Au cours des années 2000, dans un de ses premiers articles sur le mouvement néo-conservateur aux Etats-Unis, le Monde Diplo analysait comment des think tanks de la droite américaine avaient initié une stratégie visant à dévaloriser les domaines traditionnels de la gauche par le langage sur le long terme.
Car c’est puissant, un mot, presque autant qu’une image, ce qu’on a tendance à oublier. Et la calomnie a beau être vieille comme le monde, au vingtième siècle il existait encore des champs de la morale que, depuis la seconde guerre mondiale, la propagande...pardon, la publicité...zut ça non plus (or does it?)...la...ah oui, « communication », n’avait pas osé déflorer.
Welcome to the 21st century et l’invention du « bobo ».
Ce terme apparaît dans le livre « Bobos in paradise : the new upper classe and how they got there », de david Brooks, une figure des think-tanks néo-conservateurs où il fut conçu.
Visant de façon péjorative l’upper middle class américaine votant démocrate, ce terme a infusé chez nous et est entré dans le langage courant pour désigner les votants de gauche de la classe moyenne. Un sens originel quelque peu oublié depuis, dilué qu’il est dans un usage générique même parmi des gens qu’il dénigre.
Il constitue la première étape de ce brouillage lexical pensé par ces idéologues néo-conservateurs.
Le fait qu’il soit parvenu jusqu’à nous est un effet de la mondialisation et de l’influence d’une idéologie dominante car à la tête du plus puissant pays au monde. Nous en trouvons d’autres exemples récents dans les éléments de langage du front national, par exemple, devenu « Rassemblement »…
La série The loudest Voice remonte jusque là, à la racine de cette pensée des néo-conservateurs et de ce choix.
En sept épisodes exigeants et passionnants, elle retranscrit la naissance de Fox News au travers de la deuxième vie de son créateur, Roger Ailes, un équivalent de Dick Cheney pour les médias pour ceux qui savent (cf VICE sinon), mais avec un bon gros scandale de harcèlement sexuel en plus dans son bagage. Un morceau d’histoire récente qu’un maximum d’entre nous devrions connaître, vu que Fox News est la première chaîne de propagande idéologique dans la première démocratie du monde (arguably).
Russell Crowe et Naomie Watts y sont méconnaissables et parfaits, comme l’ensemble du casting et la réalisation, au service d’une mécanique de récit savamment agencé, à la façon des grands films-dossiers que le cinéma américain et maintenant certaines séries de haut vol sont capables de produire. Un travail d’équipe pour lequel il faut reconnaître qu’ils ont peu d’équivalent.
A noter que, contrairement aux séries de fiction détaillant un personnage de pouvoir au caractère monstrueux, celui-ci ne présente pas de charisme, de présence ou d’altérité aptes à causer une fascination chez le spectateur, comme tant de ces anti-héros de fiction cajolés par leurs créateurs. Issu d’une réalité non-alternative, nourrit par un talent populiste reconnu par son milieu, son amoralité trouve le vivier parfait ou s’épandre, dans le giron d’une méga-corp de news vouée au fric et donc au-delà de toute morale. Comme ceux et celles qui en doutaient peuvent se rendre compte aujourd’hui _ s’ils s’informent… anyway.
Un déni de réalité brillamment exposé et un être méritant par ailleurs tous les hashtags balancés du monde.
Vous pensez à Donald Trump ?
Y en a aussi.