Depuis une grosse dizaine d’années, l’escalade connaît une croissance exponentielle. Plusieurs facteurs en sont entre autres responsables :
La coolitude de ce sport d’abord, qui mêle fun et exigences physiques, en mettant à contribution tous les muscles du corps. La grimpe fait travailler l’équilibre, la coordination, la force brute, mais aussi l’esprit d’analyse (on parle de lire une voie, et de résoudre un problème en bloc) et la gestion du risque, inhérente à la pratique du sport.
L’accessibilité ensuite, avec la démocratisation d’un sport à la mode : les salles d’escalade poussent comme des champignons, il en ouvre toutes les semaines. A titre d’exemple, Climb Up, l’un des leaders français en la matière avec 31 salles en 2024, prévoit d’attendre 100 lofts d’ici 2030.
La popularisation enfin, grâce au développement des compétitions, l’entrée de l’escalade aux JO à Tokyo (sous un format très imparfait combinant vitesse, bloc & difficulté) puis à Paris (avec un format assaini : vitesse d’un côté, et bloc/difficulté de l’autre), mais aussi la célébrité croissante des athlètes.
La série The Crux surfe sur ces bonnes ondes. Le crux, c’est la partie la plus difficile d’une voie ou d’un bloc, quelques mouvements particulièrement intenses et complexes. Produite par nul autre que Jimmy Chin et Elizabeth Chai Vasarhelyi, le pape et la papesse des films de sports (à qui l’on doit notamment l’excellent Free Solo, Oscar du meilleur film documentaire en 2019), cette série documentaire retrace de l’intérieur l’année compétitive qui a précédé les JO de Paris, à travers les différentes échéances qualificatives pour des athlètes.
Les deux premiers épisodes sont ainsi centrés sur les Championnats du Monde de Berne, à l’été 2023, où les premiers tickets olympiques étaient attribués. Les deux épisodes suivants (les derniers de cette mini-série) se concentrent sur les Tournois Continentaux, à Laval pour l’Europe, à Jakarta pour l’Asie et à Melbourne pour l’Océanie.
La grande réussite de la série est de présenter les différentes opportunités de se qualifier aux JO de manière linéaire, d’alterner moments de grimpes et entretiens avec des athlètes et des coachs, et de montrer l’envers du décor, les dessous des compétitions.
Pourtant, la série n’est à mon sens pas tout à fait aboutie et présente un certain nombre de limites criantes. Tout d’abord les extraits des compétitions ne sont pas si nombreux. On sent que les droits à l’image coûtaient chers et seuls quelques passages apparaissent dans les épisodes. Ces extraits font cependant le spectacle, et constituent souvent les meilleurs moments des épisodes.
On regrettera par ailleurs une certaine disparité entre blocs et voies. Dans le combiné olympique, bloc et difficulté (=voie) ont le même poids. Ici pourtant, la majeure partie des épisodes se concentre sur les épreuves de blocs, et on aurait aimé voir un peu plus de grimpe en voies.
La série prend le parti de suivre un petit nombre d’athlètes dans leur quête du ticket olympique. Certains pourront regretter de ne pas voir figurer à l’affiche quelques favoris, comme Sorato Anraku ou Adam Ondra. Cela ne m’a pour ma part pas dérangé : les athlètes choisis pour figurer dans la série ont des parcours suffisamment variés et tous de belles chances de qualification. On retrouve par exemple chez les femmes la slovène et ultra-favorite Janja Garnbret (désormais double championne olympique), la grimpeuse ukrainienne Ievgeniia Kazbekova, notre française Orianne Bertone ; et chez les hommes le jeune (et nouveau champion olympique) Toby Roberts ou encore le tricolore Mejdi Schalck. Bien que certains dialogues sonnent parfois faux et soit très écrits, c’est un vrai plaisir de retrouver ces athlètes lors d’entretiens, d’entrainements ou de moments hors des compétitions.
Pour une série sur les dessous des compétitions, on regrettera également que les épisodes ne donnent pas la parole à certains rôles clés, comme les juges ou les ouvreurs (ceux qui créent les passages pour les athlètes). Leur rôle est pourtant fondamental car leurs choix d’ouvertures ont un impact majeur sur les performances des athlètes. Lors des JO de Paris par exemple, l’une des favorites au podium, la japonaise Ai Mori, a dû se contenter de la médaille en chocolat après un tour de bloc très moyen : du haut de ses 1m50, de nombreux passages nécessitaient une grande envergure. On l’a même vu échouer tristement à atteindre une prise de départ trop haute pour elle, là où toutes ses concurrentes, plus grandes, n’éprouvaient pas de difficultés particulières.
Enfin et surtout, l’une des grandes limites de cette série est de ne présenter qu’une moitié des occasions qualificatives aux JO. Après Berne, les deux derniers épisodes présentent les tournois de qualification continentaux pour l’Europe, l’Asie et l’Océanie. Quid des tournois américain et africain ? Un épisode sur ces deux tournois aurait été appréciable. De même, la dernière échéance qualificative, les OQS (Olympic Qualifiers Series) de Shangaï et Budapest, qui distribuaient les 10 derniers tickets hommes et femmes pour Paris 2024 auraient également mérité un ou deux épisodes.
Bref, bien qu’il soit toujours agréable de voir des séquences de grimpe et d’être au plus près d’athlètes olympiens, The Crux apparaît au final comme une série documentaire pas tout à fait aboutie et qui aurait mérité un développement plus conséquent.
Pour ceux que cela intéresse, les 4 épisodes sont disponibles gratuitement sur la chaîne Youtube de National Geographic.