La mini-série est un format idéal : suffisamment modeste pour qu’on lui donne sa chance jusqu’au bout, et bénéficiant tout de même d’un temps hors norme par rapport à un long métrage pour installer son univers. Tales from the loop reprend un jeu de rôle accompagné d’un livre dont les illustrations avaient marqué, et qui conditionnent l’esthétique singulière de cette uchronie explorant une ville américaine des 80’s vivant autour d’un mystérieux artefact modifiant alentour les propriétés physiques traditionnelles. La série s’orientant particulièrement vers le destin d’enfants, le tout pourrait fortement rappeler le mastodonte Stranger Things, mais il n’en sera rien : très peu d’humour, pas de sens pop et d’easter eggs pour séduire les quadra nostalgiques, un rythme résolument neurasthénique : Tales from the Loop tient clairement à forger une identité propre.
L’esthétique très actuelle (photo Instagram filtrée et laiteuse, gérée pour le premier épisode par le chef op attitré de David Fincher, Jeff Cronenweth), le recours à la musique (de Philip Glass sur deux épisodes) très proche de celle de Richter qui rappelle (beaucoup trop) The Leftovers distillent ainsi une atmosphère mélancolique et contemplative qui séduit assez rapidement, car associée à une série de mystères qu’on laisse en suspens. Tout le design (architecture décatie, objets vintage) est impeccable et la ville présentée semble surtout vivre dans un après, sans euphorie quant à ses expérimentation, comme si d’anciens enfants regardaient un passé déjà révolu. Et c’est effectivement dans son exploration du temps que la série laissera surgir le plus de sens et d’émotions.
Les atouts sont donc nombreux, mais n’en arrivent pas pour autant à contrebalancer totalement les multiples défauts. Car la volonté de démarcation ne se fait pas toujours dans la finesse, que ce soit par cette musique omniprésente (et qui, pour le coup, ne parvient jamais à retrouver le sens parfait de l’équilibre qu’on avait dans The Leftovers) ou une lenteur parfois poseuse qui peut donner par moment un sentiment de remplissage, la lourdeur est en embuscade, d’autant qu’elle contamine aussi l’écriture par une sur-explicitation des enjeux, dans les réactions des personnages face à la découverte de phénomènes singuliers ou les résolutions de certaines intrigues souvent attendues. C’est aussi la relative maladresse que cette écriture semi anthologique qui donne à chaque personnage un épisode propre : si la façon de les relier progressivement est plutôt bien gérée, c’est l’arc général qui révèle ses faiblesse. Car à bien y réfléchir, le fameux Loop reste une superbe béquille de scénariste qui permettra de jouer avec l’espace-temps et les innovations technologiques sans qu’on ait besoin d’aller plus loin en termes d’explication. Chaque épisode distille ainsi son concept où la plupart du temps, il suffit d’appuyer sur ON pour figer le temps, s’y déplacer, se dédoubler, atteindre un univers parallèle. On n’aura jamais droit à davantage.
Mais il faut bien reconnaître que ce parti-pris conditionne aussi la charge émotionnelle du récit, qui, bien loin des ressorts classiques de la série, fait du temps dans sa durée son sujet majeur. Il faut ainsi avoir la patience d’aller jusqu’au huitième épisode pour prendre la réelle mesure des ellipses si présentes. Plutôt qu’un défaut d’écriture, on peut aussi les voir comme le lieu creux d’un charme fortement mélancolique. Car dans ce récit, les présences inexpliquées (ces tours, ces robots, ces modules qu’on répare sans cesse, ces objets abandonnés dans la forêt ou sur la plage) et la confrontation au battement de cil qu’est la durée d’une vie confrontent avant tout l’être humain à ce que la science ne pourra visiblement jamais appréhender : l’insondable mystère du temps dirigé vers la mort.
(6.5/10)