Le voyage dans le temps dans les univers de fiction est toujours un sujet à la fois palpitant à traiter, mais également totalement casse-gueule à mettre en œuvre scénaristiquement. Fondamentalement, rien que sur la théorie de la faisabilité, les plus grands cerveaux de la planète s'y cassent les dents depuis des décennies... Alors quand ce délire devient le projet d'une série mainstream qui doit donner son intrigue de la semaine à la petite famille moyenne qui veut pas trop forcer sur ses 4 neurones, il devient quasi illusoire d'avoir une série sur le voyage temporel qui ait une quelconque substance...
Pourtant, en prenant le temps de construire un récit bien réfléchi qui nécessitera forcément un minimum de complexité, il est possible de tenter des récits de voyages temporels qui tiennent la route... Avec quelques subtilités d'écriture ou la mise en place de règles clairement "fake" mais acceptées par le spectateur, il est possible de donner de la vraisemblance à un voyage dans le temps, précisément, le passé, chose qui coince irrémédiablement et pour laquelle de nombreux types de paradoxes insolubles ont été conceptualisés (même le principe des multiples timelines n'est pas parfait pour remédier à tout). Tout l'Art du scénariste et du réalisateur tiendra dans leur capacité à nous faire croire que l'histoire racontée échappe à ces paradoxes et qu'au moment où, irrémédiablement, on arrive à un élément paradoxal, le génie de l'écriture nous mystifie habillement. Des œuvres telles que le premier Back to the Future ou une grande partie de Doctor Who, s'inscrivent dans cet esprit et parviennent à rester parfaitement vraisemblables la plupart du temps.
Avec Timeless, et particulièrement sa saison 2 qui nous aura gratifié d'épisodes mémorables en la matière, on est face à peu près TOUT ce qu'il ne faut PAS faire quand on traite de voyage dans le passé. En cela je blâme une écriture très très convenue et paresseuse, qui finalement n'a que peu de chose à raconter et qui s'engouffre, à tous les niveaux, dans les pires clichés scénaristiques, dans toutes les ficelles narratives les plus faciles et les plus éculées, tant dans le traitement des histoires à chaque épisode, que de l'enchaînement des péripéties, des dialogues et bien évidemment dans la gestion des multiples problèmes de causes/conséquences impliquées par les voyages dans le passé... C'est fait avec une telle grossièreté que ça en devient naïf et... candide...
Pour se donner des airs de crédibilité, les auteurs ne manquent jamais de parsemer les épisodes de références aux paradoxes, aux problématiques des voyages temporels ; c'est même le sujet, in fine, de la série... Mais, qu'à cela ne tienne, ils ne retiennent que la poignée de causes/conséquences qui les arrangent pour simplifier à l'extrême leurs récits, faisant fie de tout le reste... Ils picorent: tantôt un type de cause/conséquence sera retenu et pas les autres parce que ça arrange cette écriture paresseuse, tantôt un autre type de cause/conséquence dont on se foutait royalement juste avant, devient le centre de l'intrigue alors même qu'on se met à se foutre du même genre de cause/conséquence qu'on avait retenu la première fois... Résultat aucun début de commencement de cohérence, à un moment c'est une règle parce que ça sonne intelligent et que ça permet d'écrire facilement, un autre coup, c'en est une autre, et ainsi de suite... Dans un épisode de la saison 2, ils ont quand même été foutus de faire une remarque sur les dangers de "l'effet papillon" puis, un peu plus loin, en 5 minutes de temps, d'enchaîner deux monumentaux paradoxes de l'écrivain en mode "plus c'est gros plus ça passe", sauf que... non, non, si on n'est pas trop con-con et qu'on connecte 3-4 neurones, ça se voit juste un tout petit peu, mais juste un chouia... Et dans les épisodes suivants, on nous a servi quelques beaux paradoxes du grand-père, pffff, crème ! Décomplexion et WTF total ! C'est la fin de la dernière saison alors, on y va ! Faut finir... On essaye même plus de s'emmerder un peu ou de justifier quoi que ce soit... Les conséquences??!! L'univers et l'espace-temps qui devraient exploser tellement ça ne marche pas??!! Pas grave ! Faut finir !!!
Vient s'ajouter à cela, le format narratif: on est sur une série des plus classiques, un épisode, une intrigue principale avec un pseudo arc narratif de saison. Le problème, c'est que quand, pour faire mumuse à aller visiter les années 30, le Far West, les deux guerres mondiales, JFK & co, on va tripatouiller le passé 10 fois par saison pour justifier "l'épisode de la semaine", bah on se retrouve avec des épisodes insipides et totalement creux. En effet, quand même un peu conscients que tripatouiller des moments marquants du passé, ça va avoir déjà pas mal de conséquences, les auteurs ne racontent rien d'autre dans les épisodes parce que ça générerait encore plus de bordel ! Du coup, tous les épisodes sont calqués les uns sur les autres: perturbation de l'Histoire par les méchants, péripéties simplistes pour tenter de corriger les choses sans créer plus de chamboulements qui seraient ingérables scénaristiquement, résolution bâtarde où on a arrangé à peu près les choses, mais pas complètement, mais on s'en fout, sauf quand ça nous arrange... C'est le format épisodique de la série policière, mais avec un sujet trop chargé de contraintes pour pouvoir donner de la substance aux épisodes ! Eût été bien plus intéressant par exemple de n'avoir que 2 ou 3 voyages par saison, mais de prendre plus de temps pour développer les problèmes que ça engendre et ainsi donner plus de profondeur, de sérieux et surtout d'intérêt à tout ça... Parce qu'au final les conséquences, on ne les voit jamais (sauf 2 ou 3 quand ça touche les personnages directement...) ! Et pour cause, en dehors des voyages, les persos passent leur vie dans leur labo puis bunker... Comme c'est pratique scénaristiquement de jamais mettre un pied dehors... C'est plus simple pour totalement éluder les répercussions sur le présent...
C'est le soucis d'avoir mis les voyages dans le temps au cœur de l'intrigue et en jouant la carte d'une approche "un peu réaliste" (interférer avec l'Histoire, """traiter""" des problèmes de causalité, avoir une machine et y mêler cette plausibilité scientifique), tout en n'y mettant aucun moyen et aucune ambition dans l'écriture. C'est précisément ce genre d'impairs dont s'est bien gardé une formidable série: Quantum Leap. Dès le départ, le pacte narratif est clair: le voyage dans le temps est un prétexte !! La SF, ce n'est pas le sujet de la série (les questions techniques/scientifiques sont réduites à leurs plus simples expressions et éludées avec subtilité) ! De plus on ne s'aventure pas à aborder les paradoxes ou autres effets papillons: les actions de Sam ne peuvent pas affecter le déroulement global du temps et de l'Histoire (pour preuve, le double-épisode sur Lee Harvey Oswald). Le sujet de Quantum Leap, c'est un drame de société, c'est revisiter des périodes de l'Histoire par la petite porte pour la redécouvrir ludiquement et traiter des relations humaines, de psychologie, de politique, de métaphysique... Rien d'autre, mais c'est déjà beaucoup ! Et de facto, tous les épisodes sont différents, variés et profonds ! Une liberté et une richesse totales d'écriture !
Ajoutons que, pour revenir à Timeless, comme évoqué précédemment, toutes les ficelles bien clichées et bien usées des fausses love interests et triangles amoureux, des péripéties et autres twists tellement linéaires qu'on les voit venir à des KILOMÈTRES (sauf les personnages évidemment...), tout ça est bien présent...
Seuls point positif: les comédiens, qui malgré la faiblesse d'écriture de leurs personnages et des relations qu'ils ont les uns avec les autres, restent enthousiastes, un enthousiasme qu'ils parviennent à communiquer, réussissant à s'attirer une forme de sympathie voire d’attachement de la part du spectateur...
Timeless est une fausse bonne idée ! On se croit original et créatif à faire de la SF en mode "voyages temporels"... Mais cela a déjà été traité tant de fois avec si peu de succès qu'il faut définitivement aborder ce sujet avec infiniment plus de moyens, de sérieux et d'ambition pour espérer parvenir à un résultat qui saura convaincre un public un poil plus exigeant et réfléchi (et c'est bien normal) que le spectateur (très) moyen visé ici... Le pire, c'est que la série cherche à se donner des airs de maîtriser son sujet, ce qui ne fait que renforcer la violence avec laquelle elle se tire une balle dans le pied, ne parvenant qu'à être un gloubi-boulga de notions non-maîtrisées, survolées et de péripéties fades au possible.