Hail to the grief
Nulle surprise à ce que l’exposition de The Leftovers soit à ce point saturée de mystères : le créateur de Lost, Damon Lindelof, n’est est pas à son coup d’essai en matière d’écriture, et le monde...
le 7 janv. 2020
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Saison 1 :
Lindelof est un type qui me fait peur : il m'a tellement fait souffrir avec son scénario de "Lost" rempli de pistes inabouties et se terminant avec une lâcheté confondante dans le n'importe quoi œcuménique, qu'on ne peut que craindre une nouvelle série dont il serait le maître d’œuvre. Et en effet, passé l'enchantement de la découverte du pitch sensationnel dans le pilote (coup de force répété dans l'excellent avant-dernier épisode en flashback riche de sens et de perspective sur les différents fils de la fiction), on a droit à nouveau à un grand n'importe quoi en termes d'empilement de mystères que l'on pressent irréductibles, et surtout en manipulations du spectateur abandonné en rade à la moindre occasion (le coup du "National Geographic" rappelle les pires vacheries de "Lost"). Ce qui nous accroche quand même, c'est l'aspect "psychologique" de la description d'un monde - le nôtre, ou presque -, détruit par la culpabilité et par l'effroi quasi primitif devant une perte de sens complète, que l'on soit croyant ou cartésien adepte de la raison scientifique : c'est là un aspect vraiment passionnant de "The Leftovers", qui conjugue une profonde angoisse métaphysique (tout le monde peut être Dieu, puisque Dieu n'existe "visiblement" pas) avec une magnifique attention aux détails de la vie quotidienne d'êtres dévastés (grâce au jeu inspiré d'une troupe d'acteurs particulièrement bien choisie et dirigée, Justin Theroux en premier lieu). Il est d'autant plus dommage que le dernier épisode de la première saison renoue contre toute attente avec les aspects les plus réactionnaires de la culture américaine : l'athée qu'est le "chief" est ému aux larmes par la prière qu'on le force à réciter, l'embryon au tout début de son développement est "enlevé" comme une personne, puisqu'il s'agit évidemment déjà d'une personne en tant que telle, la veuve au bord de l'auto-destruction se réconcilie avec la vie devant le miracle de l'arrivée d'un "enfant-jésus", etc. etc. On termine donc "The Leftovers" sur un gros effet d’écœurement, qui sape profondément le plaisir qu'on a pu prendre aux épisodes précédents.
[Critique écrite en 2015]
Saison 2 :
Voilà, les pires craintes que j'avais à la sortie d'une première saison irrégulière mais séduisante ont vite été confirmées par cette seconde saison littéralement ignoble : si l'idée du déplacement de "The Leftovers" vers un autre lieu et (au moins en partie) d'autres personnages séduit, on réalise bien vite que, oui, la série est désormais clairement ré-orientée vers le religieux, vers la foi, ou tout au moins ce que la société américaine la plus profonde (entendez réactionnaire... ) considère comme tel, un amalgame absurde de croyances à la fois primitives et "new age". Téléspectateur athée ou même simplement rationnel, passe vite ton chemin ! Ici tout est souffrance, tout est superstition au sens le plus obscurantiste du terme : non, "The Leftovers" ne voulait pas nous parler de la difficulté du deuil et de la beauté de revenir à la vie, oh non, juste de la fascination pour la douleur humaine et l'obscurité du monde, le tout avec une complaisance absolument répugnante. Et, cerise sur le gateau, on nous refait cette fois, sans aucune pudeur, tous les coups les plus retors de "Lost", le plus insupportable étant bien entendu la représentation de l'au-delà comme un luxueux hôtel où l'on peut choisir son "rôle" et, avec un peu de "courage" (noyer une enfant ou chanter en public, les larmes aux yeux, une chanson de Simon and Garfunkel, ce qui a l'air d'être un peu la même chose...) revenir "guéri" à la vie. Au milieu d'un tel cloaque, même Justin Theroux, arborant toute la saison le même air perdu / désespéré, est insupportable ! Bref, aussi bien du point de vue du fond que de la forme (bien inférieure à celle, soignée, de la première saison...), on est ici dans ce que les US peuvent produire de pire, le genre de machins nauséabonds qui ne devrait jamais être "diffusé" au delà de leurs frontières.
[Critique écrite en 2016]
Saison 3 :
Parce que j'aime bien terminer ce que j'ai commencé, et parce que les louanges générales sur "The Leftovers" m'ont forcément fait douter de mon jugement, j'ai donc rempilé tardivement et j'ai fini par regarder cette troisième saison... Qui s'est avérée, à mon goût tout au moins la pire des trois. Lindelof et Perrotta se délectant visiblement à raconter absolument n'importe quoi, sans se soucier de la moindre logique - ce qui est encore acceptable - ni même du moindre sens - ce qui l'est beaucoup moins. Passons par pure bonté d'âme sur la délocalisation absurde de la série en Australie, mais les épisodes 5 (le bateau des partouzeurs et la rencontre avec Dieu, présentateur télé avec une casquette rouge...) et 7 (Kevin en président des USA lançant l'holocauste nucléaire) sont probablement ce que j'ai vu à date de pire en termes de série TV, et la seule manière de les regarder est d'admirer le mépris immense que les scénaristes de "The Leftovers" ont visiblement pour leur public.
Curieusement, le dernier épisode est presque regardable, tout simplement parce qu'il abandonne ENFIN (!) l'insoutenable grandiloquence qui a plombé l'intégralité de la série et se contente de nous jouer l'éternelle romance du "boy meets girl (again)", tout en proposant une résolution simple de "l'énigme" initiale en forme de mondes parallèles. On se dit donc finalement que, en joignant le pilote et cet épisode final, on aurait pu faire un film de deux heures tout-à-fait charmant.
[Critique écrite en 2019]
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Créée
le 20 oct. 2015
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