Quelques spoilers
Après un premier épisode vertigineux - dans ses silences, ses horreurs, ses non-dits - The Night Of se complait dans un format truecrime sociétal certes stylisé mais sans regard ni passion. Oz, The Wire (avec lesquelles la parenté est évidente) ou plus récemment Serial et Making a Murderer gardent une longueur d'avance sur les tribulations Rikersiennes de Nazir Khan. Certes la reconstitution des structures du système judiciaire américain est impressionnante, mais le trait est beaucoup trop enlevé, pas assez féroce ni convaincant pour emmener le spectateur.
On suit John Stone, l'avocat de seconde main (et le rôle le plus réussi), par pur intérêt pour la procédure. Sa face privée - son eczéma chronique et ses dilemmes existentiels (garder ou ne pas garder le chat) - fait surtout office de gimmick pour réchauffer les huit épisodes de la série traversés par la froideur des institutions et l'attente d'un présumé coupable. Si l'effet de distanciation avec le sujet recherché est saisissant et prend toute sa splendeur dans quelques rares plans (magnifique prise de vue de Khan à travers les vitres brisées de Rikers lors de sa sortie, comme si la prison l'habitait dorénavant), il provoque plus souvent et paradoxalement une dramatisation inutile et trop appuyée.
C'est l'erreur un peu grossière de The Night Of qu'avait soigneusement évité The Wire : faire parler les institutions directement à travers ses personnages, sans véritable nuance ni l'envie d'explorer les conflits moraux liés aux phases de reconfiguration de leurs identités. La transformation en prison de Khan d'élève boyscout à badboy par exemple, quoique entièrement plausible sur le principe, se voit maladroitement précipitée par la nécessitée de montrer la plausibilité de sa culpabilité.
En voulant à tout prix montrer que la prison aiguise les parts sombres de l'homme et que la détention préventive est une machine à créer de la criminalité, The Night Of en vient à négliger la densité de ses personnages. Ils se trouvent certes sous l'effet et l'énorme pression du système judiciaire américain, mais semblent trop rarement entrer en conflit avec la personne que le système leur intime de devenir - ou bien seulement lors de silences en plan rapprochés un peu faciles. Le parcours de Khan sur les derniers épisodes notamment, alors qu'il est devenu addict et second en chef dans son bloc à Rikers, élude complétement les rééquilibrages qui devraient coïncider avec la tenue de son procès et l'éventualité d'une sortie de prison. Il en va de même pour la toute jeune avocate indienne à peine sortie de son école de droit, propulsée à la barre par un concours de circonstance, victime et bénéficiaire de l'arrivisme de sa firme, qui se laisse complétement diluer dans sa nouvelle fonction sans esquisser le moindre doute, la moindre querelle interne.
A trop mettre l'accent sur la capture du réel à travers la systémique judiciaire, The Night Of transforme ses personnages en archétypes monomaniaques des structures qu'ils illustrent, pour finir par les déshumaniser totalement. Bien loin de la réalité donc.