Il est des moments où tout s'aligne. À la création d'un projet, on s'engage dans un long et tumultueux processus, sans certitude de résultat. Le parcours implique plusieurs personnes/personnalités/égos, différents corps de métier. La partie créative se heurte à la partie financière, etc. Des éléments insaisissables se dressent sur le chemin, mais on y va, car on y croit. Certains projets ne voient jamais le jour, d'autres si mais avec un résultat décevant. Et puis plus rarement, arrive ce fameux moment où tout ce que l'on a théorisé/planifié/rêvé/anticipé/espéré fonctionne avec une fluidité teintée d'évidences.
C'est sûrement ce qu'à dû se dire à la fin du montage Christopher Storer, créateur et réalisateur de la série The Bear.
Conçue avec un budget d'environ 27,55 € (mis à l'échelle de shows comme House of a Dragon ou Les Anneaux de Pouvoir, pour ne citer que deux récentes méga-productions bourrées de poncifs où ils ne se passent rien ou presque), cette série cumule les bons points.
Le montage. Une variété de rythmes qui va d'un tempo frénétique (mais toujours limpide) à quelques moments suspendus (des scènes en duo où une poignée de dialogues parvient à exprimer tout l'essence et la subtilité d'un personnage). C'est parfois suffocant (accrochez-vous, le premier épisode ne rigole pas sur ce point), mais ça respire toujours.
Les personnages. Ils sont nombreux, mais sont également si bien écrits que des petites parties de scènes, des bouts de dialogues, un regard suffisent pour qu'ils existent avec épaisseur et nuances. Imparfaits, authentiques, on s'attache même au plus énervant, même à ceux qu'on ne fait que croiser.
La musique. Ouvrir le show avec la chanson New Noise de Refused pour induire l'urgence et le chaos auxquels est confronté Carmy, le personnage principal ? Je m'incline et savoure ce choix (le reste de la bande-son est à l'avenant).
Les interprètes. Qu'importe leur temps de présence à l'écran, ils sont impeccables dans leurs voix, postures, regards, tronches, rythmes. Un énorme respect à la personne chargée du casting, car personne n'écrase son partenaire, tout s'équilibre naturellement.
La réalisation. Fluide, elle se positionne en totale servitude face à la narration. Aucun effet tapageur, rien ne déborde. Aucun gras n'est toléré dans ce lieu exigu qu'est cette sandwicherie.
La photographie. Brute, elle ne cherche en rien à magnifier les situations, juste à les restituer fidèlement. Pour certains gros plans culinaires, elle sait se montrer chatoyante et douce.
L'écriture. Précise, elle a peu de temps pour se déployer et pourtant, elle ne néglige rien, l'arc narratif principal comme les petits détails qui racontent tant.
Les idées. Comme par exemple un épisode qui se manifeste en un unique plan séquence. Pas d'esbroufe ici dans ce procédé qui se révèle souvent prétentieux car mal utilisé. Dans ce cas précis, il accompagne et sert le récit, emmenant loin et haut le propos défendu.
Les sujets abordés. Le thème de la famille est au cœur du récit, celle qui s'est invitée entre les membres de l'équipe du restaurant, comme celle du personnage principal. L'addiction, le suicide, le stress au travail, le rapport au deuil, la jalousie, la précarité, l'entraide, le déni, le complexe de l'imposteur, la passion, la difficulté à communiquer, le chagrin, la réticence au changement, la fuite, rien n'est appuyé pour faire monter les larmes. On raconte simplement ce que la vie nous amène parfois à traverser, inutile d'en rajouter.
Les émotions. C'est poignant, énervant, drôle, triste, attendrissant. Quelle finesse !
Le format. Huit courts épisodes d'une trentaine de minute en moyenne. C'est peu mais c'est parfait. Point de "y en a un peu plus, j'vous le mets quand même ?". Cela change des séries qui allongent inutilement leur durée sans n'avoir rien de plus à raconter, juste pour insérer des espaces pubs supplémentaires.
Des défauts. Je pourrais évoquer un personnage très secondaire dont je n'ai pas compris la raison de sa présence, ou une scène un peu longue dans le dernier épisode, ou encore une fin qui questionne dans ce qu'elle ouvre comme perspective.
The Bear est exceptionnellement douée, elle ne bénéficiera pas d'une campagne tapageuse pour la porter à la connaissance du plus grand nombre, mais mérite que vous la savouriez.