Voir la série

Comme le livre, ça commence plutôt doucement. Le premier épisode m'a fait supposer ) tort que j'allais ressortir de la série dans le même état d'insatisfaction mitigée que celui dans lequel la lecture de Roth m'avait laissée. Mais les scénaristes ont été plus malins que l'écrivain et ne se sont pas laissé bercer, en jouant d'un humour difficile à partager, par leur propre plaisir à recréer tout un petit monde perdu : un ghetto juif américain dans les années 40. Pourtant, ils s'en sont donné à cœur joie (et la reconstitution est à saluer), mais sans jamais perdre de vue la construction des enjeux dramatiques, en l'occurrence l'étau fascisant qui se referme progressivement sur une communauté montrée du doigt gratuitement à la moindre difficulté politique. Et ça, c'est excessivement bien mené, et il fallait bien partir d'un quotidien banal pour nous permettre de saisir l'effroi qui va progressivement s'installer chez les Levin, cette famille lambda, pas franchement pratiquante, mais bien consciente de son ascendance marquée, de sa culture singulière et des persécutions récurrentes contre son peuple, remontant à Pharaon. Autour d'eux, le monde se scinde comme il le fait souvent, en deux catégories parfaitement inconciliables, dont l'une est l'immanquable masse vociférante que n'importe quel adulte a eu un jour le loisir d'observer dans les rues de son pays. C'est une mode qui ne passe pas. Elle commence probablement dans les cours de récréation, quand les apprentis gros durs se rendent compte qu'ils peuvent opprimer les plus doux à peu de frais, et en tirer un certain prestige. Une société mature ne leur permet en général pas de s'en tirer à si bon compte, mais, de temps à autre, le tissu social se distend suffisamment pour que leur heure revienne, et là, c'est le festival de ce que Borgès appelait l'infamie, sans trop prendre de gants, et je le rejoindrais volontiers là-dessus. La série est claire aussi, mais elle brouille assez finement les cartes au départ, en laissant le père de famille passer pour un énervé permanent, campé sur ses principes d'une façon parfois cocassement intransigeante. Le genre qui fait lever les yeux au ciel avec indulgence autour de lui, en secouant la tête avec résignation. Et se cabrer son aîné, un ado que les thèses patriotiques du sémillant Lindbergh séduisent. Parce que c'est un ado, on l'aura bien compris. C'est pourquoi on s'étonne qu'elles parviennent également à entrainer derrière elles un certain rabbin sexagénaire, probablement un peu arriviste mais non dénué d'idéaux, à sa façon. Et c'est là que la série est vraiment réussie, à montrer comment chacun a choisi son système de valeurs en fonction de sa personnalité, et parvient, dans un premier temps, à briller, ou tout du moins à sauver la face. L'Histoire passe comme un rouleau compresseur et ne restent debout que ceux qui n'ont jamais dévié d'un axe fondamental... personne ne vous dira explicitement lequel, et c'est tant mieux, mais l'ado tourmenté de l'histoire aura l'occasion de le deviner à la faveur d'événements dramatiques passionnants à suivre. Bref, à la fin, on a l'impression qu'une mécanique de précision s'est mise en marche silencieusement cinq épisodes avant et qu'on arrive au bout de son déroulement implacable avec un certain sens de la destinée, et je dirais que c'est une belle réussite scénaristique.

Créée

le 22 mai 2020

Critique lue 359 fois

1 j'aime

Critique lue 359 fois

1

D'autres avis sur The Plot Against America

The Plot Against America
EricDebarnot
7

Fuite, résistance ou collaboration ?

D'un côté, on a le livre de Philip Roth, l'un des plus grands écrivains américains du siècle dernier, qui, face aux menaces contre la liberté individuelle suite aux mesures "sécuritaires" post 9/11...

le 15 mai 2020

12 j'aime

2

The Plot Against America
Gandalf13
7

Il suffit d'une élection

Cette dystopie, où le peuple américain vote pour le héros Lindbergh au lieu de Roosevelt en 1940, l'aviateur voulant eviter son pays d'entrer en guerre mais laissant la nation se gangréner de...

le 3 mai 2020

4 j'aime

5

The Plot Against America
didizimzim
8

Et si on réécrivait l'histoire

Vivant en Tchéquie, j'ai la chance de pouvoir souscrire à HBO Go, plateforme qui regorge de purs chefs-d’œuvre tels que The Wire, The Sopranos, True Detective, Game of Thrones et j'en passe des...

le 22 mars 2020

4 j'aime

5

Du même critique

Watchmen
ChristineDeschamps
5

Critique de Watchmen par Christine Deschamps

Il va vraiment falloir que je relise le somptueux roman graphique anglais pour aller exhumer à la pince à épiler les références étalées dans ce gloubiboulga pas toujours très digeste, qui recèle...

le 18 déc. 2019

23 j'aime

3

Chernobyl
ChristineDeschamps
9

Critique de Chernobyl par Christine Deschamps

Je ne peux guère prétendre y entendre quoi que ce soit à la fission nucléaire et, comme pas mal de gens, je présume, je suis bien contente d'avoir de l'électricité en quantité tout en étant...

le 9 sept. 2019

13 j'aime

5

Tuer l'indien dans le cœur de l'enfant
ChristineDeschamps
8

Critique de Tuer l'indien dans le cœur de l'enfant par Christine Deschamps

Civilisation : "État de développement économique, social, politique, culturel auquel sont parvenues certaines sociétés et qui est considéré comme un idéal à atteindre par les autres." Cela ne...

le 16 avr. 2021

11 j'aime

4