No brain, no pain
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le 2 févr. 2011
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Regarder The Walking Dead m'était inévitable, parce que je raffole des fictions post-apocalyptiques et des hordes de zombies affamés. Un petit côté maso, sûrement, mais aussi ce désir viscéral de savoir ce qu'il y aurait après, si un jour tout ce qu'on connaissait finissait par disparaître et que le monde redevenait poussière. On nous aura prévenu.
Plus sérieusement, si, comme son cousin le vampire, le zombie continue de susciter une telle ferveur depuis des décennies (tout particulièrement depuis ces vingts dernières années, même si Romero avait permis l'avènement du genre depuis Night of the living dead dans les années 60), c'est parce qu'il évoque des problématiques universelles et intemporelles, qui frappent d'autant plus à une époque où la fin du monde est une obsession : décérébration volontaire des masses, prophéties cataclysmiques (2012), et peur obsessionnelle que notre société (occidentale) ne s'écroule tandis que le familier devient soudainement source d'angoisse générale. Dans certains pays, l'apocalypse a déjà eu lieu, la nôtre n'en est qu'à ses prémisses, ou se limite à l'écran de télé, mais pour combien de temps ?
Alors forcément, l'idée d'une série qui ne tournerait qu'autour de ça, prolongement à priori absolu de de plus de cinquante ans de pop culture, ne peut être qu'alléchante. Sur la papier, c'est beau, mais qu'en est-il concrètement ? (Dur dur d'être objectif) The Walking Dead est une série ambivalente, qui jongle épisodiquement du génial au lourdingue, et qui donne systématiquement l'illusion persuasive qu'elle sait où elle va, avant de trop souvent révéler le contraire malgré elle.
L'on a la sensation d'assister à de grands moments de télévision, sentiment entretenu par une tension dramatique sur le fil et des fulgurances contemplatives bouleversantes – dans la forme autant que dans le fond – qui cultivent l'idée (et l'espoir) que la série est une belle série. C'est justement parce que de le spectateur est placé en de telles conditions, face à des attentes auxquelles l'on répond partiellement, que ce dernier continue à s'enfiler des épisodes, parce qu'il sait qu'il aura (lui aussi) quelque chose à se mettre sous la dent à un moment ou un autre, et qu'il veut savoir comment tout ça se terminera.
Je ne cracherai pas dans la soupe, car The Walking Dead remplit le cahier des charges à plusieurs niveaux. Parce qu'elle pose des questions morales et existentielles (ces derniers temps, camouflées par un remplissage divertissant) auxquelles elle sait confronter ses personnages : qu'advient-il de l'être humain quand tout ce qui faisait de lui un Homme s'effondre ? quand l'organisation institutionnelle disparaît subitement ? quand sa culture ne devient plus qu'un souvenir sombrant peu à peu en désuétude ? peut-on alors appréhender, comprendre son comportement, puisque son environnement s'y prête ? et peut-on le pardonner ?
Tout du long, le road-trip de Rick Grimes et son groupe embrasse le schéma d'un chemin de croix semé d'embûches, un récit initiatique inversé, qui incite non-pas ses personnages à se parfaire en tant qu'individus, mais qui, au contraire, devient l'instigateur de la déconstruction d'une société et, avec elle, de sa population. Ou comment l'Homme se transforme en monstre. L'enjeu majeur devient de ce fait la capacité de personnages à maintenir leur humanité dans un univers devenu foncièrement inhumain, où l'instinct de survie suscite forcément des comportements primitifs et animaux jusque-là inexistants.
Ainsi, la série insiste bien sur le fait qu'il n'y ait pas de personnages parfaitement pré-définis (le Gouverneur), à la morale évidente, prévisibles et constants (fait auquel Maggie était justement confrontée dans le dernier épisode, You are not the good guys.) : ils évoluent, changent parce que la situation nécessite qu'ils changent et qu'elle les fait changer en les confrontant à des choix périlleux – leur liberté de choisir demeurant au final leur dernière marque d'humanité – avec lesquels ils devront vivre pour le restant de leurs jours, qu'ils assumeront ou qu'ils fuiront, selon leur résilience, leur sensibilité et leur force d'esprit.
C'est par ailleurs cette façon de sans cesse confronter les personnages à des violences présentées comme nécessaires qui peut prêter à controverse : c'est-à-dire que le comportement des personnages n'est pas toujours légitimé (mais devrait-il vraiment l'être ?), ce qui a, pour ma part, suscité une confusion certaine (je pense notamment à l'épisode 4x14 où Carol tue un dit personnage sans véritables justifications). Mais c'est peut-être précisément ce sentiment de malaise face à des événements qui peuvent être réellement malsains qui fait la force de Walking Dead.
Pourtant j'ai l'impression que la série n'a jamais trop pris conscience, à l'image de ces personnages (ce qui est moins excusable), des idées générales qu'elles pouvaient véhiculer, et c'est un problème majeur. Pendant les deux / trois premières saisons, la série se fourvoyait pour moi dans un raisonnement réactionnaire malvenu à me faire sortir de mes gonds : apologie des armes et de la violence (il fallait impérativement que Carl apprenne à se servir d'un flingue), punition rétrospective des personnages qui auraient fauté (Shane), personnages féminins tête-à-claques et embourbées dans des stéréotypes impardonnables – Lori qui dit clairement à Andrea que la place des femmes est dans la cuisine et pas sur le champ de bataille, puis Andrea qui finit elle aussi par se faire punir pour ne pas être restée à sa place (alors qu'à ce moment elle est le premier personnage féminin badass et indépendant de la série) –, conservatisme insupportable – le speech de Rick sur l'avortement à une période où je ne le supportais déjà pas. Puis arrive la saison 3, et le discours général change, les personnages embrassent l'obscurité qu'il y a en eux, les femmes s'imposent de plus en plus (Carol, Maggie, Beth, l'entrée en scène de goddamn motherfucking Michonne).
Mais voilà, à côté de ça, The Walking Dead patauge lourdement. Frank Darabount a d'ailleurs dit que le concept de la série était épuisable à l'infini. Honnêtement, faudrait qu'il sache s'arrêter, ou qu'il redonne un véritable élan à l'intrigue, qui fonctionne quand même sur le même principe depuis trois saisons, s'enfermant dans une redondance narrative pataude et sans surprise.
The Walking Dead est un peu devenu une caricature d'elle-même. Preuve en est, les personnages, si variés à la base, ne sont plus que l'ombre d'eux-mêmes, des pantins parfaitement huilés dont on connaît d'avance les réactions, presque réduits à leurs artefacts respectifs : le plus éminent exemple étant Rick Grimes, l'éternel shérif messianique tout bonnement immortel, incarnation absolue du héros américain.
L'enjeu devient plus de savoir qui sera le prochain sur la liste à rallonge des personnages morts (pas Maggie s'il vous plaît !) qui finissent par être remplacés par une quantité d'autres personnages sous-exploités (il serait peut-être tant d'arrêter d'en rajouter toujours davantage ?) et le schéma reste le même de saison en saison : le groupe invincible erre dans la forêt et sur les routes, à la recherche désespérée d'une communauté bienveillante qui acceptera de collaborer avec eux mais finit toujours par s'avérer renfermer des psychopathes-mégalos-cannibales-louches qu'il va falloir éliminer.
The Walking Dead continue pourtant de nous mener par le bout du nez, en troquant des problématiques psychologiques intéressantes pour des rebondissements invraisemblables et systématiques, qui brassent trop souvent du vide et n'apportent plus rien de constructif : alors je mets tout mes espoirs dans son spin-off qui, jusque-là, s'est concentré sur un développement de personnages efficace plutôt que sur une action au rythme infernale mais vaine.
Créée
le 14 mars 2016
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