C’est une coïncidence intéressante que la sortie quasi-simultanée de la série Terminator : Zéro et du film Alien Romulus, tant il est vrai que ces deux franchises ont jusqu’à présent connu une vie relativement similaire : une entrée en fanfare grâce à une idée originale tirant le meilleur parti d’un budget limité, puis une reprise musclée avec tous les effets spéciaux et la débauche d’action que l’on est en droit d’attendre de James Cameron… et après cela le déluge ; ou tout du moins une longue traversée déprimante d’une suite à l’autre, au mieux réinventions inabouties (Prometheus, Terminator : Renaissance), au pire redites opportunistes (Alien Covenant, Terminator : Dark Fate)… jusqu’à cette année 2024, qui voit leurs chemins diverger. Au xénomorphe la nostalgie bon marché, à l’« assassin électronique » (dixit le titre polonais !) l’audace et la prise de risques. Calcul payant ?
Écrite par Mattson Tomlin et réalisée par Masashi Kudô, Terminator : Zero joue à fond la carte de son format anime en situant l’action dans le pays d’origine de ce dernier, le Japon. Exit donc le T-800 immortalisé par Arnold Schwarzenegger, avec son florilège de scènes et répliques cultissimes, exit aussi Sarah Connor, Kyle Reese, leur fils John et le T-1000 en « métal liquide ». La série suit Malcolm Lee, développeur américain grisonnant implanté à Tokyo, où il élabore pour le compte du géant informatique Cortex une intelligence artificielle nommée « Kokoro » – personnifiée par trois présences féminines éthérées auxquelles il consacre plus de temps qu’à ses trois enfants, essentiellement laissés à la charge de leur nourrice Misaki.
Parallèlement, comme le veut la formule, le futur apocalyptique envoie deux de ses représentants, un modèle de T-800 flambant neuf interprété par Timothy Oliphant et une jeune humaine résistante, Eiko (doublée en anglais par Sonoya Mizuno, vue récemment dans House of the Dragon), l’un pour éliminer Malcolm, l’autre pour le sauver ; le temps presse, car nous sommes à l’aube du 29 août 1997, jour du Jugement Dernier tel qu’indiqué par le bon vieux Schwarzy dans T2. Si vous manquez de références, sachez par ailleurs que non content de ressembler à Miles Dyson et d’occuper la même position que lui, Malcolm Lee fait le même cauchemar nucléaire que Sarah Connor (jardin d’enfants et squelette inclus), les locaux de Cortex sont quasi-identiques à ceux de Cyberdyne, tandis que l’usine Skynet de Renaissance et la machine à remonter le temps de Genisys font leur apparition.
Où sont donc l’originalité et la prise de risques évoquées en introduction, me direz-vous ? Habilement, Mattson Tomlin va utiliser cette prémisse ultra-rabâchée pour mieux l’emmener vers des détours inattendus, aidé en cela par un format (8x30 minutes) permettant de mieux maîtriser les allées et venues dans le temps et dans l’espace – à condition de les employer avec parcimonie, ce que fait la série, heureusement plus préoccupée par le tourment de ses personnages que par la tyrannie des rebondissements. Ce sont les décisions des premiers qui dictent le rythme des seconds, et non l’inverse.
D’un point de vue formel également, Terminator : Zero évite les références à outrances à ses aînés ; ce qui est un effort particulièrement louable, tant l’héritage de Terminator est fonde sur ses répliques, parmi les plus célèbres du cinéma de divertissement – encore plus si l’on considère à quel point ce procédé putassier est aujourd’hui utilisé jusqu’à la nausée ; dernier coupable en date : Alien Romulus susmentionné – mais pas que : il faut croire que Genisys et Dark Fate ont fini par épuiser le baril de variations des Come with me if you want to live et autres I’ll be back, et c’est heureux.
Aussi salutaire et bienvenue soit-elle, cette retenue présente cependant le paradoxe de mettre en lumière tout ce qui faisait des deux premiers films de James Cameron de véritables monuments du genre, cultes, et pas un simple objet de consommation en streaming, bien que fort réussi. On ne peut guère dire du réalisateur canadien (oui, oui) qu’il ait jamais été un grand auteur, mais personne d’autre que lui, pas même Spielberg, n’est aussi en phase avec les attentes et désirs de ses spectateurs, et n’a la même capacite à se débarrasser du superflu pour leur donner ce qu’ils veulent, et plus encore.
Dans The Terminator et T2, ce « plus encore », c’était précisément toutes les répliques du T-800, sublimées par l’accent autrichien d’Arnold totalement absurde pour un robot, c’était aussi l’alchimie entre la trop sous-cotée Linda Hamilton et Michael Biehn puis Edward Furlong, c’était d’une manière générale un casting aux petits oignons, et aussi un savant mélange de suspense, d’horreur et d’action, aucun de ses aspects n’étouffant véritablement les autres, et chacun d’entre eux disposant d’une technologie de pointe, révolutionnaire même, aux mains d’orfèvres en leur domaine.
Or, dans Terminator : Zero, tous ces aspects sont bien présents, mais sans cette plus-value, ce supplément d’âme. C’est peu dire que j’adore habituellement Timothy Oliphant, fan inconditionnel de Justified que je suis, mais sa performance en tant qu'« organisme cybernétique » demeure tout ce qu’il y a de plus plate. Idem pour sa comparse de Mandalorian Rosario Dawson. Personne parmi leurs collègues ne s’égare, mais personne ne se détache non plus. De même, le body-horror et les scènes de course-poursuite et de fusillades emblématiques des films ne sauraient atteindre les mêmes hauteurs sous un format animé.
En fait, plutôt que Terminator : Zero (quelqu’un pour m’expliquer ce titre ?), la série de Mattson Tomlin aurait pu ou dû s’appeler « Terminator Minus One », faisant ainsi écho à la récente réinvention de Godzilla par le réalisateur Takashi Yamazaki : comme lui, Tomlin excelle à reprendre les codes de l’original sans tomber dans le pastiche et en y insérant un inattendu regain d’humanité et de pathos, mais en perdant un facteur X qui élevait ledit original au statut de légende. À moins que la saison 2 n’ait son mot à dire ? Ce qui est certain, avec ce futur-là, c’est que j’ai envie de lui dire « Hasta la vista, baby » et non « You’re terminated, f*cker ! », et c’est déjà cela !