donné lieu à des livres d'art romancés ou à un jeu de rôle mais le choix d'adaptation visé par "Tales From The Loop" va permettre d'en tirer un objet télévisuel d'une toute autre portée.
D'abord, si vous êtes un de ces spectateurs qui aiment qu'on les tiennent par la main en leur fournissant toutes les explications possibles, passez votre chemin car "Tales From The Loop" risque de mettre à mal votre vision cartésienne. En effet, la série ne cherchera jamais à vous préciser les tenants et aboutissants de son univers, elle vous demandera simplement d'y adhérer et de les accepter tels qu'ils sont. La Loop existe depuis un temps indéterminé et elle a laissé dans son sillage tout un tas d'expériences abandonnées ou en cours qui jonchent désormais les terres de l'Ohio. Point. L'impossible devient possible et le fait d'y chercher une raison ne sera en aucun cas une donnée essentielle pour saisir ce que la série veut nous offrir et faire ressentir au cours de ses huit épisodes.
Schématiquement, chaque histoire se fixe sur un personnage confronté à un phénomène bouleversant les vérités indéboulonnables de notre réalité. Rien de surprenant jusque-là, d'autant plus que la nature de ces situations vécues reprend la plupart du temps des incontournables du genre SF au risque de décevoir certains spectateurs qui attendaient sûrement plus d'originalité sur ce plan. Mais ce serait donner une vision caricaturale de "Tales From The Loop" de ne la résumer qu'à cela car, ce qui va faire sa différence, c'est bien évidemment l'intelligence de son traitement quant à mêler la destinée émotionnelle de ses personnages à l'expérience hors-norme qu'il s'apprête à vivre.
La peur de la solitude, celle de ne pas être un parent à la hauteur, les derniers instants avant une mort que l'on sait inévitable... Chacun d'eux est gouverné par une faille profonde qu'un événement extraordinaire va venir mettre en lumière pour ensuite déboucher sur une prise de conscience et, le cas échéant, lui permettre de prendre le bon chemin existentiel dans le but de le soulager de son fardeau. Dans sa manière de faire des doutes intimes de ses personnages le cœur de ses contes SF, "Tales From The Loop" n'aura pas son pareil. En plus d'une narration souvent brillante pour en traduire les émanations sous-jacentes, la série va pouvoir aussi compter sur sur sa sublime direction artistique afin de créer une ambiance qui sera en quelque sorte le condensateur de toutes ses fragilités si humaines.
Le cadre inspiré des œuvres de Stålenhag est logiquement un acteur à part entière, le simple fait de voir des robots au design archaïque se promener dans les décors vides de l'arrière-pays américain équivaut à un aller simple dans une dimension rétro-futuriste on ne peut plus attractive, mais les qualités formelles faisant toute l'identité de "Tales From The Loop" ne s'arrêtent pas là. Pour affirmer sa différence vis-à-vis du tout-venant SF, Nathaniel Halpern va pousser les curseurs de son inspiration scandinave bien plus en loin encore en s'imprègnant directement de l'atmosphère si caractéristique des séries nordiques. Du premier épisode réalisé par Mark Romanek au dernier dirigé par Jodie Foster, les décors nous renverront inévitablement à des paysages suédois ou norvégiens, le sens affûté du cadrage des plans tendra souvent à retranscrire l'isolement de l'individu dans l'immensité du vide existentiel qui l'entoure, la froideur et la rigidité apparentes de l'environnement exalteront en réalité la sensibilité poétique véhiculée par les mésaventures des différentes protagonistes, tout comme le rythme lancinant de la série porté par la magnifique musique de Philip Glass (à la sonorité "Leftoverienne" par moment) en deviendra le parfait compagnon de voyage, même le physique de certains acteurs (excellent casting dans sa totalité soit-dit en passant) semblera lui aussi trouver ses racines dans cette vision nordique qui collera tant à la peau de "Tales From The Loop" malgré sa conception pourtant bel et bien américaine. En ce sens, le nom de Matt Reeves à la production, réalisateur ayant lui-même transposé le film suédois "Morse" aux États-Unis avec le remake "Laisse-Moi Entrer", n'est clairement pas un hasard dans cette influence très nord-européenne qui donne tout son cachet à la série.
À ce stade, et vu sa qualité, on aurait aimé crier au chef-d'oeuvre télévisuel, au monument de SF indispensable, mais "Tales From The Loop" va néanmoins révéler un défaut majeur qui l'empêchera hélas de prétendre à ce titre suprême : son manque de constance sur la longueur.
Les trois premiers épisodes vont clairement tutoyer le plus haut niveau que peut offrir l'oeuvre de Nathaniel Halpern (personnellement, j'ai eu un énorme coup de cœur pour le troisième) et ceux qui s'attarderont sur les membres-clés de la famille centrale de la série (le quatrième ou le dernier épisode en forme de superbe réponse au premier par exemple) seront les plus formidables représentants de l'intensité de la charge émotionnelle qu'elle peut véhiculer. Cependant, même s'il s'agit ici d'une "semi"-anthologie, le choix de ce format va forcément induire des baisses de régime dans la consistance de chacune des différentes histoires qui la compose globalement. Ainsi, l'épisode 6 se focalisant sur un étrange trio amoureux ou le 7 sur une île mystérieuse vont se révéler bien plus faibles, voire beaucoup trop faciles, sur la finalité du message à comprendre derrière leurs propositions respectives. Il en résultera une deuxième partie de saison en dents de scie, perdant notre intérêt sur un épisode pour mieux le regagner sur le suivant, un ressenti vraiment regrettable au vu de la très grande qualité permanente de la première moitié.
Finalement, il aurait peut-être fallu suivre l'adage entendu au cours du troisième volet -"Parfois, les choses sont spéciales parce qu'elles ne durent pas."- et se cantonner à suivre les premiers personnages mis en place au lieu de se disperser autour d'autres à l'intérêt plus relatif dans la seconde partie de saison.
Cela dit, cette irrégularité à ce niveau n'enlèvera rien à la singularité de la force de frappe que représente "Tales From The Loop" dans l'offre de SF actuelle ! Comme une œuvre d'art à l'âme décidément bien nordique qui prendrait vie sous nos yeux, nous demandant de la contempler et de se laisser guider par les émotions de ses personnages pour qu'elle se répercute aux nôtres avec une facilité déconcertante. Comme si l'impossible artistique deviendrait possible en définitive...