"Je ne m'attendais à rien, mais je suis quand même déçu". Dewey, dans Malcolm.
Disons-le d'entrée, cette fresque historique reconstituant la naissance du football, imaginée par les créateurs de Downton Abbey laisse l'exigeant amateur de foot sur sa faim. Car 6 épisodes de 45 minutes dont l'intérêt repose sur un unique paradoxe, certes très surprenant, ça fait peu.
Quel paradoxe ? L'argent a été introduit dans le football par les clubs ouvriers, alors que l'aristocratie voulait maintenir une forme d'amateurisme et de "pureté" dans ce sport. Leurs motivations in fine étant plus le contrôle des compétitions et des titres, mais c'est un fait. Les transferts, et la rétribution en sous-main (l'engagement en usine, les primes de match) viennent du "bas" car c'était une nécessité, une chance et cela répondait à une logique évidente.
Ce paradoxe risque de faire des nœuds aux cerveaux des gens qui s'émeuvent du fait qu'il y a trop d'argent dans le foot. La question du pognon a été d'emblée un problème, un espoir et une composante inévitable. La vision de tout travail mérite salaire valide le fait que des footballeurs touchent des millions d'euros étant donné qu'ils en rapportent X fois plus à une économie.
La vraie injustice serait que les footballeurs continuent à gagner des clopinettes alors qu'ils brassent des milliards et font vivre des industries entières. Mais on ne peut pas empêcher les crétins de P.M.U de s'indigner sur le salaire de tel joueur du PSG ou du Real... Il vaut mieux les laisser imaginer que les pauvres jouent au football gratuitement par choix, ou sensibilité marxiste. Et que les joueurs célèbres ont fait le choix du libéralisme.
Passé ce constat, comment faire tenir sur la longueur une série historique sur le foot ? Eh bien en proposant des scènes sur l'élaboration des règles ? sur la création de tactique ? Non pas forcément. On peut aussi avoir recours aux longueurs, à beaucoup de longueurs ! Aux personnages fantoches et aux intrigues barbantes autour de la natalité qui ont été inventées comme la plupart des intrigues : la perte d'un enfant de Mme Kinnaird, la bonne engrossée par le président de Blackburn, et l'enfant non désiré d'une femme en détresse sociale qui atterrit dans un foyer pour femmes battues. Les ventres ronds ont pris le pas sur le ballon.
Concernant l'arc narratif de Mme Kinnaird, à l'époque, les fausses couches étaient malheureusement très répandues. Il y a fort à parier que dans la réalité, la jeune demoiselle n'ait pas sombré à ce point là dans la dépression, tant la situation était tristement banale et admise chez toutes les femmes de la société.
Mais les auteurs actuels sont déterminés à réécrire les drames du passé à l'aune du présent afin de favoriser l'identification. Ce qui donne parfois une modernisation incongrue que les costumes ne parviennent pas à faire oublier.
La prise de conscience des besoins et aspirations de la classe populaire par Kinnaird, semblant encore un brin trop angélique au regard de l'époque. Le sport et le respect du à l'adversaire lui ayant fait comprendre la lutte des classes, perso j'en doute fortement. Il est plus probable que cette ouverture s'est faite dans un rapport de force comme on le voit dans l'ultime épisode et la menace de créer leur propre ligue.... mais c'est moins romanesque.
La lutte des classes est très brièvement abordée dans les premiers épisodes avec le blocage d'usine et l'émeute sanglante (le chien est mort !), et résolu avec un happy end digne de PBLV. Le reste du temps, on suit les dîner mondains où les Old Etonians devisent gentiment en compagnie de leurs femmes qui ont d'ailleurs un avis très précis sur le style de jeu de l'équipe ! (Mme Kinnaird faisant les gros yeux à son mari quand ce dernier s'amuse de gagner le match comme José Mourinho ! le beau jeu elle connaît manifestement !), pendant que les prolos se tirent dans les pattes au pub pour des questions de transferts au plus offrant.
Là non plus, pas sûr que dans la réalité les ouvriers qui crevaient la dalle se reprochent entre eux des signatures dans d'autres clubs contre une forte somme d'argent. La passion du supportérisme, et l'identité du supporter venant bien plus tard et s'installant quand on a autre chose à faire que survivre.
Pas de Jean-Jacques Ansellem à la réalisation
L'autre défaut majeur de la série - et c'est le plus grave selon moi car c'est celui qui est le plus ridicule - est sa représentation du foot. Quand bien même personne n'a jamais vraiment réussi à opérer parfaitement la retranscription au cinéma (à part peut-être Coup de tête ou Damned united), la série de Julian Fellowes parvient à rendre A nous la victoire crédible.
Même si le football en était à ses balbutiements, il y a peu de chances que des joueurs payés pour jouer se concertent tactiquement pour la première fois 3 minutes avant le coup d'envoi d'un match important. Absolument impossible. Je vais pinailler car au final les phases de jeu sont très secondaires dans la série, et leur intérêt est minime, mais c'est très agaçant, car cela n'aurait rien coûté de faire bien les choses.
Non, des types qui s’entraînaient après des journées d'usine n'improvisaient pas des schémas de jeu hasardeux avant un match capital. Même la disposition sur le terrain prête à rire. Ça m'a rappelé le très peu fiable animé japonais Olive et Tom, à vrai dire. Voir en un même plan 5 joueurs qui attaquent le ballon côte à côte, même en 1875, ça ne pouvait pas arriver. Pour toute personne qui a déjà joué un minimum au foot, le décalage, l'espacement sur le terrain est naturel. Il n'y a que dans les cours de récréation bondés ou des enfants de 7 ans jouent comme cela, et encore.
J'ai la cruelle impression que les créateurs n'ont jamais joué au foot, ou qu'ils se font une image fausse des pionniers. Le côté "attaque du ballon en cavalerie" a pu exister le temps de quelques matchs, mais pas après 2-3 ans de pratique intensive aux quatre coins d'Angleterre. Il n'y a rien en commun avec le Milan, l'Ajax le Barca ou Manchester qui ont martyrisé des générations d'équipes, mais une chose est certaine, les pionniers n'avaient pas le Q.I foot de CM2. Or c'est un peu l'impression qu'on a devant les phases de jeu..
Niveau production, les acteurs et la qualité de la reconstitution assurent le minimum et ravira les fans de Peaky Blinders, férus de belles robes en dentelle et de moustaches galantes.
Pour le reste, English game, est une série proprette, romancée à l'excès, allongée aux forceps et qui aurait mérité un traitement d'1H40 à la limite et une toute autre mise en scène.