Big Brother is Misogyne
The Handmaid's Tale, la nouvelle série à la mode adaptée du roman éponyme de Margaret Atwood, cherche à dépeindre une société totalitaire où les femmes ne seraient relayées qu'au rang de...
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le 17 oct. 2017
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Rapidement, cette adaptation d’un livre puissamment engagé des années 80 est devenue le symbole de la lutte féministe, avec les désormais reconnaissables chapeaux en forme de longue visière que portent les Servantes. Pour cause, l’histoire se passe dans une société effrayante où les femmes ont perdu tout droit, y compris l’éducation, les femmes fertiles réduites au statut d’esclave, abusées de manière ritualisée par le maître de maison pour donner leur propre enfant au couple dont elle dépend. « Handmaid’s tales » (« la servante écarlate ») se déroule dans une dictature oppressante, Giléad, où un coup d’état par une secte catholique extrémiste a fait voler en éclat les États-Unis. Tous ceux qui ne suivent pas les règles, peu importe leur statut ou leur sexe, peuvent finir pendu le long d’un mur.
Qu’il s’agisse du droit des femmes ou du danger des dictatures, la série (comme le livre) aborde donc des thématiques fortes qui la positionnent en haut du classement d’intérêt.
Des flash-backs permettent de comprendre comment cette horrible société a pu se mettre en place. D’abord des signes avant-coureurs tels que l’on peut déjà le constater à présent, comme la création de lois anti-avortement dans certains pays ou états américains, pouvant conduire à des aberrations (femmes ayant perdu leur enfant accusées d’homicide involontaire pour comportement irresponsable). Ou encore la recrudescence des violences homophobes malgré une meilleure tolérance dans la société comparée à il y a plusieurs années. Comme souvent dans les dystopies, c’est un contexte particulier qui a permis l’émergence de cette société totalitaire : une crainte pour la sécurité (des faux attentats terroristes), et un problème majeur de stérilité. « La Servante Ecarlate » s’inscrit dans la veine des classiques d’anticipation comme « 1984 », « le meilleur des mondes », ou « V pour Vendetta », œuvres de référence montrant les risques de dérive de certaines tendances sociales ou technologiques, et désormais impossible de ne plus penser à ces pauvres Servantes, marchant en rang tête baissée, à chaque recul des droits des femmes dans le monde. Plus encore, cette histoire montre que rien n’est jamais acquis, la liberté démocratique comme les droits des « minorités ». Si je reprocherais aux flash-backs d’avoir montré une transition très rapide où la dictature semble s’être installée en un rien de temps, il ne faut pas oublier qu’en Allemagne dans les années 30, presque du jour au lendemain les habitants se sont mit à arborer le signal nazi, et que les juifs, qui bénéficiaient alors de meilleurs droits qu’auparavant, allaient connaître un génocide sans précédent.
Au-delà de sa thématique d’intérêt, la série raconte l’histoire éprouvante de June Osborn, brutalement privée de liberté et devenue esclave, séparée de force de sa fille et de son mari. Elle va essayer de survivre comme elle le peut, dans l’espoir, déraisonné mais qu’elle ne peut abandonner, de retrouver sa famille.
En parallèle avec la montée de l’intolérance et le coup-d ’état qui allait basculer tout son monde dans la terreur, les flash-backs retracent également les événements marquants de la vie de June, comme la rencontre avec son compagnon et leur mariage.
Une relation trouble va s’instaurer avec le maître de la maison, le commandant Fred Waterford. Ce dernier va rapidement ressentir une attirance envers elle, bien qu’interdite, mêlée de respect envers sa force de caractère et son intelligence. Une loi qui semble universel dans les dictatures : ceux qui sont aux pouvoirs sont les plus à même de transgresser les propres règles qu’ils ont édictées, ou d’en percevoir leur futilité (vu dans « 1984 » ou « V pour Vendetta »). Un traitement de faveur dont June en profitera, bien qu’il soit à double tranchant. Le commandant s’avérera d’ailleurs assez ambivalent : gentleman et respectueux, tout autant que cruel et possessif.
Une autre relation ambiguë lie la Servante à la femme de la maison, Serena. Profondément jalouse de la capacité de June à enfanter alors que ce bonheur lui est refusé, malgré sa dévotion religieuse, elle sera amenée à plusieurs reprises à l’aider, que ce soit pour la santé de l’enfant à naître ou sauver son mari accusé de trahison. Entre alliance et conflit, une relation qui n’aura de cesse de passer de la haine à la compassion, du mépris au respect. Pour Serena, c’est la femme qui veut la priver de son bonheur d’être mère ; Pour June, c’est la femme qui l’a privée de son enfant. Serena est elle-aussi un personnage complexe : cultivée, elle a choisi elle-même de se priver de liberté pour ses croyances religieuses. Mais lorsque le bonheur de son propre enfant est en jeu, elle va commencer à douter du bien-fondé de la société qu’elle a aidée à créer, non sans accepter facilement de s’y opposer. Un 3 pas en avant 2 en arrière intéressant mais bien que frustrant par moment.
Toujours parmi les lois typiques des dictatures (et toujours en référence à V), les hauts placés qui ont érigés ces systèmes inhumains finissent au bout du compte par subir eux-mêmes la violence qu’ils ont contribué à instaurer, victime des jalousies, ambitions ou cruautés de leurs semblables.
Des personnages ambigus, la série en dispose d’autres. A l’image de Nick, espion et soldat dévoué, mais qui prend des risques par amour pour elle. Tante Lydia qui se préoccupe sincèrement des filles, mais qui n’hésite pas à les châtier sévèrement si elles empruntent un mauvais chemin. Après l’avoir vu sous un jour plus que cruel, la saison 3 lui apportera une compassion qu’on lui pensait dénuée (un intéressant épisode qui dévoile son passé).
Une certaine critique de la religion est ainsi abordée, avec son double visage : noble et pleine d’amour…du moment que l’on respecte les lois sacrées.
Devant cette situation horrible qui semble sans espoir, dépouillée de son identité et de sa liberté, séparée des siens, June va passer par plusieurs états, différentes stratégies possibles :
D’abord cacher qui on est pour respecter les règles et survivre, jusqu’à ce que ce ne soit plus possible. Alors vient la rébellion, dire au monde et à nos tourmenteurs qui ont est vraiment, et s’il faut mourir, au moins on sera libre. Mais ce serait une mort vaine. Il existe alors une autre solution : s’adapter, faire ce qu’il faut pour survivre, mais sans perdre de vue sa vraie nature. S’il faut se rebeller contre le système, autant tenter de le faire tomber, et agir aussi discrètement que possible.
La série bénéficie d’une esthétique particulière : ralentis, décors et mise en scène travaillés, couleurs vives. Un choix qui montre tout l’ampleur de l’horreur de cette dictature, tout en offrant quelques infimes moments de beauté.
L’actrice Elisabeth Moss livre dans cette série une prestation assez remarquable, tour à tour brisée, déterminée et farouche, apeurée ou provocatrice, vibrante de compassion ou d’une cruauté désabusée. La compassion est immédiate pour cette victime innocente qui cherche justice dans un monde inique. Toutefois, la série tend à abuser des gros plans sur ses expressions. Il faut dire que le personnage va connaître son lot de souffrance et de maltraitance, traitée parfois avec une certaine insistance complaisante. Ce qui amène maintenant à aborder les défauts de la série, qui tendent à énerver par moment malgré ses grandes qualités.
Après la saison 1 basée sur le livre, force est de constater que la série a du mal à dépasser l’intrigue initiale. Dans les saisons 2 et 3, le rythme est plus lent (en début de saison 2, 3 épisodes sont consacrés à la fuite de June, pour ensuite qu’elle se fasse reprendre…). Plusieurs épisodes ne font pas réellement avancer la série, et la redondance des thèmes et des situations, comme les alliances et conflits entre June et Selena, les rebellions de June -à chaque fois pardonnée sans que ses actes ont de réelles conséquences) - deviennent parfois lassantes.
La série affiche une cruauté exacerbée, parfois un peu artificiel, comme s’il fallait encore et toujours rajouter de la souffrance (par exemple la scène de pendaison polémique du début de la saison 2).
Pourtant malgré ces faiblesses, cela reste indéniablement beau, avec toujours des plans remarquables (June face à un loup, les colonies au soleil couchant, la cérémonie à Washington avec toutes les Servantes alignées, le Lincoln memorial brisé, le sauvetage des enfants la nuit …). Il y a toujours de vrais moments chargés en émotion (le coup de fil en cachette avec son mari, la dispute à cœur ouvert avec Séléna où elle lui envoie toute sa peine d’avoir été séparée de sa fille), mais toujours autour de la souffrance de June d’être séparée des siens. Une situation qui n’évolue guère depuis le début de série.
Mais c’est une recette qu’il faut savoir accepter pour apprécier toutes les saveurs de « the handmaid’s tale ». Accepter cette complaisance dans la souffrance, la répétition des situations, des personnages qui évoluent très lentement, des histoires étirées et ceci amplifié par le manque de support scénaristique, pour profiter de l’esthétique particulier de la série, du développement de ces personnages complexes, loin des standards américains classiques, et ces décharges d’émotion.
Un choix qui se défend, mais quand même un peu trop exacerbé par moment.
Les saisons suivantes permettent également d’offrir quelques excursions à l’extérieur : les Colonies, sorte de horribles camps de travaux forcés, le Canada qui entretient des liens tendus avec Giléad (saison 2), ou Washington, où les lois liberticides sont encore plus extrêmes (saison 3).
Les informations sur la dictature qu’est Gilead arrivent toutefois au compte-goutte, et on en sait encore moins encore que les services secrets canadiens qui désespèrent d’en savoir plus sur cette menace…
La patience sera d'ailleurs récompensée, car la saison 3 instaure un début de révolte.
Après n’avoir longtemps été qu’une envie impossible à mettre en pratique, le projet mis en pause par un énième conflit June/Waterford en milieu de saison 3, June agit enfin. Elle reprend l’organisation d’un réseau de résistance déjà existant et en devient une leadeuse respectée. Elle demande à ceux susceptibles de l’aider, jouant sur leur compassion, et n’hésite pas à parler durement à ceux hauts placés, dont elle a cerné les faiblesses, exploitant leur culpabilité. Restant officiellement soumise pour éviter d’être arrêté, mais ne cachant pas ses velléités.
On a été dur avec elle, alors elle s’est endurcie à son tour. Trop d’ailleurs.
Elle est devenue méconnaissable, n’hésitant pas à se montrer cruel, quitte à entraîner la mort d’autres personnes qui ne l’auraient pas mérité. Prête à tuer pour faire ce qu’il faut. Une dureté qui n’est pas sans conséquence sur sa santé mentale. Folie et détermination oscillent donc chez celle qui inspire les autres.
Serena elle aussi, a fait un choix. La prise de conscience que son mari favorise sa carrière au bien-être de leur enfant a contribué à la faire douter de ses convictions. Mais sa rédemption risque bien d’être compromises par ses actes passés…
Après quelques égarements, la série montre enfin qu’elle est prête à dépasser l’intrigue initiale du livre. Une suite prometteuse qui on l’espère sera de la qualité que l’on peut attendre d’une œuvre à la thématique si importante, avec des écueils que l'on n'aimerait ne plus retrouver.
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Créée
le 15 déc. 2019
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