Si chaque nouvelle série HBO est un événement en soi, il y a quelque chose d’encore plus remarquable à voir arriver sur la chaîne une nouvelle création du scénariste, écrivain, ex-journaliste et accessoirement génie, David Simon. A l’origine de la « meilleure série de tous les temps » (titre très présomptueux mais étrangement quasi-incontesté dans la sphère sériephile) The Wire, mais aussi des excellentes Treme, Show Me A Hero, Generation Kill et The Corner, le voilà enfin de retour au format multi-saisons. Après Baltimore et La Nouvelle-Orléans, c’est cette fois New York et sa célèbre 42ème rue qui servira de décor à son nouveau bébé, The Deuce, plongée encore une fois documentaire, rigoureux et politique dans les coulisses de l’industrie de la pornographie et de la prostitution dans la Big Apple des années 70.
Deux James Franco moustachus, plusieurs têtes connues du David Simon-verse, Method Man en mac, Maggie Gyllenhaal au sommet de sa carrière : pour son The Deuce, Simon s’est encore une fois très bien entouré. S’il y a bien une constante dans la réussite quasi-systématique de ses créations, c’est le soin tout particulier apporté à ses choix de casting. Qu’il s’agisse d’illustrer une innocence de surface ou la détresse camouflée des acteurs de ce spectacle de la « décadence », chacun semble à sa place, au point de s’effacer complètement derrière ces visages qui deviennent si rapidement familiers, bouleversants, passionnants, incertains.
De la même manière que les trafics de drogue de Baltimore évoquaient des problématiques plus larges, plus globales, comme le déterminisme social ou le cheminement cyclique de la nature humaine ; ce microcosme de la prostitution newyorkaise devient le reflet de problématiques tout à fait contemporaines vis-à-vis de la sexualité, de l’égalité des genres ou encore de la libération des mœurs. Au fond, en parlant de ce rapport de domination proxénète-prostituée, de cette industrie de la chaire et de cette exploitation des désirs animaux, David Simon plonge profondément dans les vices les plus refoulés du genre humain, devenus incontrôlables dans cette période de transition évoquant la Rome de Caligula.
Cette brutalité froide avec laquelle Simon traite équitablement une scène de violence inouïe et une scène d’amour devient un fait d’analyse : c’est cette objectivité journalistique qui donne à ses œuvres cette odeur, cette saveur, au point que les bars deviennent tangibles, que les personnages prennent vie, et que leur destin n’en devient que plus troublant, sinueux. Derrière ses airs de reconstitution funky des dérives du commerce sexuel, ou même de brûlot politique embrasé, The Deuce cache des histoires de femmes et d’hommes, complexes et paradoxaux. Véritables.
Comme pour The Wire ou Treme, il faudra attendre ses prochaines saisons pour savoir si The Deuce les rejoindra au panthéon des chefs d’œuvres télévisuels. Simon, en tout cas, a toutes les cartes en main : comme ses prédécesseurs, The Deuce est appliquée, soignée, précise, arbitraire et pourtant si chaotique. Elle suinte le sexe, l’alcool et la rue, elle respire la vie et cette sensualité sauvage d’une marginalité sexuelle comme spectacle de rue. Subtile, désenchantée, féministe, rigoureuse : comme prévu, on est face à du très grand. Et cela fait plaisir qu’on puisse encore voir des choses aussi ambitieuses et anti-spectaculaires en 2017. Chapeau.