True Detective
8.2
True Detective

Série HBO (2014)

Voir la série


First Season: 10/10



Même après un second visionnage, la magie opère encore et toujours : alors oui, True Detective est certainement ce qu'il s'est fait de mieux sur le petit écran ces dernières années, et j'ose l'affirmer en ma qualité d'individu nullement sérievore.


D'ici que je vaincs cette satanée flemmingite aiguë et rattrape mon retard astronomique (penser au nombre de série me faisant du pied est aussi effrayant que le plaisir de la découverte paraîtra infini), rendre hommage au carton signé Nic Pizzolatto (scénario) et Cary Fukunaga (réalisation) me semble être une idée des plus judicieuses : True Detective étant, de fait, un enchantement de tous les instants, une claque latente s'arquant à la perfection autour d'une trame tortueuse, réfléchie et diablement dense, et portée par un duo phénoménal n'ayant pas eu son pareil pour ce qui est d'impressionner à n'en plus finir.


Oui, je vais être dithyrambique de bout en bout, mais autant tâcher de l'être tout en conservant un semblant de structure : si l'on prend la série par son commencement, on tombe sur ce fameux générique, ou la première pierre à l'édifice de quelque chose dépassant nos espérances les plus folles ; de fait, cet opening, transcendé par l'entêtant Far From Any Road de The Handsome Family, s'apparente à une somptueuse démonstration graphique, celui-ci se fendant d'une double exposition du plus bel effet, au point de s'avérer en tous points saisissant... quoi de plus alléchant avant de passer aux choses sérieuses ?


Passé ce coup d'éclat (inaugurant une longue série à venir), et qui n'aura de cesse de nous mettre dans le bain huit épisodes durant, True Detective ne tarde pas à nous projeter au sein d'une sombre affaire de meurtre sordide, les connotations sataniques d'une mise en scène macabre donnant le ton ; ajoutez-y un duo d'enquêteurs aux antipodes du concept franchouillard du buddy movie, ces derniers transpirant une classe de tous les instants, non sans ambiguïtés, et affichant des personnalités brossées avec un sens du détail subjuguant, dont la profondeur, la crédibilité et l'aura n'auront de cesse d'appuyer avec d'autant plus de force leurs contradictions... et surtout leur antagonisme tumultueux.


Non, la relation liant Marty Hart à Rust Cohle n'aura rien d'un long fleuve tranquille, à l'image d'une enquête s'étirant sur pas moins de 17 ans, base d'une intrigue multipliant et croisant les plages temporelles majeures régissant son récit ; de fait, True Detective arbore une densité scénaristique d'abord attenante à cette fameuse trame aucunement linéaire, tout en y apportant une cohésion patente salvatrice pour le spectateur, alors happé par l'atmosphère hypnotique d'une Louisiane pesante, sinueuse et grisâtre.


Entre une composante industrielle minoritaire mais non moins influente, et un bayou tentaculaire comme insondable, ce décor peu encourageant, couplé à la mise en évidence d'une affaire bien plus vaste qu'il n'y paraissait, s'apparente au reflet obscure d'une population locale à l’âme torturée, exsangue et quelque peu ambivalente ; bref, la paire Pizzolatto / Fukunaga nous transporte au sein d’un univers à l’ambiance léchée comme addictive, fort d’un background recherché comme envoûtant, et de surcroît couplé à une enquête policière exemptée des habituelles fioritures et autres fadasseries propres à un genre gangrenés par un conventionnalisme criant.


Il va donc sans dire que l’on adhère sans retenu à ce soupçon de mythologie amorcé par quelques références marquantes, Carcosa et le Roi Jaune tout spécialement, celles-ci venant altérer avec subtilité une réalité assujettie à un prisme religieux prépondérant, tandis que True Detective ne se départage pas d’aspirations et développements spiritualistes comme métaphysiques ; sur ce point, l’éminent Rust Cohle n’y est certainement pas indifférent, car bien que résolument ancré au sein d’un pragmatisme et d’un réalisme froid, sans détour, celui-ci fait mine de jouer sur la corde raide de bout en bout, sa fragilité intrinsèque et un passé le rongeant à petit feu venant contrebalancer une stature et un charisme démentiels.


Déjà en pleine ascension, Matthew McConaughey confirmait alors toutes les attentes quant à sa prestation, en l’occurrence fantastique (l’Emmy n’aurait pas été de trop), de quoi asseoir un peu plus son statut d’acteur incontournable de ces dernières années ; à ses côtés, Woody Harrelson échappe avec la manière à l’ombre de son partenaire en crevant tout aussi bien l’écran, celui-ci donnant en l’espèce vie à un protagoniste complémentaire, si ce n’est indissociable, dudit Rust : Marty Hart.


L’affaire n’était pourtant pas gagnée d’avance, le blondin de service incarnant une figure bien plus brute en termes d’approfondissement que son comparse, le taciturne brun ténébreux de son état, car fort en gueule, facile à cerner et surtout quelque peu répréhensible dans son attitude globale ; moins finaud comme mystérieux que son associé du moment, l’inspecteur Hart rattrapera fort heureusement ses déboires sentimentaux et l’alcoolisme lui tenant la jambe au gré de coups d’éclats bien sentis, tout en bénéficiant d’un développement remettant en perspective ses fameux travers, de quoi réconcilier le spectateur avec ce personnage avant tout humain… et donc faillible.


Sans revenir sur la qualité de composition d’une galerie secondaire rayonnante, il convient toutefois d’évoquer un troisième protagoniste, d’importance certes moindre mais au poids indéniable : Maggie Hart est, de fait, une figure féminine hautement fondamentale dans l’approche du duo principal, tant son influence sur ce dernier dépasse le simple cadre de la potiche usuelle de service, True Detective nous dressant le portrait d’une femme forte, au caractère fouillée à souhait et dont les ressorts scénaristiques assortis iront jusqu’à affecter durablement le cours de la trame centrale (ajoutez-y la performance succulente de la trop discrète Michelle Monaghan, et voici un personnage à même de marquer les esprits).


Pour en revenir à cette fameuse trame, on pourrait affirmer en complément que le dénouement s’avère à la hauteur : non pas que celui-ci soit tel quel au niveau des épisodes phares de la série (qui décolle véritablement à compter des 3 et 4, les deux premiers s’apparentant tout de même à une sacrée rampe de lancement), mais son mérite aura justement été de ne pas tout gâcher, True Detective s’offrant d’autant plus le luxe d’un climax phénoménal au terme d’une chasse à l’homme haletante ; la vision fantasmagorique de Rust, au cœur de ce dédale angoissant, parachève pour sa part le penchant multithématiques, empreint d’une alchimie incroyable, de la série… de quoi mettre une fois de plus en lumière son originalité ensorcelante.


Pour finir, à contenu exceptionnel : contenant non moins extraordinaire, ce diable de Fukunaga ayant enrobé le tout d’une mise en scène jouissive : entre son adéquation avec une atmosphère parfaitement épaulée par une musique aux petits oignons, et une maîtrise technique donnant le tournis, celle-ci ayant notamment accouché d’un plan séquence précédé d’une impressionnante réputation (ce qui est peu dire), True Detective se voit drapé d’un bout à l’autre d’une empreinte graphique ni plus ni moins vampirique, tant elle aura pleinement contribué à happer le spectateur en son sein.


Série d’anthologie anthologique par excellence, cette saison faisant date au sein du paysage du petit écran, ce premier jet made in True Detective aura en tout cas placé la barre très haut tant en termes de réalisation, d’intrigue ou encore d’interprétations, de quoi laisser planer le doute quant aux chances réelles de la suite à venir… pourrait-elle seulement faire aussi bien ? Pour le reste, nul doute que le tandem Pizzolatto / Fukunaga nous aura régalé de bout en bout…



Second Season: 7/10



Les saisons de True Detective arborant des intrigues en tous points différentes, si ce n’est de par leurs orientations respectives attenantes à des genres partagés (policier, thriller etc.), il serait incorrect de ne pas les traiter distinctement, d’où un certain respect de l’étiquette « anthologie » de la série.


Un constat, pour ne pas dire une nécessité, d’autant plus fort qu’aux critiques dithyrambiques des premiers pas du bijou made-in-HBO (porté par le tandem McConaughey / Harrelson) succéda une suite, alors attendue de pied ferme, mais dont l’accueil mitigé marque un contraste saisissant entre les deux saisons.


Certes, au regard du consensus incroyable entourant la qualité des péripéties de Cohle et Hart, on pouvait se demander comment Nic Pizzolatto serait en mesure de proposer quelque chose d’ (au moins) aussi abouti que son précédent jet, mais l’espoir était de mise… malheureusement, l’évidence s’impose d’elle-même : les avis faisant état d’un ratage plus ou moins total, des plus mesurées aux plus acides, revêtent tous un fond de vérité qu’il convient d’explorer.


D’un point de vue formel, difficile de ne pas revenir sur l’absence du génial Fukunaga à la réalisation, celui-ci étant pour beaucoup dans la réussite de la première saison : en dotant cette enquête hypnotique, au cœur de la Louisiane, d’une profondeur graphique saisissante, gage d’une immersion de tous les instants au sein d’une atmosphère continuellement grisante, True Detective rayonnait de fait d’une empreinte visuelle (et bien plus encore) cohérente, sans anicroches et surtout frappante.


Outre un plan-séquence désormais célèbre (S1E4), Fukunaga contribuait ainsi à l’instauration d’une identité propre au métrage, auréolé d’une mise en scène n’ayant pas son pareil pour transcender cette fameuse ambiance… or ce n’est pour ainsi dire jamais le cas dans cette S2, celle-ci se voyant tiraillée entre six réalisateurs différents, certes des plus compétents tant le travail fourni supplante aisément les productions policières plus conventionnelles, mais il en ressort une constance et une qualité des plus moindres vis-à-vis de la S1.


Handicapée par des comparaisons inévitables, cette nouvelle enquête pèche aussi, si ce n’est avant tout, de par une intrigue fouillis comme confuse, conséquence directe d’un délai (à bien des égards) trop court ayant contraint Pizzolatto dans son processus d’écriture : dès lors, tandis que le pan formel vient exacerber des défauts scénaristiques flagrants (à commencer par une direction d’acteurs des plus piteuses à ses débuts), cette affaire mêlant ramifications politiques, policières et criminelles va subir le joug néfaste d’une galerie de protagonistes principaux trop étendue, d’un amoncellement de rebondissements en grande majorité téléphonés et enfin du constat grandissant de l’opacité scénaristique découlant de ce joli foutoir.


Alors que la S1 brillait de l’apport d’un duo d’anti-héros aussi complémentaires que marquants, ce cadre californien désincarné voit en effet intervenir non pas deux, ni trois, mais bien quatre figures principales, toutes élaborées dans le sens d’une présence plus ou moins continuelle à l’écran : si l’on ne pourra pas enlever à Pizzolatto le brossage consciencieux de personnalités fouillées comme recherchées, difficile de passer outre un développement justement maladroit et surtout inutilement encombré d’une charge trop importante.


Entre l’exploitation ratée d’une relation père-fils (Velcoro), le poids d’un passé tenant du cheveu sur la soupe (Woodrugh et Bezzerides) ou encore des repentances à demi-convaincantes (Seymon), il va donc sans dire que cette S2 manque bien souvent de se perdre en chemin, de quoi grossir à n’en plus finir le caractère tortueux de son fil scénaristique principal, déjà suffisamment bordélique dans son genre ; en ce sens, le mystère allant croissant autour des enjeux d’un certain couloir ferroviaire brille surtout de par le méli-mélo d’intérêts contradictoires l’entourant que d’une quelconque forme de suspense, alors à la traîne, d’autant plus que le meurtre de l’énigmatique Caspere vient ajouter au penchant alambiqué de la saison… d’où cette synthèse elle-même obscure, j’en conviens.


Dans les faits, il en résulte 4 premiers épisodes en tous points laborieux, certainement davantage chaotiques que pourris sur toute la ligne, ceux-ci se posant comme un condensé symptomatique des travers narratifs d’une intrigue au bord du précipice ; à ce stade d’analyse, j’en profite pour rejoindre le rang des avis mesurés, ces épisodes laissant malgré tout entrevoir un possible soubresaut positif, alors étayé par un final coup de poing (E2, et non pas la fusillade de l’E4, que j’ai trouvé franchement passable) et… des interprètes surnageant de leur mieux.


Ces derniers sont ainsi l’un des rares rayons de soleil venant éclaircir un tableau californien décidément morne, et bien qu’assujettis à une écriture faisant de bout en bout des siennes, parvenir à outrepasser des dialogues souvent paresseux (et des déboires sentimentaux pas franchement intéressants) en dit long sur leurs mérites respectifs ; Vince Vaughn est d’entre tous la plus grosse surprise, celui-ci campant de fil en aiguille un Frank Seymon charismatique tout en s’extirpant de son étiquette de comique notoire, Colin Farrell est l’élément le plus régulier de cette joyeuse troupe, et forme avec VV un tandem somme toute attachant (avec ou sans moustache), Rachel McAdams finit par surprendre en bien malgré un départ poussif et enfin Taylor Kitsch confirme qu’il n’a pas que sa belle gueule pour lui (quand bien même son personnage peine également à décoller).


Non, tout n’était pas à jeter, et bien que la narration linéaire desserve la portée du bond temporel entre les épisodes 4 et 5, ce dernier semble alors marquer un (semblant de) tournant au sein d’une saison aux abois : entendons par là que sa seconde moitié vient rehausser l’intérêt d’une intrigue jusqu’alors plombée par ses trop nombreuses prétentions, et qui au-delà de ses quelques éclaircissements (noyés dans la masse d’informations/personnages) va faire mine de mettre le turbo… comme si Pizzolatto venait de prendre conscience de son propre bazar.


Pareil à une rampe de lancement, ce cinquième épisode va ainsi précéder un final bien plus consistant qu’escompté, la montée en puissance de ses premiers rôles se couplant à une tension savoureuse, voire oppressante, notamment au travers d’un climax sous ecstasy laissant pantois (E6) ; l’avant-dernier épisode confirme alors ce sentiment d’embellie scénaristique, le devenir de Woodrugh marquant d’une pierre blanche un suspense définitivement retrouvé, accompagné d’aboutissants se précisant enfin.


Dommage à présent que l’épisode ultime, placé sous l’égide du tragique, plombe ses ressorts dramatiques au gré de facilités déconcertantes (la vengeance expédiée vite fait bien fait, la provocation de Seymon en plein désert et l’exposition prévisible comme fatale de Velcoro) et d’une durée rallongée peu probante, de quoi amoindrir l’impact des réminiscences d’un passé des plus troubles (Seymon again) et l’envoi raté d’un dernier message salvateur (Velcoro again).


Une curieuse saison en somme, dont les errements narratifs/scénaristiques ne rendront jamais hommage à la qualité d’interprétation d’un casting livré à lui-même ; si ses nombreux défauts auront de bout en bout légitimés un consensus négatif à son égard, cette dernière n’est cependant pas totalement irrécupérable… pour peu que vous parveniez à surmonter un premier acte ne sachant pas où donner de la tête.


Si les raisons de se réjouir font assurément bien pâle figure vis-à-vis de tels ratés, il n’en demeure pas moins que Pizzolatto et HBO, au regard des méfaits de pareilles contraintes de création, sauront corriger le tir en ce qui concerne une troisième et indispensable saison… j’ai confiance !

NiERONiMO
9
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à sa liste Top 10 Séries

Créée

le 19 mars 2016

Critique lue 281 fois

1 j'aime

NiERONiMO

Écrit par

Critique lue 281 fois

1

D'autres avis sur True Detective

True Detective
Gothic
8

Cohle of Cthulhu

Du jour où j'ai appris l'existence d'une série policière portée par le duo d'acteurs McConaughey/Harrelson, j'avoue avoir été emballé dans la seconde. Cerise sur le gâteau, HBO chapeaute le tout. Vu...

le 16 mars 2014

201 j'aime

True Detective
Jambalaya
9

Les Enfants Du Marais

True Detective est un générique, probablement le plus stupéfiant qu’il m’a été donné d’admirer. Stupéfiant par les images qu’il égraine patiemment, images d’une beauté graphique rare, images sombres...

le 12 mars 2014

153 j'aime

15

True Detective
Sergent_Pepper
8

Les errants du marais

Il est fréquent qu’on insiste auprès de quelqu’un qui ne se dit pas convaincu par une série : accorde-lui du temps, laisse l’univers s’installer, attends encore quelques épisodes avant d’abandonner...

le 26 oct. 2014

124 j'aime

13

Du même critique

The Big Lebowski
NiERONiMO
5

Ce n'est clairement pas le chef d'oeuvre annoncé...

Voilà un film qui m’aura longuement tenté, pour finalement me laisser perplexe au possible ; beaucoup le décrivent comme cultissime, et je pense que l’on peut leur donner raison. Reste que je ne...

le 16 déc. 2014

33 j'aime

Le Visiteur du futur
NiERONiMO
6

Passé et futur toujours en lice

Un peu comme Kaamelott avant lui, le portage du Visiteur du futur sur grand écran se frottait à l’éternel challenge des aficionados pleins d’attente : et, de l’autre côté de l’échiquier, les...

le 23 août 2022

29 j'aime

Snatch - Tu braques ou tu raques
NiERONiMO
9

Jubilatoire...

Titre référence de Guy Ritchie, qui signa là un film culte, Snatch est un thriller au ton profondément humoristique ; le mélange d’humour noir à un scénario malin et bien mené convainc grandement,...

le 15 déc. 2014

18 j'aime

3