Cette première immersion dans le genre série pour Nicolas Winding Refn, est tout autant tentante que crainte, avec l'occasion pour le cinéaste de parfaire son style sur plus de douze heures étirant de plus belle une intrigue de plus d'une heure pour chaque épisode. Axant son récit par un effet miroir de deux personnages et deux histoires de vengeance, les épisodes vont se concentrer sur deux mondes de violence, celui d'un policier en marge et celui d'un mexicain qui reprendra le secteur spolié de sa mère, par un autre gang des rues.
Depuis Drive qui aura été le plus accessible avec un rythme plus soutenu, on retrouve le personnage plutôt mutique pour Miles Teller, taiseux à souhait et bien plus inquiétant, mais on se rapproche plutôt d'un Only God Forgives, pour la violence extrême, ou d'un Neon demon pour se rapport au corps et à l'image factice, tout en étant encore à des lieux de ces intrigues si ce n'est son style radical d'une narration épurée, au visuel clinquant et esthétique et aux fulgurances de violences dévastatrices. L'ensemble accroche par sa créativité et son déroulé, et sa grande liberté de tons. Parfois perturbant par ce qu'il expose de redondances, d'inceste, de pédophilie et autres snuff-movie, parfois jouissif, dans ses interludes comiques : lors d'une course poursuite ou d'une panne de voiture électrique en plein désert on se demande si on a pas zapper par erreur sur une autre chaîne. Ou à la manière d'un Hal hartley, lors de transes dansées pour des gangsters en parfait décalage, comme un pied de nez à leur humanité définitivement perdue.
Chaque épisode de 1h30 environ, est à voir comme une partie indépendante, sans déclinaison clairement définie, pour se rejoindre dans un grand tout choral.
Les destinées se diluent dans une sorte d'abstraction, les psychologies sont réduites à des simples actions primaires, l'ambiance est hypnotique, les frontières floues et les situations surréalistes. Le monde tel que l'on se plaît à se l'imaginer n'existe pas. Le fantasme de la grandeur humaine est vite remisé face à la réalité des choses et à l'inanité ambiante. Tous ces artifices et ce vide constant dans lequel on est plongé par ces destinées au cheminement implacable et sans faille, exprime des enjeux actuels forts sur notre propre rapport au monde, à notre aveuglement, à notre facilité à détourner notre réflexion et à la défaillance de notre intelligence. L'argent roi, l'absence de solidarité, les valeurs sacrifiées, la modernité et son épuisement, et la déchéance de l'espèce humaine n'ayant plus aucun autre espoir que de se dévorer elle-même.
Les Etats Unis sont alors un immense terrain de jeu où s'affrontent toutes les forces dans leur course au pouvoir, les autorités n'existent pas, les dommages collatéraux sont nombreux et les corps disparaissent dans l'indifférence générale. D'une police démissionnaire regroupant tout un panel de décérébrés, à la montée du fascisme, NWR offre à Trump sur un plateau de 12 heures, matière à réflexion et dénonciation virulente, d'une politique délétère pour une fin annoncée.
Un portrait qui se fraye son chemin au fil des circonvolutions sanglantes et diluées dans le temps de ces 10 épisodes parfois bien éprouvants. Longueurs rébarbatives, dialogues et temps de réponse étirés à l'infini, arrêts sur images telles des publicités à l'effigie du grand vide de notre société, où l'insolence de la jeunesse en quête de pouvoir et de leurs beaux corps sculptés à l'allure désinvolte ne sont là que pour mieux démenbrés ceux qui se mettront sur le chemin d'un Mexique revanchard.
Une écriture plus fluide et un sujet mieux défini qu'habituellement, optant pour le sous texte politique clairement identifié, déclinant tout les thèmes qui fâchent en leur apportant les résolutions pour le moins expéditives comme seule réponse à la lente déliquescence du monde.
Les acteurs offrent tous sans exception des performances parfaites et parfois même jubilatoires. Miles Teller, Augusto Aguilera et Babs Olusanmokun en particulier et une présence hors les clous pour William Baldwin. Jena Malone en guérisseuse vengeresse et Cristina Rodlo en prêtresse de la mort, toutes deux décidées à remanier le monde de façon tout aussi expéditive par l'éradication des déviants sexuels, ou pour régler leur sort à ces hommes qui n'aiment pas les femmes.
Voyager dans les contrées sauvages de NWR ne serait pas totalement réussi sans la musique de Cliff Martinez, électrique ou planante et aux sonorités sombres qui accompagne comme toujours les longues déambulations physiques et mentales de ces faux héros en quête d'un paradis qui n'aura jamais existé...