L'égarement en cours de route (saison 1)

(Quasiment pas de spoilers)

Le projet d'une telle adaptation ne me réjouissait pas vraiment car la force de l'oeuvre originale tenait beaucoup dans sa nature de jeu vidéo. On avait une narration intimiste de film indé, dans un genre post-apocalyptique très codifié et banalisé. Le lore et les visuels avaient un charme particulier mais on ne peut pas dire que le récit était original. C'était les personnages, la manière dont ils évoluaient, et l'expérience immersive du gameplay qui ont marqué les joueurs.

La bonne surprise est que la série n'a pas cherché, dans la première partie du moins, à copier-coller tous les événements du jeu. Les conclusions des chapitres sont les mêmes mais les chemins sont légèrement différents, ce qui a l'avantage de renouveler l'intérêt pour les fans et de permettre une distance nécessaire pour éviter la comparaison obligatoire avec le moindre des éléments du jeu.

Pour être clair, je pense que la plupart des acteurs ont fait un très bon travail pour incarner à leur manière ces personnages. En particulier Pedro Pascal. Bella Ramsey a elle aussi su imposer sa pâte, à me faire oublier la Ellie du jeu, jusqu'à ce que, malheureusement pour elle, certains passages du récit original mettent en lumière les limites de sa palette de jeu. J'y reviendrai.

Craig Mazin (le showrunner de Chernobyl) était pour moi le nom le plus rassurant dans la création de ce projet, et je trouve qu'on peut sentir son poids sur les premiers épisodes, lorsque des efforts sont faits pour nous immerger dans cette univers apocalyptique. L'épisode 3 a agréablement surpris tout le monde. Pendant un instant j'ai cru regarder du Leftovers. Si la qualité était maintenue tout au long de la saison, on avait non seulement droit à la meilleure adaptation de jeu vidéo, mais aussi à une des meilleures séries de ces dernières années...

Puis est arrivé l'épisode 7 qui a autant brisé le rythme de la saison que mes espoirs et mon admiration pour cette production HBO...

Par respect pour les non-sachants, je resterai vague sur le contenu.

Après la sortie du jeu original, une extension est apparue dans laquelle on peut explorer le passé d'Ellie. Si c'était intéressant et original dans un format interactif, et si ça ne chahutait pas la structure du récit car la vaste majorité des joueurs avaient déjà fini le jeu, ici dans la série ça arrive comme un poil de cul sur la soupe.

Toute l'attention du spectateur était concentrée sur un enjeu urgent et vital, mais les auteurs - et je suis sûr que c'est le co-auteur original Neil Druckman qui a fait un caprice - ont décidé de consacrer tout un épisode à un flashback qui : 1) n'apportait aucune information utile et ne répondait à aucun désir urgent 2) n'avait pas d'intrigue ou d'enjeu interne 3) répétait quelque peu l'aparté de l'épisode 3 mais en moins profond, poétique et maitrisé. 4) mettait en scène des actrices sans grand charisme ou du moins sans texte intéressant à jouer.

Et l'air de rien, cette grosse faute de goût a des effets dévastateurs sur le reste de la saison. L'épisode suivant abordait un passage plutôt fort du jeu mais, à cause de ce temps gâché, il peine à développer ses personnages et faire évoluer les relations de manière organique et crédible. Ce qui n'a pas aidé non plus cette épisode, c'est la main lourde de Druckman, encore fois, qui a voulu réécrire son jeu pour rendre le blanc plus blanc et le noir plus noir. Quel gâchis.... Je m'explique : Druckman a démontré dans l'histoire récente qu'il s'engage frontalement et sans subtilité dans le militantisme progressiste "à l'américaine". Ainsi, tout prétexte est bon pour souligner au stabilo fluo que les minorités sont gentils et que tout ce qui peut être affiliés au camp politique opposé et aux blancs est suspect.

Le résultat est qu'ils ont transformé un personnage, qui était déjà bien malsain dans le jeu, en espèce de pot pourri caricatural d'attributs aussi horribles que possible. Adieu la subtilité et l'ambiguïté de l'oeuvre originale. Parmi la ribambelle d'attributs, Monsieur sait aussi faire prêtre et toute sa communauté est constituée exclusivement de blancs (un des rares moments où la série ne décide pas de diverger du jeu pour ajouter de la diversité ethnique, on se demande pourquoi ; P.S. : c'est un métis athée qui vous écrit là.).

On pourrait décortiquer longuement cet épisode et ses multiples ratés qui le rabaissent à n'être qu'un sous-Walking Dead, mais en somme le problème est simple à comprendre :

Ils ont voulu faire vite pour exécuter le chapitre, au détriment de l'immersion et du réalisme. Et il ou ils ont voulu forcer le trait pour adapter le récit à leurs combats politiques actuels.

Une autre erreur à mon sens fatale pour la suite de la série fut la réécriture d'Ellie durant la fin de l'épisode. Ils ont fait le cadeau empoisonné de montrer Ellie davantage proactive et violente que dans l'oeuvre originale, à un stade où Joel souhaite encore la protéger de la violence interne et externe. Ce choix, à mon sens davantage idéologique ("une femme doit pouvoir se défendre seule", "une femme forte, c'est une femme qui tabasse") que dramatique, a deux conséquences :

- Si on révèle déjà cette facette du personnage à ce moment là, que reste-t-il comme perspective d'évolution ? Le personnage ne peut faire que du surplace.

- Bella Ramsey montre les limites de sa palette de jeu. Je suis désolé, je veux bien reconnaitre toutes ses forces, mais c'est l'épisode où je fus obligé de constater qu'elle ne sait que jouer la "tough girl". Elle est incapable d'incarner et communiquer la vulnérabilité, pourtant essentielle pour générer de l'empathie et du relief. Et malheureusement pour elle, le dernier épisode ne fait que confirmer cette suspicion. Bella Ramsey est physiquement incapable de produire des émotions subtiles avec son visage.

Globalement, c'est une saison qui plaira davantage aux nouveaux venus mais qui s'est perdu en chemin et a manqué de temps pour développer organiquement ses personnages et leur quête. La conclusion sauve un peu les meubles mais impossible de ne pas penser que sans tous ces choix douteux son impact aurait été bien plus fort.

Certains se sont plaints du manque d'infectés à l'écran et ce serait malhonnête de ne pas reconnaitre le soucis. Même si on a bien compris que c'était les personnages qui importaient aux auteurs, comment veulent-ils nous convaincre de l'intérêt et de l'urgence d'un remède à l'épidémie quand on en voit si peu la menace ?

C'est donc un grand manque de focus et la volonté de réécrire parfois le jeu pour mieux l'adapter aux discours de sa suite qui ont écorché le tableau parfait que nous laissait entrevoir le début de saison.

À quoi peut-on s'attendre pour la saison 2 alors ? Je crois qu'il sera bien plus facile d'améliorer le récit original car ce dernier avait au minimum besoin d'un script doctor pour y mettre de l'ordre. J'ose donc espérer que Mazin sera d'une bonne aide pour jeter le mauvais et améliorer les bonnes idées.