Saison 1 :
"Twin Peaks", cet objet non identifié (qualifié lors de sa première diffusion par la critique US de "jamais vu sur Terre") est avant tout une vraie œuvre - au sens artistique - de David Lynch : le fameux "pilote" et le troisième épisode, qui contient la scène mythique de la chambre rouge, réalisés par lui, font partie des tous meilleurs "films" de celui-ci, avec leur construction mentale déroutante et distanciée, et un mélange hautement toxique - mais électrisant - d'humour décalé et d'étrangeté vénéneuse. Dans "Twin Peaks", tout se passe comme si rien ni personne n'étaient "vrai", et, si l'on découvre finalement une vérité, il sera toujours trop tard, le mal (Mal ?) sera fait. À Twin Peaks, c'est la face cachée de l'humanité qui est mise au jour, car, derrière une apparence irréprochable, chacun recèle une part d'abjection, de vilenie, d'ignominie, de honte et de dépravation. Pour adorer "Twin Peaks" (c'est notre cas), il faut bien sûr avoir envie de jouer plutôt que de réfléchir, de ressentir plutôt que comprendre : c'est à cette condition que cette visite somnambulique - et souvent hilarante, répétons-le - menée par l'inoubliable agent Dale Cooper deviendra un véritable "culte".
Saison 2 :
On sait aujourd'hui que la seconde saison de "Twin Peaks", plus encore que la première, aura été la matrice de la série TV moderne, de "Lost" (pour l'épaisseur ludique d'un mystère qui ne saurait jamais avoir de solution, et qui se transforme en un labyrinthe de plus en plus délicieux) à "Desperate Housewives" (pour la chronique aussi hilarante que cruelle d'une société déboussolée par ses pulsions - capitalistes, sexuelles, meurtrières) par exemple. Le risque pris par Lynch et Frost de résoudre l'énigme Laura Palmer en plein milieu de saison leur coûtera la quasi totalité de leur public, et, finalement, mettra un terme à l'aventure du "feuilleton-cerveau" de Lynch (quelle frustration de laisser l'Agent Cooper ainsi devant son miroir, diaboliquement possédé par Bob, alors qu'on frissonne à imaginer ce que les scénaristes fous auraient pu nous concocter ensuite...!), mais la fascination et le plaisir (très pervers) que procure "Twin Peaks" restent aujourd'hui intacts.
PS: A noter l'extraordinaire qualité de la réédition Blu-Ray, qui nous permet de voir "Twin Peaks" comme nous ne l'avions jamais vu auparavant !
Post-scriptum après un nouveau retour à Twin Peaks en 2017 :
Nous étions dans l'erreur, abusés par l'annonce de l'interruption de "Twin Peaks" et par notre propre désolation : le 29ème épisode (ou le 30ème, suivant comment on compte le "Pilot") - et le nouveau tour de force de Lynch qui nous vrillait le cerveau en 45 minutes démentielles - était une parfaite conclusion au trip halluciné de la série. Une fois les vierges dépucelées, les comptes entre reptiles corrompus réglés dans une explosion, une fois la paternité décidée et reconnue, une fois tranchés tous les fils de cette fiction aberrante qui - dans l'une de ces percées géniales qui redéfinissent une forme artistique pour les 30 ans à venir - serait le modèle absolu de la télévision du début du XXIème siècle... il ne nous restait plus qu'à errer à jamais dans le ruban de Moebius d'un cabaret de velours rouge, gagnés à notre tour par la folie furieuse qui nous pousse à nous entre-dévorer. Car Lynch nous le dit, et nous le montre même dans la conclusion parfaite de la seconde saison de "Twin Peaks" : il n'y a ni extra-terrestres malveillants, ni complots ésotériques (Black Lodge ou White Lodge, foutaises pour le grand public avide de mystères à deux balles), ni évidemment Dieu tout-puissant. Il n'y a que l'horreur ricanante et infinie du Mal qui est en nous. [Critique écrite en 2017]