Mark Cousins, irlandais critique de cinéma, entreprend avec The story of film : An odyssey, d’effectuer un voyage à travers 120 ans de cinéma, du Voyage dans la lune à Avatar, en passant par Griffith, Hitchcock, Bollywood, La nouvelle vague et Star Wars. Passer en revue des centaines de films, sur 15 heures de notules analytiques, d’anecdotes en tout genre, d’extraits de films et d’entretiens variés. C’est un travail colossal et passionnant. Ça donne envie de découvrir plein de films, d’en revoir autant.
On pourra toujours contester l’initiative de creuser un auteur plutôt qu’un autre, c’est ma grosse gêne ici, je me trompe probablement mais j’ai l’impression qu’on s’intéresse avant tout aux filmographies de ceux qu’on écoute parler. Logique, bien entendu, mais je me demande s’il s’agit d’une obligation ou d’un long cheminement en amont. Cousins a-t-il pu faire témoigner ses auteurs préférés ou dit-il qu’ils sont ses préférés parce qu’ils témoignent ? Ainsi verra-t-on (et parlera-t-on) plutôt Samira Makhmalbaf que Jafar Panahi, Paul Schrader que William Friedkin, pour le dire grossièrement. On aura un dossier complet sur Roméo + Juliette… sans doute car Luhrmann fait partie des intervenants. Baz Luhrmann, quoi. Au secours !
On pourra toujours contester cet étrange montage qui insère des « images mortes » d’ici et là – filmées par Cousins lui-même – bref des images de remplissage entre des images de films et des entretiens, tout en considérant lors d’une humeur plus favorable que ces « temps morts » permettent de respirer, de digérer la somme d’informations et/ou d’émotions, de faciliter des transitions délicates : Le maître mot du projet restera de suivre la chronologie, tout en passant volontiers d’un continent à l’autre, d’un cinéma à l’autre, parfois même de revenir en arrière ou de sauter brièvement vers l’avenir pour comparer des plans, des méthodes etc.
Si je suis ravi qu’on offre un grand chapitre à Satyajit Ray, un autre à Abbas Kiarostami, qu’on entende parler Claire Denis, qu’on me donne autant envie de (re)voir Dreyer, que Ozu et Fassbinder soient partout, que le cinéma asiatique soit autant analysé, je suis plus circonspect face aux absences de Louis Feuillade, Chantal Akerman, Jacques Tati, Hayao Miyazaki, à peine évoqués sinon pour rebondir sur d’autres auteurs. Mark Cousins n’est pas très cinéma français, apparemment : On n’entend jamais parler ni de Rohmer, ni de Rivette, ni de Guy Gilles, ni de Raymond Depardon, ni de Jacques Becker, ni de Luc Moullet.
Chacun ses sensibilités, hein, évidemment, mais justement lorsqu’un projet revendique de tout visiter, il faut TOUT visiter. Voilà pourquoi je serais toujours plus sensible au Voyage à travers le cinéma, signé Bertrand Tavernier, car c’est surtout de lui qu’il cause, de sa propre relation avec le cinéma, de ses souvenirs, ce n’est jamais un cours magistral, ce que Story of film a tendance à vouloir être, à l’image du générique, qu’on retrouve donc à quinze reprises – Comme dans une série, les épisodes s’étirent sur une heure – et qui se gargarise un peu trop de sa géniale ambition : « An odyssey » déjà, tout est dit.
Ces griefs mis de côté, tout ce qu’on y voit et entend est évidemment absolument passionnant, sitôt qu’on s’intéresse un peu à l’histoire du cinéma, sitôt qu’on soit curieux de voir et revoir tous les films qu’il charrie depuis plus d’un siècle. Et ludique, tant on peut régulièrement deviner où le voyage va nous emmener, rebondir.
Et puis j’ai adoré un passage qui m’a beaucoup surpris. Vers la fin, on sent que Cousins est très méprisant envers le blockbuster et le numérique, il parle rapidement des films colossaux de Spielberg ou Cameron, mais sans les analyser vraiment, comme s’ils étaient uniquement destinés à vendre du popcorn et des figurines. C’est assez gerbant. Sur ce, il interview Claire Denis, qui après avoir parlé de ses films, en cite d’autres et annonce qu’elle aimerait être James Cameron, dans une autre vie. Car tous deux, dit-elle, qu’importe leur façon de l’appréhender, sont passionnés et guidés par le cinéma, c’est tout ce qui compte. Dès lors, c’est comme si elle avait influencé Cousins, comme si son documentaire (à charge) s’en trouvait changé, comme si le cinéma numérique trouvait grâce à ses yeux, pour le pire (Baz Luhrmann, donc) et le meilleur (Christopher Nolan, au pif). C’est très beau.