Saison 1:
Après la déception due à The handmaid’s tale, j’avais bien besoin de voir quelque chose de propre à me réconcilier avec la production télévisée actuelle. Avec David Simon aux manettes, je ne prenais pas un bien grand risque de me planter sur The Deuce.
Avec ses 8 épisodes (autour d’une heure chacun), la série m’a permis de passer quelques agréables moments. Comme avec Treme et The Wire, je retrouve cette structure chorale et l’écriture très efficace de scénarii denses, mais pourtant très fluides.
Peut-être que j’ai eu quelque peine à supporter les plissements d’yeux et autres simagrées de James Franco, au jeu parfois très artificiel, mais peu à peu, on s’habitue. Le reste du casting aide beaucoup à accepter les effets de manche du comédien.
Surtout, au risque de me répéter, l'atout maître de la série reste l’écriture. A la fois réaliste et pittoresque, le ton de la série varie entre comédie et tragédie avec un certain doigté et un soin particulier évident pour décrire au mieux le “milieu” (proxénétisme, prostitution et émergence du cinéma porno).
On est bien immergé dans cet univers interlope où la violence et la précarité n'empêchent nullement les protagonistes d’évoluer avec une certaine grâce. Entre rêves et désillusions, certains sont même bien chahutés, mais le récit reste ancré dans le réel et ne se fourvoie pas dans des effets dramaturgiques démesurés.C’est cet équilibre qu’on retrouve souvent dans l’écriture de David Simon, un auteur pourtant qui touche à des domaines tellement romanesques que le péril est grand à tomber dans la sur-dramatisation.
Que ce fut dans The Wire où drogue et corruption étaient le nerf de la guerre, que ce fut dans Treme où la Nouvelle-Orléans n’en finissait pas de soigner ses plaies après Catrina, déjà l’absurde cruauté du monde laissait son empreinte de vicissitudes sur l’existence humaine et pouvait dès lors pousser la lecture qu’on en fait sur le chemin du désespoir et au delà, mais David Simon évite à chaque fois cet écueil. The Deuce ne déroge pas à cette heureuse règle.
Il est un autre domaine où la série atteint le haut niveau, celui de la distribution. Elle donne l’occasion à certains de faire un bel étalage de leur talent.
J’ai beaucoup aimé découvrir Gary Carr pour sa capacité à incarner aussi le côté hâbleur, baratineur de son personnage, mais également la violence dont il est capable d’user pour tenir ses femmes. L'ambiguïté malsaine de pragmatisme qui préside à la fonction du maquereau est par ses soins superbement bien illustrée.
Maggie Gyllenhaal a un rôle très complexe, celui d’une pute indépendante dans une position de fragilité extrême (encore que celles qui sont “soutenues” ne sont pas mieux loties en réalité), mais disons que tout le monde la considère comme plus vulnérable. Or, cette liberté s’avère sa seule planche de salut sur laquelle repose son évolution. L’actrice me laisse admiratif par sa prestation tout en nuances, avec très peu d’effets de comédienne. Vraiment subtil, son jeu montre les moindres tressaillements psychologiques de cette femme qui essaie de s’en sortir, qui espère, qui se désespère. Elle est impressionnante.
Difficile de rester insensible au charme de Margarita Levieva, l’assurance de son personnage attire l’attention. La jeune comédienne marque de sa présence l’écran, pas de doute.
D’un point de vue stylistique, formel, on voit très vite que les auteurs de la série ont énormément misé sur la reconstitution historique et esthétique de la période : que ce soit sur les décors, l’accoutrement, les coiffures, la série dégueule ses années soixante-dix avec une joie communicatrice.
Du beau boulot, jouissif ; à telle enseigne, que je rempile volontiers sur la saison 2 dès que possible.
Saison 2 :
Autant la saison 1 m’avait beaucoup plu, mais m'avait laissé tout de même un peu perplexe sur les intentions des auteurs en fin de compte, autant cette saison 2 m’a paru beaucoup plus nette, encore plus évidente.
De fait, pourtant, la série propose la même chose, le même alliage de drames, de comédies, les mêmes interrogations, les mêmes trajectoires des personnages. Dans une certaine mesure, j’ai l’impression de revivre la même expérience de téléspectateur qu’avec les deux premières saisons de Mad Men. Mad Men est ma série préférée, malgré une première saison d’installation des trames et des personnages qui m’avait laissé sur ma faim. Espérons que The Deuce me fasse connaître les mêmes frissons de plaisir à l’avenir.
Pour le moment, c’est bien parti avec une saison 2 réjouissante par son équilibre, son écriture surprenante mais sûre. Le péril majeur des séries chorales est l’éparpillement. Peut-être ai-je eu le sentiment que c’était trop le cas sur la saison 1. Dans cette deuxième saison, ce sentiment disparaît complètement. Les histoires en parallèle se suivent avec fluidité, maintiennent l’attention du spectateur avec beaucoup de finesse et d’efficacité.
Il fallait sans doute une première saison entière pour le spectateur connaisse parfaitement les enjeux de chaque personnage principal. Cette saison 2 peut en toute liberté jouer sur ces parcours .
Les comédiens semblent beaucoup plus sûrs, mieux assis sur leur personnage, jouent mieux leurs interactions. Il se dégage une sensation de sûreté, de maîtrise, une sorte d'assurance. On sait où vont les personnages et on peut se permettre d’être surpris par les quelques virages qu’ils s’autorisent. En dépit de l’appropriation ou de l’immersion du spectateur dans le récit, ce dernier réussit à ménager quelques surprises. Elle sont agréables, mettent du sel par-ci, par-là et maintiennent un intérêt supérieur.
Peut-être la saison 2 verse-t-elle plus volontiers vers son aspect comique? Cependant, elle n’oblitère pas son caractère réaliste et donc très violent du milieu dans lequel elle nous plonge : le monde interlope new-yorkais, l’industrie porno et prostitutionnelle, entre mafiosi et proxénètes.
Déjà une année de passée et déjà l’esthétique a quelque peu évolué : on se rapproche peu à peu des années 80. Le travail formel demeure d’une remarquable efficacité. The Deuce est agréable à regarder. La caméra n’exagère pas ses effets, préférant aller à l’essentiel. De fait, jamais on a à fustiger un quelconque tape à l’oeil dans la mise en image, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de médiocres séries actuelles.
Chez les acteurs, à part quelques changements importants que le scénario nous ménage pour la saison 3 à venir, on prend donc les mêmes et on recommence. C’est un plaisir continu. Maggie Gyllenhaal est en tout point excellente. Elle surprendra ceux qui ne la connaissent pas. Avec un personnage joué de manière très sobre, qui supporte pourtant un terrible poids sur les épaules, elle dessine un magnifique portrait de femme qui, très pragmatique, refuse de même l’hégémonie masculine sociale.
Je voudrais noter également que j’ai apprécié le jeu de James Franco, ce qui n’est pas le cas tout le temps, loin s’en faut. J’ai un petit problème avec quelques unes de ses interprétations. A tel point que j’avais quelques réticences à la découverte de cette série, d’autant plus qu’il y joue deux frères jumeaux aux tempéraments assez opposés et très dramatiquement exagérés au départ. Mais sur cette deuxième saison, les deux personnages gagnent en épaisseur et en réalisme ce qu’ils perdent en pittoresque et grandiloquence, atténuant quelque peu leurs outrances de caractères et d’expression.
The deuce saison 2 ne finit pas véritablement sur un cliffhanger, mais l’on a bien se tracer les quelques directions futures que va prendre la série, autant de promesses qu’il me tarde de voir se concrétiser dans la saison 3.
Saison 2