God Only Knows

ESPN a prouvé à maintes reprises sa capacité à créer de superbes documentaires sur le basket, comme en témoigne une partie de sa série 30 for 30, et il se montre ambitieux pour The Last Dance, consacrant 10 épisodes de 49 minutes à la dernière saison avec les Bulls de sa majesté Michael Jordan.

D'abord, il faut souligner que la publicité fut un peu mensongère, si la dernière saison de Jordan avec Chicago est bien le fil rouge de ce documentaire, celui-ci est loin de lui être consacré. Les très nombreux retour en arrière font que The Last Dance est un documentaire revenant sur toute la carrière de Jordan et le destin des Bulls de 1984 à 1998, et les images inédites sont finalement peu nombreuses. On passe d'ailleurs assez vite sur une grande partie de cette dernière saison, ne retenant que quelques moments importants.

Il faut aussi rappeler que Michael figure parmi les producteurs et qu'en général un documentaire dont le sujet se trouve être l'un des producteurs est généralement orienté dans le sens de celui-ci. C'est un peu le cas ici et Dieu sait que j'adore Michael Jordan, mais The Last Dance est là pour bien confirmer que le trône du basket n'est occupé que par lui et si la face sombre du plus célèbre des numéros 23 est abordée, elle n'est pas spécialement approfondie et le fan érudit de basket ne découvrira pas grand chose de ce point de vue là (ce qui n'est pas un défaut en soit, mais ce n'était pas forcément ce qui était prévu selon la promotion).

Enfin, cela dit, il accepte les critiques et dévoile tout de même tous ces côtés, il reste franc, ne brosse personne dans le sens du poil, là où les superstars actuelles s'auto-congratulent et craignent la moindre petite critique. Ce n'est pas le cas ici, et l'arrière des Bulls revient sur la polémique autour de ses non prises de parole politique, les affaires de jeux, sa dureté (pouvant être justifiée, même si tout n'est pas dévoilé, comme le traitement subit par Bill Cartwright) envers ses coéquipiers ou le fameux bouquin des Jordan Rules.

Une fois que tout cela est dit, on peut passer au contenu et on ne va se mentir, c'est génial. Tout admirateur de NBA y trouvera son compte, (re)découvrira des images mémorables et bien des moments forts foutent la chair de poule. Plus on avance dans le récit, plus les épisodes sont solides, les premiers se concentrent un peu trop sur des portraits (Da Pip, Rodman, Krause et Jax) quand la suite va vraiment se concentrer sur Jordan, le jeu, les Bulls et le rapport entre toute cette bulle (les joueurs, les médias, les supporters...).

On retrouve tous les aspects de la success-story à l'américaine, forcément sur-écrit à certain moment, mais dont on appréciera tout ce qui façonne la personnalité de Jordan. Les rapports avec son père, l'absence de vie privée, les médias omniprésents ou son côté acharné à l'entrainement, prêt à tirer le meilleur de ses coéquipiers, tous ces points sont bien abordés, on prend plaisir à replonger dans ces images d'archives, parfois accompagnées d'une interview d'un des protagonistes.

Il y a d'ailleurs du beau monde qui participe à cette dernière danse que ce soit dans les coéquipiers de Jordan, ses adversaires ou des témoins de l'époque, souvent des journalistes. C'est parfois touchant, certaines personnalités arrivent à exister au côté de Jordan dans ce documentaire, à l'image d'un Steve Kerr qui ne manque jamais d'une certaine grandeur et de recul et dont les apparitions sont marquantes. Il est important aussi de bien se rendre de compte de ce qu'était les Bulls, que ça dépassait le cadre de sa vedette et l'importance de Jerry Krause (quel immense GM !) qui cristallisait les critiques (et Reinsdorf se cachait bien derrière lui aussi), mais aussi de Jax ou du collectif.

Bien des moments sont mémorables et dans l'ensemble, le documentaire est bien construit, de manière efficace et avec une chronologie logique. Il n'y a pas de longueur, le montage est bon et les interviews arrivent toujours au moment opportun, et il n'y a pas grand chose à jeter. La bande originale rend aussi un bel hommage à ces années 1990 et au monde de la NBA, et les chansons sont toujours balancées au bon moment. Et le plus important réside aussi dans l'émotion, qui fait oublier les failles que l'on peut trouver à ce documentaire, l'émotion que l'on trouve dans les parcours des Bulls, dans l'acharnement de Jordan, les excès autour de sa personne et surtout ses titres, le premier de 1991, mais surtout celui de 1996, obtenue le jour de la fête des pères, pour voir cette figure quasi christique s'effondrer en larme ainsi que le dernier, avec les 20 dernières secondes du dernier match montrant pourquoi Jordan est le plus grand de ce sport.

ESPN se montre ambitieux avec The Last Dance, retraçant la carrière de Air Jordan aux Bulls, avec comme fil rouge sa dernière saison dans l'Illinois, et cette plongée est aussi passionnante que fascinante, l'émotion est là, la passion aussi, que ce soit pour le jeu, Michael ou ces équipes des Bulls qui auront atteint des sommets intouchables pour toutes autres franchises, tant dans le sportif que l'émotion.

Et même si on ne retrouvera pas forcément ces émotions, on peut rêver de l'idée d'un documentaire similaire sur d'autres grands parcours et destins, comme les Mavs de 2011, Boston de 1986, les Cavs de 2016 ou Détroit en 2004.